Revendiquer sans vergogne les dérives du passé et promettre dans le même temps un futur meilleur est soit symptomatique d’une inextricable schizophrénie, soit révélateur d’un cynisme des plus cruels. Car renoncer au mal en se projetant vers le meilleur requiert pour l’Homme d’éprouver du remord quant à ce mal ; autrement dit, agir pour le bien implique absolument que l’on honnisse sincèrement et activement le mal.
Depuis le coup d’Etat si gêné de dire son nom dans le sillage du décès du grand maréchal de naguère, des esprits candides au mieux, hypocrites au pis, tentent, sans argumentaire autre que leur stérile logorrhée, d’expliquer que le Tchad prend un tournant décisif, une direction positive. Sur le fond du catéchisme aussi béat qu’étriqué, quiconque pense le contraire est taxé d’oiseau de mauvais augure. Et pourtant, chaque symbole, chaque manifestation au quotidien n’apporte que son lot de preuves que l’émancipation de notre peuple restera encore longtemps une utopie. Il y a pour soutenir une telle thèse au moins trois types d’argumentation.
La première explication est d’ordre intellectuel : tous les obligés de l’immortel néanmoins défunt maréchal s’obstinent à revendiquer avec leur éternel arrogance l’héritage que toute conscience honnête et objective sait composer de ruines de tous ordres de gadoue morale et d’interminables disséminations de haine dans les cœurs des uns des autres. Revendiquer un tel legs de désastre humain au point d’en exhiber une obscène fierté ne revient ni plus ni moins qu’à nous promettre un continuum de la dégénérescence de notre mère Patrie. A défaut d’avoir le courage d’avouer que cet homme n’a fait que du mal à ce pays, les laudateurs auraient pu se taire et éviter de tenter si vainement de peindre en paradis le vieil enfer de tant d’années légué. Mais que voulez-vous? Il est insensé d’espérer qu’une telle attitude de vulgaires petites âmes qui, par leur flagornerie sans limite auront clairement contribué à la fin tragique du récent grand chef! En second lieu, l’explication est de nature politique. En effet, le nouveau premier ministre désigné par les fossoyeurs de notre ordre constitutionnel constitue l’incarnation vivante du statu quo. A fortiori, pour ne rien démentir, il aura rappelé autour de lui une immense partie des vautours dont s’entourait l’immortel néanmoins défunt maréchal pour cannibaliser la République. Pour quiconque se souviendrait encore de son programme politique faussement volontariste présenté à l’Assemblée nationale, le nouvel ancien premier ministre ne sera pas privé de scander les références au défunt maréchal, émotion feinte face à une tragédie encore brûlante ou fidélité sincère que l’animal politique espère faire parvenir outre-tombe. Une seule chose est quasi certaine : il faut clamer sa dévotion pour conserver les grâces et l’onction de l’héritier du trône, dès lors espérer mieux ce que nous avons déjà vécu sera faire preuve d’incurie. L’écrasante horde des antirépublicains d’hier continueront de creuser la tombe de la République. Enfin, venons aux considérations sociologiques : l’inclusion promise de tous les fils et filles du pays s’inscrit d’ores et déjà dans la détestable coutume de naguère. Autrement dit, tout dans les paroles rien dans les actes, s’agisse-t-il du gang usurpateur du pouvoir politique du gouvernement de transition ou d’autres postes nominatifs jusqu’ici pourvus, le déséquilibre ethnico-régional reste vertigineux. Hélas ! Les rares individus appelés pour saupoudrer cet accaparement clanique patent de la Chose Publique par un seul clan tentent de masquer la réalité en se donnant en exemples. Là où l’on parle de statistiques ces valets de service s’arcboutent sur leur insignifiant et minable nombril. Le pire, ce sont ces crétins qui, pour justifier cet état de choses, versent dans des rapprochements aussi puérils qu’imbéciles avec le tout premier régime tchadien. La posture en l’occurrence ne vaut pas seulement une lamentable acrobatie ; mais, l’ignominie y atteint son paroxysme. Pourquoi? Pour la bête et simple raison que de telles comparaisons laissent subodorer que le mal n’est jamais absolu mais toujours relatifs, ainsi, parce qu’il aura existé des génocides à travers l’histoire de l’Humanité, arracher la vie à un individu ne constitue point un crime.
Dans un esprit sain, c’est même justement parce qu’une pratique aura existé et montré sa nocivité qu’elle doit être proscrite. Esprit sain, est-ce sans doute ce qui nous fait défaut … avec autant de penchants vicieux, autant de passions toxiques que nous sommes, qui plus est loin de vouloir exhaustifs où trouver les raisons et l’énergie de l’espoir ? Notre société reste plongée et pour longtemps encore dans la puanteur des contre-valeurs parce que d’aucuns, non seulement y puisent leur salut, mais voient dans la vertu, la droiture, les valeurs, l’ultime menace ! Quoi qu’il en soit, changer est la condamnation la plus implacable de l’homme. Aussi, changerons-nous pour sûr, mais jamais avec des hommes et des femmes qui aujourd’hui nous gouvernent, jamais avec des recettes qui n’ont nulle part opéré mais que l’on s’obstine à nous imposer. Notre émancipation viendra tôt ou tard, mais seul le sacrifice suprême du peuple la fera éclore.
Béral Mbaïkoubou, Député.