La Fondation tchadienne pour le leadership (Ftl) a animé une conférence-débat au Céfod sur le thème : “Les Tchadiens à l’épreuve de l’unité nationale”.
La conférence vise à apprécier les réalités du Tchad en matière d’unité nationale, de défis, et préciser la contribution efficace ou nécessaire des chrétiens, notamment ceux en position de responsabilité pour que la paix devienne une réalité. Cette conférence a été conjointement animée par deux Professeurs : Abel Ngarsouledé et Abel Ndjérareou. Ils ont décrit la situation réelle, exposé les conséquences observées et proposé des recommandations.
Déjà, il faut noter que présenter un thème citoyen comme celui-ci met tout tchadien en défi et en même temps devant une responsabilité. Car, que l’on soit chrétien ou musulman, on est avant tout citoyen tchadien. C’est la moindre légitimité. Pour cela, nous sommes censés ne pas être insensibles encore moins indifférents face aux crises que traverse notre pays. Et “si notre foi en Dieu ne doit pas être désincarnée, c’est justement parce qu’elle trouve son épanouissement dans notre espace social tchadien”, déclare Abel Ngarsouledé.
La description de la situation réelle : quel constat des lieux ?
Le thème présage le contexte précis de l’unité nationale et celui du vivre-ensemble. En effet, la question de l’unité nationale au Tchad demeure jusque-là imaginaire et illusoire quant à son application. Selon Pasteur Abel Ndjérareou, “l’unité nationale souffre d’usure puisqu’elle fait face aux ennemis tels que le déni identitaire, le repli de soi et la surestime de soi”. Si pour lui, ces trois éléments constituent un danger pour l’unité des tchadiens dans leur ensemble, il estime simplement que le tchadien n’est jusque-là pas décideur de sa vie sociale puisque la logique de l’unité qui est censée prendre appui à la base, vient au contraire de l’état qui d’ailleurs n’arrive pas à maintenir l’unité à partir des lois qui promeuvent les différentes identités culturelles.
Aussi, pendant 64 ans de parcours d’ensemble dans un contexte d’indépendance sans réel impact sur le vivre-ensemble, accompagné d’une gouvernance de l’état unitaire sans parvenir à l’équilibre géopolitique et au développement durable, d’une multiplicité des partis politiques comme indicateur du malaise radical et continu, d’une réclamation de l’état unitaire sans mesure d’accompagnement pour reconquérir et maintenir la confiance de tout le peuple dans le brassage interculturel, d’une insouciance criarde vis-à-vis du principe et de la chaîne de la relève, …, il est pratiquement très difficile de parler de l’unité nationale. Pour cela, les conférenciers notent que “l’unité apparaît en même temps comme un principe et un sujet à caution, puisque visiblement, son concept répugne aux tchadiens aujourd’hui”.
Ainsi, ajoutent les deux hommes de Dieu, autant, le concept de guerre et conflits tribaux devient une menace pour l’unité des tchadiens, autant celui de l’unité met tout tchadien au défi de se voir autrement en reconnaissant sa différence vis-à-vis de l’autre et vice-versa pour le bien-être social.
Les conséquences observées
L’effritement de l’unité nationale laisse observer des conséquences graves sur la vie sociopolitique et économique des tchadiens qui peinent à vivre les valeurs sociétales.
Sur le plan politique, le constat de rejet d’une frange des acteurs politiques dans la gouvernance du pays est alarmant. Pour le Pasteur Ngarsouledé, ce rejet des uns, perçu comme un leadership discriminatoire, refusant toute alternance, devient un point d’épreuve pour les autres. Et sans ambages, cela sonne le tocsin du divorce entre l’état et le vécu quotidien de la population, laissant libre champ à un déficit béant de l’unité nationale. Pourtant, relève-t-il, “personne ne nait dirigeant ou leader, on le devient. Et ce devenir confère une mission vis-à-vis de la communauté ou la nation et toute mission a une durée déterminée : l’alternance est un fait de changement caractéristique de la vie des humains. Il faut donc éviter d’alimenter les possibilités de l’émiettement puisque là, la division est à la porte”.
Au cours de leur exposé, les conférenciers informent que le déficit de l’éthique du travail, l’effritement de l’esprit de service et la promotion de la corruption érigée en système constituent l’un des obstacles pour la manifestation réelle de l’unité nationale, faisant d’elle le point d’épreuve pour les tchadiens. C’est avec regret que le Pasteur Abel Ndjérareou rappelle que “l’injustice a totalement envahi le tissu social de sorte que l’unité a perdu sa lettre de noblesse”.
Du point de vue du vivre-ensemble, l’on observe l’hostilité intercommunautaire ou socioprofessionnelle, frôlant le rejet de l’autre. En effet, “le rejet du prochain a entraîné la rupture du tissu social dès la guerre de 1979”, déclarent les conférenciers qui n’ont pas manqué l’occasion de rappeler que le rejet de l’autorité de l’autre entraîne la révolte de la population.
Si d’un côté, le développement des clivages sociopolitiques, spatiaux, voire le mode de peuplement dans les villes, dégrade la composition de l’unité nationale, puisqu’il apparaît comme un malaise et un rejet de l’humain, de l’autre, le repli identitaire ou communautaire dans le contexte de réconciliation et de la démocratisation au Tchad prend un coup de cette situation.
Recommandations
A l’endroit de l’état, les deux hommes de Dieu recommandent la relecture des fondamentaux de l’indépendance qui ont conféré à tous les tchadiens une considération commune à travers les textes (hymne national et devise), prônés par l’école républicaine. En invitant les acteurs politiques à développer des amitiés sincères pour l’épanouissement de la nation, les conférenciers demandent aux leaders religieux d’éduquer et de sensibiliser le peuple au pardon, à la culture de la paix, à la tolérance, etc. Pour eux, ces leaders religieux de tout bord doivent mettre en pratique les valeurs religieuses apprises et enseignées, tout en appelant à un dialogue inter-religieux.
Tout en mentionnant que la vie sociale exige un dialogue trempé de paix, d’amour et d’un dépassement de soi, les deux conférenciers appellent les tchadiens à un renoncement de soi pour instaurer véritablement cette unité tant prônée et voulue. Pour cela, ils invitent leurs compatriotes à une prise de conscience nationale à travers le respect des principes de laïcité que sont la liberté de conscience dans le respect de l’ordre républicain, l’impartialité de l’état vis-à-vis des confessions religieuses et l’égalité de tous les citoyens.
Si la multiplicité des partis politiques est un facteur d’insatisfaction, symptomatique d’un malaise politique et social, il faut désormais prôner affectivité, coexistence pacifique et conciliante entre les membres de la communauté, estiment enfin, les serviteurs de Dieu.
Toïdé Samson