Le Dialogue, en question

Il est désormais acquis, depuis l’intervention du Président du conseil militaire de transition (Pcmt) sur le sujet, que le Dialogue national inclusif est SOUVERAIN (Dnis) comme l’ont demandé plusieurs organisations politiques et de la société civile. Il faut juste espérer qu’il sera plus Souverain que ne l’a été la fameuse Conférence nationale souveraine (Cns) de 1993. Pour éviter tout quiproquo ou toute confusion, il serait utile de le consacrer dans un texte de grande portée.

Au-delà de la consécration de la souveraineté du dialogue, il y’a lieu de bien cerner le concept, définir sa nature et les modalités de son exercice, en s’inspirant largement des écueils qu’avaient rencontrés l’organisation, le déroulement et l’application des résolutions de la Cns.
Pour le Dnis, au moins 3 questions se posent : (i) Quel est le contenu du dialogue, (ii) Qui sont les participants à ce dialogue, (iii) Que seront les recommandations et conclusions de ce dialogue, c’est à dire leur respect et leur stricte mise en application par tous, au profit de Tous.
Le contenu du dialogue. Il devrait se concentrer sur des sujets en rapport avec ce qui a rendu l’organisation de ce dialogue nécessaire, voire obligatoire ; à savoir le changement non constitutionnel suite au décès du Maréchal, les interminables conflits armés, les fissures de plus en plus profondes constatées dans la cohésion nationale désirée par tous et les responsabilités de notre administration publique et notre appareil sécuritaire dans cette dégradation, les faiblesses de notre système démocratique dénoncées par toutes les oppositions, politiques comme armées, et qui maintiennent notre démocratie toujours à l’état de projet.
Il est utile de rappeler au passage que les violences, les répressions, les sentiments réels d’injustices, qui ont provoqués ces fissures, sont aussi vieux que le Tchad et il faut les prendre dans leur globalité, tels qu’ils ont été vécus par chacune de nos régions, communautés ou individuellement à diverses époques, pour que nous nous retrouvions tous dans ce que doit être notre Récit National impartial, fut-il brutal et dramatique. Si nous voulons d’une réconciliation durable, une réconciliation des cœurs, nous ne pourrons pas faire l’économie, à un moment ou à un autre, d’une “thérapie” collective du type “vérité, justice, réconciliation et réparation” des 62 ans de Tchad indépendant.
Pour revenir au contenu, il ne s’agit donc pas de débattre des politiques sectorielles, d’aménagement du territoire, …, mais, il faudra focaliser les assises sur la thématique de la POLITIQUE au sens large du terme. Sans langue de bois, ni tabou, engager les débats sur la reconstruction du CONTRAT SOCIAL, en commençant par la problématique du VIVRE ENSEMBLE, de sa nécessité et de son besoin. Une fois le consensus, ou mieux l’unanimité obtenue sur cette question, alors se déclineront les différents facteurs constitutifs de cet édifice, en passant en revue tout ce qu’il ne faut pas faire et qu’il faut bannir (injustice, corruption, détournement, gabegie, népotisme, impéritie, impunité, discrimination, …) d’une part, et d’autre part, en recensant les facteurs Vertueux dont ont besoin le pays et la population pour l’édification de la Nation (Justice, Egalité, Droits et Libertés, Bonne Gouvernance, …) ; et desquels découleront naturellement la Sécurité, le développement socio-économique, la prospérité et le bien-être que méritent tous les Tchadiens.
Les conclusions et recommandations découlant de ces discussions constitueront la trame de la Constitution à rédiger en même temps que peut être débattu de la forme de l’Etat (fédération ou Etat unitaire), du type de régime (parlementaire ou présidentiel) à même de réaliser ces légitimes et exigeantes aspirations.
Faute de meilleurs critères de désignation DES PARTICIPANTS et comme, matériellement et objectivement, les centaines de partis politiques et les milliers d’associations et organisations de la société civile ne peuvent tous participer à un tel débat, il reste à se contenter de l’existant en essayant de considérer la réalité du terrain. Sans porter de jugement de valeur, la scène politique nationale se compose, schématiquement de 2 CATEGORIES. Dans leur composition, ces 2 CATEGORIES peuvent rassembler l’essentiel des couches sociales du pays et peuvent se partager la sphère politique telle que constituée pour la participation au Dialogue national inclusif et souverain; la catégorie POUVOIR tel que exercé par le CMT et tous les partis et associations qui participent aux structures de la transition qu’il a mises en place, en face la catégorie OPPOSITION comprenant les forces politiques et associatives de l’intérieur et les oppositions armées. Il y’a aussi les personnes ressources, la diaspora, délégations régionales, les chefferies traditionnelles, les leaders religieux, qui par leur position transversale peuvent être dans l’une ou l’autre des deux catégories.
Mais les choses sont en réalité plus complexes que cela ne parait, parce que ces 2 catégories empiriques sont loin d’être homogènes, unies et d’accord sur tout et ont certainement des objectifs et intérêts plutôt divergents. Et la juste répartition du nombre des participants entre les différents groupes d’opinions (partis politiques et société civile), les structures actuelles de la transition, les politico-militaires suivant ce qui sortira du pré-dialogue de Doha au Qatar, sans oublier les groupes transversaux, risque d’être la première et grave source de conflit entre et au sein de ces catégories et ainsi de compromettre la tenue et la réussite d’un vrai dialogue fructueux. Ce premier écueil peut être évité, si aucun des groupes opposés n’a l’intention, pour la Qualité et la Sérénité du dialogue, de chercher à le noyauter, à prendre son contrôle, à bloquer le débat ou envisager un passage en force et si une clé de répartition équitable et consensuelle est adoptée lors des discussions préparatoires.
Une fois la souveraineté du dialogue consacrée, il reste à déterminer le sort de la TRANSITION et les modalités de mise en œuvre des RECOMMANDATIONS ET CONCLUSIONS des Assises. Il ne semble pas utile de créer une transition dans la TRANSITION. Il suffira simplement de circonscrire, dans l’Acte consacrant la Souveraineté du dialogue, à travers des amendements à apporter à la Charte de la transition, les pouvoirs et attributions des différents organes de la transition réaménagés par le Dnis. Ils sont chargés de gérer les AFFAIRES COURANTES en vue d’assurer la continuité de l’Etat et chaque structure est tenue, en ce qui concerne son domaine de compétence, d’exécuter les orientations prescrites par le dialogue, en s’abstenant de prendre des engagements envers les populations et surtout d’engager le pays sur la durée comme le fait la transition actuelle. Un rôle particulier est dévolu au Président du CMT en sa qualité de GARANT du succès des travaux du Dnis et de l’application des décisions qui en découleront.
Si les travaux techniques entrepris par le Comité d’organisation du dialogue national inclusif (Codni) ont été bien préparés et que les conclusions de pré-dialogue de Doha s’y ajoutent, les délégués se focaliseront sur l’essentiel, à savoir la thématique POLITIQUE, et si chacun des dirigeants y mettait du sien en ne pensant qu’à l’intérêt général, alors les travaux seront bouclés facilement et rapidement. Et pourra être engagée sans tarder, sur la base des recommandations du Dnis, la rédaction de la CONSTITUTION.
Préalablement à la soumission au référendum de la nouvelle constitution et parallèlement à la rédaction de celle-ci, les organes de la transition réaménagés doivent s’atteler à la mise en place des structures consensuelles et réellement indépendantes qui auront la charge d’organiser le référendum et les futures élections, celles qui auront à faire la mise à jour du fichier électoral selon le système défini par les résolutions du Dnis et à prendre toutes les dispositions nécessaires pour que ce référendum ainsi que les élections présidentielle et législatives soient organisées de la meilleure des façons ; libres, transparentes et sans contestations et crises post-électorales, c’est à dire DEMOCRATIQUES, telles que prévues par la Constitution et les textes pertinents.
Compte tenu des coûts de ces opérations électorales et pour ne pas plonger le pays dans d’interminables élections, il pourrait être envisagé le jumelage des élections présidentielles et législatives, si jamais le régime présidentiel est préféré au parlementaire par les participants au Dnis. Ainsi, les Tchadiens pourront mettre un terme à la transition et substituer à ses organes, ceux issus des élections transparentes, libres et démocratiques, la première Alternance Démocratique et civile, sur la base de laquelle seront engagés la consolidation de l’unité nationale et le développement socio-économique. Rien de tout cela ne se fera si les Tchadiens dans leur grande diversité ne se mobilisent pour les exiger aux participants du Dnis, qui sont censés parler en leur nom et travailler pour les intérêts de TOUS.

Mahamat Adoum Ismael et
Mahamat Moustapha Masri