Le confinement n’est pas obligé

N’Djaména a repris le cours normal de sa vie sans attendre la levée des mesures préventives contre la Covid-19,  alors que la menace de la pandémie pèse toujours. Cette situation résulte à la fois des tergiversations du gouvernement et du ras-le-bol des tenanciers des bars et restaurants ruinés par une trop longue cessation forcée d’activités.

Après avoir attendu vainement une levée totale des mesures contre la Covid-19, après la réouverture des marchés, la reprise des transports urbains et interurbains ainsi que des vols internationaux, les bars et restaurants ont spontanément rouvert leurs portes.  Les axes de N’Djaména retrouvent leur chaleur et leur agitation depuis le début de ce mois d’août. Certains débits de boissons, qui fonctionnaient clandestinement, ont décidé d’abandonner toute discrétion et ouvrent à visage découvert. Sur l’axe le plus connu sous le nom de “CA7’’ (la voie bitumée qui passe devant le commissariat du 7ème arrondissement), les bars prétendent respecter les mesures de distanciation sociale, alors que les débits de boissons sont à peine distants de 100 mètres les uns des autres. Ce qui conduit à une forte promiscuité de la clientèle. L’avenue vit au rythme de toutes les sonorités et devant chaque bar, mijotent sur des grills, des brochettes, du poisson et du poulet. Sur le trottoir, défilent des filles aux formes généreuses. Les mototaxis attendent le moindre geste des passants pour démarrer les moteurs. Ces aires destinées à combler la soif et la faim des clients, sont agrémentés d’écrans TV géants qui retransmettent des matchs de football ou diffusent les clips de divers musiciens. A 20 h, il n’y a aucune place assise disponible. Pour profiter de l’ambiance, l’unique option est de se tenir debout,  bouteille à la main. Les causeries s’enchaînent, ponctuées de rires aux éclats, et de chaudes accolades pour célébrer les retrouvailles. Une personne lâche: “enfin, on est libre de venir donner notre dîme (comprenez par dîme, venir prendre une bière; Ndlr) sans se cacher, ni surveiller le ronflement des moteurs”. Les grosses pluies qui s’enchaînent en ce début de mois, accompagnées parfois par des orages ne dissuadent personne.

Le gestionnaire d’un établissement qui retransmet  les matchs de football de la ligue européenne des champions justifie la réouverture, bien qu’irrégulière, comme un remède nécessaire. “Les gens ont souffert énormément à cause de cette histoire (Covid-19, Ndlr). Il faut qu’ils dégagent les soucis. Corona ou pas, chacun est responsable de sa survie”, défend-t-il. A la question de la transgression des mesures, le gestionnaire se montre agressif: “Vous vous croyez plus instruit? Vous pensez maîtriser les textes plus que tout ce monde ici?”. Ensuite, il se montre conciliant. “Le président de la République a dit que les mesures seront levées au plus tard le 28 juillet, nous sommes le 8 août. Ce n’est pas un oubli, c’est juste que le maréchal est très chargé”.

Sur les avenues Jacques Nadjingar et Taïwan, les devantures des bars dancings sont sorties de l’obscurité. Elles sont désormais illuminées de nuit. Les générateurs ronflent  quand la Société nationale d’électricité (Sne) n’est pas au rendez-vous. Devant un bar dancing sur l’avenue Taïwan,  un gendarme est sommé par les vigiles, de retirer son blouson kaki de peur de faire fuir les clients. Sur les pistes de danse, les clients se bousculent pour esquisser des pas oubliés depuis des mois. Quid de la distanciation sociale! Certains improvisent des évènements sur les pistes, à l’image de cette jeune fille qui a apporté son gâteau d’anniversaire pour le partager au bar.

Les cache-nez sont retirés à l’entrée des bars et servent de mouchoirs de poche pour essuyer la sueur une fois sur la piste de danse. Un client, Richard justifie pourquoi il ne porte pas son cache nez. “Tu ne peux pas hoqueter avec un masque parce que le cloisonnement entre le tissu et le gaz entraîne une brûlure sur la peau”, explique le fameux chimiste.

L’ambiance dans les bars dancing est aux antipodes du contexte pandémique. Mais les gérants ne veulent pas entendre parler de transgression des mesures barrières. Il suffit d’insister pour avoir une réponse cinglante: “On t’a envoyé? Tu es Ans (Agence nationale de sécurité, Ndlr) ou un politique?”.

Cette situation a provoqué l’ire de la Coordination nationale de la riposte contre le coronavirus qui a constaté avec regret un relâchement général de la population dans l’application des mesures barrières. “Cette baisse de vigilance peut être lourde de conséquences pour notre pays parce que c’est une porte ouverte à une nouvelle vague de la maladie comme dans le cas dans le monde”, conseille Dr Choua Ouchemi. Le médecin rappelle que “le retour progressif à la vie normale avec l’ouverture des marchés, lieux de cultes, établissements scolaires et transports urbains ne signifie pas que le coronavirus est déjà vaincu”.

Nadjindo Alex