L’Armée tchadienne porteuse de crises

Un rapport de l’International Crisis Group rendu public le 22 janvier et consacré à l’Armée nationale tchadienne (Ant) exhume ses tares et relève les défis auxquels elle fait face. En dépit de sa réputation au-delà des frontières nationales, la grande muette porte en elle les germes d’une crise future.

Forte d’un effectif qui se situerait à environ 65 000 hommes, l’Ant est considérée comme la mieux aguerrie de l’espace sahélien et jouit depuis une dizaine d’années, d’une réputation internationale dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Cependant, cette bonne réputation, loin de faire l’unanimité, cache un côté sombre qui met à mal sa cohésion et pourrait éventuellement être sources de graves crises, si aucune réforme d’envergure n’est envisagée à court terme. Le rapport de l’ONG Crisis Group, d’une cinquantaine de pages, vise à comprendre certaines de ses fragilités internes et propose des recommandations pour limiter les risques que celles-ci deviennent un facteur de troubles. Il s’appuie sur une quarantaine d’entretiens réalisés en 2020 à N’Djamena et à Abéché avec des militaires tchadiens,  dont certains ont servi à l’étranger, notamment au Mali et au Nigéria. Crisis Group a également pu s’entretenir avec des experts en matière de défense, des chercheurs, des personnalités politiques tchadiennes, des représentants d’organisations de la société civile et des partenaires internationaux du pays.

L’armée tchadienne, souvent sollicitée par les pays voisins et les partenaires occidentaux, est une pièce maitresse du dispositif contre le terrorisme au Sahel. Mais sa cohésion générale est faible: les tensions communautaires et les problèmes d’indiscipline y sont récurrents et, plus récemment, de nouvelles dissensions ont émergé en son sein. La question de l’armée se pose, avec davantage d’acuité aujourd’hui, car le Tchad va traverser une période d’incertitude, avec à court terme une élection présidentielle organisée en 2021, dans un climat social tendu, et, à moyen ou long terme, des risques de succession violente si le président devait quitter le pouvoir.

“L’armée du Tchad joue un rôle central dans le dispositif international de lutte contre le terrorisme au Sahel, mais, elle est en même temps une source d’instabilité potentielle pour ce pays. Les différences de traitement entre les troupes d’élite et les autres soldats ainsi que le manque de représentativité régionale et ethnique aux postes de commandement minent sa cohésion. Par ailleurs, ces dernières années, des dissensions inhabituelles ont vu le jour. Certains officiers ont, en effet, refusé de combattre leurs “parents” rebelles et d’autres, certes, peu nombreux, ont publiquement critiqué la gestion des affaires militaires. De nombreux Tchadiens s’inquiètent des risques de succession violente et de luttes au sein d’une armée divisée si le président Idriss Déby Itno, âgé de 68 ans, devait quitter le pouvoir. (…) En revanche, si l’armée est conquérante à l’étranger, elle est loin d’être un facteur d’unité nationale sur son territoire. La volonté affichée par le président Déby à son arrivée au pouvoir en 1990 de créer une armée nationale et professionnelle ne s’est jamais concrétisée”, pointe le rapport. Selon le document, au cours des 30 dernières années, les autorités ont, certes, mené plusieurs réformes, mais, aucune n’a permis une réelle restructuration des forces de sécurité et de défense, qui demeurent organisées sur des bases communautaires. Par ailleurs, l’absence de méritocratie ainsi que le fossé entre les troupes d’élite (dirigées essentiellement par des membres de la communauté du président) mieux formées, mieux équipées, mieux rémunérées et le reste des soldats, nettement moins considérés par le pouvoir, sape la cohésion de l’armée. “Cette situation provoque un fort sentiment d’injustice et la frustration de nombreux soldats”, relève-t-il. A ces maux vient se greffer une réputation sulfureuse caractérisée par les abus fréquents, les cas de corruption et d’impunité de certains soldats perçus comme proches du pouvoir. Le rapport n’a pas occulté des faits de trafics de tout genre attribués à certains généraux de l’Armée. L’exemple le plus frappant concerne l’affaire de trafic de stupéfiants qui a  défrayé la chronique en 2020.

Togmal David