Le Cediraa à 25 ans

Du 14 au 22 septembre 2024, le Centre diocésain de la recherche action en alcoologie (Cediraa) a célébré ses 25 ans d’existence consacrés à la lutte contre la consommation d’alcool au Tchad. La fondatrice et directrice, sœur Monique Lorrain, et l’actuelle directrice sœur Aurélie Roine ont rappelé le parcours de ce centre.

Etant nutritionniste, je m’occupais de la malnutrition des enfants mais devant l’ampleur du problème de l’alcool au Tchad, je me suis associée au père Mathieu et le pasteur Jérôme Altana de la Croix Bleue pour réfléchir sur le problème”, se souvient Monique, religieuse de la congrégation des sœurs Xavière au Tchad. Elle ajoute qu’elle s’est faite formée en alcoologie et a exercé en France. Mais arrivé au Tchad, elle a constaté qu’il n’y avait rien dans ce domaine au niveau du ministère de la Santé publique et aux affaires sociales, en ce qui concerne l’alcoologie. C’est pourquoi elle a continué à s’occuper de la malnutrition des enfants. Suite à des échanges et face aux dangers que courent les alcooliques, elle a décidé de créer le centre en 1997 dénommé : Recherche action en alcoologie (Raa). En ce moment-là, elle était la seule permanente à tout gérer : consultations, sensibilisation, etc. Puis elle commence à s’entretenir avec les paroisses de N’Djaména, pour qu’ils lui délèguent des gens pour une formation d’animateurs afin d’étendre les sensibilisations. Cela a été une réussite, se souvient sœur Monique. C’est pourquoi d’autres diocèses ont fait la demande d’être formés à leur tour.

Selon la fondatrice, plus la sensibilisation s’effectuait, plus elle recevait des dépendants d’alcool qui venaient la voir. Débordée par le nombre des patients, Monique a fait appel à un des animateurs formés de la paroisse Sainte Famille de Dembé, qui s’est démarqué des autres pour l’assister. Il était professeur de mathématiques au lycée Félix Eboué, et il fallait obtenir son détachement. Comme le groupe de recherche action en alcoologie était informel, sans statut, Monseigneur Van Damme qui était à l’époque archevêque de N’Djaména, et qui se préoccupait lui aussi de ce problème d’alcool, a décidé de tout formaliser. C’est ainsi que Recherche action en alcoologie est devenu en 1999, le Centre diocésain de recherche action en alcoologie (Cediraa) et a permis à Eloi Bédingam de venir travailler avec moi”, explique-telle. Cette collaboration leur a permis de concevoir des tracts, des supports pédagogiques tels que la boîte à images, d’éditer un petit livret appelé alcool ami ou ennemipour permettre aux animateurs d’étendre leur sensibilisation et animation dans des établissements primaires, secondaires et auprès des femmes qui préparent de la bière locale, etc. ‟L’alcool ça colle” est le slogan retenu par le centre lors d’un concours organisé, qui a permis de faire des affiches pour étendre la sensibilisation dans tout le Tchad.

Après le départ de sœur Monique du Tchad en 2007, sa remplaçante une autre religieuse Thérèse Verger qui est psychologue, a mis au point des cures de désintoxication pour donner une autre dimension à la vision du Cediraa. ‟Je n’étais jamais revenue au Tchad depuis mon départ en 2007, un pays où j’ai vécu pendant 12 ans. Invitée pour les festivités, je suis émerveillée de voir la croissance de la petite graine qu’on a semée qui a non seulement survécu, mais s’est déployé et il y a maintenant toute une équipe très motivée. Je ne peux qu’être fière”, se réjouit-elle.

Sœur Aurélie Roine, qui a pris les rênes de la direction en 2018 jusqu’à nos jours, ne s’imaginait pas à son arrivée, que l’alcool associé au tramadol et d’autres substances, avaient une place aussi importante dans la société tchadienne. Quand je suis arrivée, c’était une période où le Cediraa était en train de se questionner, parce qu’on soignait les personnes qui ont des problèmes avec l’alcool, mais trop de nos frères et sœurs souffraient de l’alcool combiné à d’autres drogues notamment le tramadol. Et certaines personnes venaient nous voir seulement parce qu’ils consommaient le tramadol.  Pour remédier à cela, elle s’est appuyée sur un de ces collègues formé pour l’accompagner à solutionner de tels cas. Depuis qu’elle est là, l’axe formation a été accentué. Chaque année, les capacités des bénévoles et des cellules dans les provinces sont renforcées. Les personnes du monde médical ont pris conscience de l’addictologie des patients alcooliques. Pour sœur Aurélie, l’accueil et l’écoute sont les premières missions du Centre, pour donner espoir à ces personnes alcooliques qui sont méprisées par la société, à cause de leur état d’ébriété et qui font l’objet de raillerie de la part même des plus petits. Généralement, poursuit-elle, ce sont les malades eux-mêmes qui viennent et parfois ce sont leurs parents qui viennent s’informer avant de les faire venir.

Quand les personnes viennent et qu’elles ont besoin de soins, on met en place un processus médical et thérapeutique (cure de sevrage) et régulièrement tous les mois, entre 5 à 7 personnes sont hospitalisées pendant 10 jours, dans un endroit clos.  Les parents ne viennent que pour la visite et repartent, parce que nous fournissons les médicaments, l’alimentation. Mais avant cela, on met en place un contrat au début avec les parents pour que la personne puisse être un petit peu isolée”, explique la directrice, Aurélie.

Le Centre dispose aussi de deux salles d’hospitalisation à l’hôpital Tchad-Chine. Sœur Aurélie informe que la prise en charge et l’hospitalisation reviennent à 250 000 francs CFA aux patients, mais rassure que cela n’est pas obligatoire. Il suffit que les parents fassent un geste et la victime est prise en charge de la même manière que ceux et celles qui payent la totalité du montant demandé. L’objectif, c’est de soigner et non pas de soigner seulement ceux qui ont l’argent, car malheureusement l’alcool a détruit tellement de familles que certains ont perdu tous les moyens financiers, d’autres ont perdu le travail. C’est pourquoi nous voulons également les aider”, rassure-t-elle. Depuis bientôt 15 ans, 5 personnes par mois sont hospitalisées et c’est une fierté quand une personne arrive au début perturbée et désorientée à cause de la consommation des substances d’alcool, retrouve sa lucidité et reprend une vie normale.

Nous avons un partenaire qui appuie jusqu’à cette fin septembre, et on espère qu’il va poursuivre son partenariat, sinon on va avoir un grand souci financier. Le ministère de la Santé publique nous soutient moralement, c’est déjà un vrai appui mais le problème, c’est que ce n’est pas cet appui-là qui donne à manger au curiste, ni nous permet d’acheter des médicaments, parce que pour les 5 personnes hospitalisées par mois, nous dépensons un million de francs, donc c’est souvent compliqué”, dit-elle. Elle lance un appel à l’État, aux institutions et surtout aux bonnes volontés de soutenir financièrement le centre pour qu’il puisse continuer d’œuvrer. C’est vous qui avez à construire le Tchad et le Tchad a besoin d’hommes et de femmes libres. Faites attention à l’alcool et aux drogues, parce qu’ils vous rendront esclave”, conseille-t-elle à la jeunesse tchadienne.

Modeh Boy Trésor

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