Beaucoup des voix et non des moindres, dont celles d’illustres personnalités, s’élèvent pour proposer le Fédéralisme comme solution aux problèmes du Tchad et à travers ce texte, nous aimerions apporter notre modeste contribution à cet intéressant débat, qui oppose ceux qui approuvent à ceux qui rejettent cette idée.
Les thèses les plus diverses, aussi valables les unes que les autres sur le fédéralisme n’ont pas manqué d’inonder, par une production littéraire abondante, la sphère politico-médiatique, à travers les réseaux sociaux, les séminaires, les conférences, (…). Certains s’essaient même à dessiner la carte fédérale à 6, 7, 9 Etats fédérés sans en définir les critères et surtout en partant sur une base purement géographique, au risque de se voir rappeler de rééditer le reproche fait à la conférence de Berlin d’avoir balkanisé l’Afrique en traçant des frontières à la règle droite.
Des exemples réussis d’Etats fédéraux de part le monde peuvent être cités tout comme à l’opposé, peuvent être désignés des modèles d’organisation d’Etats unitaires donnant largement satisfaction à leur population. La fédération américaine, malgré l’irruption d’un Trump, n’a rien à voir avec la fédération de Russie, tout comme les Etats unitaires de Corée du nord et de Corée du sud n’ont rien en commun. Alors, la question que l’on doit se poser n’est pas celle de la FORME de l’Etat aussi pertinente qu’elle puisse paraître mais celle plus appropriée, à notre humble avis, de l’ETAT même, sa définition, sa gestion, son contenu, ses missions et ce qu’il recouvre. Et, la question sous-jacente est celle de la participation pleine, entière et efficace, c’est à dire Souveraine des citoyens à la gestion de cet Etat. Cette Souveraineté implique que le gouvernement et les institutions soient acceptés et voulus librement par l’ensemble des populations. Et que ceux qui auraient été désignés par les populations aient par ailleurs les qualités requises et des valeurs pour diriger et animer cet Etat pour leur compte.
Les populations attendent donc de l’Etat l’accomplissement de toutes les fonctions régaliennes et qu’il les exerce dans le sens de l’intérêt général ; elles ont besoin d’écoles et des enseignants, des hôpitaux et des soignants, des infrastructures énergétiques, routières, agricoles et pastorales, etc. S’impose alors à l’Etat une bonne gouvernance qui se fonde sur les principes de gestion responsable des affaires publiques et des ressources publiques. Tous ces principes et d’autres tout aussi importants, comme par exemple des élections conformes au droit où toutes les voix sont entendues, le respect et la protection des droits de l’homme, la lutte contre toute forme de discrimination, la promotion de la richesse qu’est la diversité, figurent bel et bien dans toutes les Constitutions, qui est la Loi suprême et souveraine.
Bien que la Constitution soit pour les gouvernants à la fois, le fondement de leurs prérogatives et la loi de leur fonction et de leur compétence, il se pose partout le problème de sa mise en pratique efficace au profit de tous les citoyens, conformément aux principes cardinaux qui la composent ; et ce, quelle que soit la forme de l’Etat. En effet, l’efficacité d’un Etat construit et fonctionnant selon les règles de l’art telles que contenues dans sa constitution ne peut varier fondamentalement en considération de la forme de l’Etat.
Nos Etats ne fonctionnent pas selon ces principes fondamentaux
Malheureusement ce problème se pose avec plus d’acuité en Afrique ; nos Etats ne fonctionnent pas selon ces principes fondamentaux et de ce fait il n’y a pas de grandes différences entre la vie des citoyens des Etats fédéraux et celle de ceux des Etats unitaires ; il y a de part et d’autre plus ou moins de démocratie ou d’autocratie, de mal gouvernance, d’injustices, de corruptions, de détournements, de gabegies, d’insécurités, des conflits confessionnels et tribaux, d’énormes retards économiques, de pauvreté, du népotisme, bref des échecs ou des manquements sur tous les plans.
Juste à nos frontières, il y a le Nigeria, qui malgré la fédération a des problèmes de droits de l’homme, des fréquents et sanglants conflits religieux et tribaux. Selon des Nigérians, pendant longtemps l’essentiel du budget de la fédération et ceux des Etats auraient été détournés par des dirigeants qui se rivaliseraient par la fortune qu’ils avaient accumulée que par la qualité et la stabilité des institutions démocratiques qu’ils auraient pu installer, par la bonne gouvernance, par le développement socio-économique qu’ils auraient pu impulser. Ces comportements ont mis à mal le tissu social nigérian, rendant pauvres des millions des Nigérians dans un pays très riche et fait ainsi le nid des organisations extrémistes et terroristes comme Boko Haram. Plus à l’est du continent, la fédération d’Ethiopie, du prix Nobel de la paix Abiy Ahmed, est confrontée aux mêmes difficultés, malgré son incontestable, néanmoins fragile, réussite économique.
Revenons au cas du Tchad. Si par exemple la fédération s’instaurait, comme partout ailleurs, c’est le gouvernement fédéral qui sera responsable de la Politique générale de la fédération, de sa défense, c’est-à-dire qui aura la maîtrise des forces armées et des services spéciaux, des relations extérieures, qui définira la politique économique et monétaire de l’ensemble de la fédération et redistribuera les richesses du pays entre les différents Etats, car faut-il le signaler, en matière d’économie et de développement ce n’est jamais du chacun pour soi, même dans un système du type fédéral. Si les populations et leurs élites ne parviennent pas à s’imposer aux gouvernants dans un Etat unitaire, ils ne pourront pas faire davantage, même dans une fédération. Parce qu’aux USA, au Nigeria, dans toute les fédérations, l’ensemble de la vie politique, fédérale ou au niveau des états fédérés, est animé et dirigé par des partis nationaux.
Nous pensons que les problèmes de notre pays sont à rechercher ailleurs, dans la manière dont il a été dirigé jusque-là. Il est indéniable que nombre des problèmes que connaît notre pays depuis les indépendances ont leur origine dans l’inefficacité et la violence de l’Administration. Pour tout dire, c’est un problème de démocratie, de justice sociale et de compétence des hommes. C’était le cas du régime qui a pris la relève de l’administration coloniale, et qui n’a pas eu les capacités et qualités requises pour consolider et transformer un Etat unitaire viable et paisible ce qui n’était que l’ébauche d’un Etat. Les régimes qui ont suivi n’ont guère fait mieux.
Les vraies origines de notre drame commun sont donc à rechercher là, et non dans une quelconque difficulté de coéxistence entre les Tchadiens. Car, quoiqu’on dise, il n’y a pas une incompatibilité de destin et d’interêts, ni une animosité ou haine particulière, entre les différentes communautés du Tchad-profond au point de rendre toute cohabitation entre elles, dans le cadre d’un Etat unitaire, impossible. Les conflits entre communautés religieuses, régionales, entre éleveurs et paysans, s’observent dans toutes nos régions et dans beaucoup de pays du monde. Peu de nos communautés ont une tradition étatique, le Tchad n’est pas la relique d’un quelconque ancien empire bâti par la force et qui aurait, pour se constituer, envahi, dominé et absorbé des Etats autrefois indépendants. Nos communautés vivent toutes ensemble et en même temps l’expérience de la genèse douloureuse d’un Etat moderne, suivant les normes internationales.
Schématiquement, dans l’Etat fédéral, il s’agit d’une superposition d’Etats fédérés autonomes politiquement et d’Institutions fédérales, dans lesquelles participent les représentants des Etats fédérés et auxquelles ces derniers transfèrent certaines attributions, (la défense, la monnaie, les affaires étrangères, …). Ce mode d’organisation peut s’appliquer à l’Etat unitaire fortement décentralisé, à la seule différence que, dans son découpage territorial, les Unités administratives décentralisées, dépositaires des pouvoirs de la République, représentent le Gouvernement central et les services déconcentrés se chargent de la gestion des services des différents ministères au niveau local.
Dans le contexte actuel de notre pays, le mode de l’Etat unitaire fortement décentralisé, présente un triple avantages : (i) d’abord, il permet de maintenir le découpage territorial actuel en 23 Provinces (ou revenir aux 9, 14 Préfectures d’autrefois) sous réserve de quelques aménagements des ressorts territoriaux, (ii) ensuite il libère les entités locales des charges découlant des fonctions régaliennes et les focalise à leurs attributions locales où elles pourront s’occuper de l’essor exclusif de leur terroir, (iii) enfin il constitue, à travers la supervision de l’Administration centrale et de celle de sa représentation locale un gage et une sécurité pour les Entités décentralisées, en ce qui concerne sa qualité de gardienne des attributions régaliennes.
Nous serrer les coudes : la seule solution
Sans être contre l’idée d’un système fédéral au Tchad, pour l’instant la seule solution et la plus simple à nos problèmes est de nous serrer les coudes et de nous battre tous ensemble, plus qu’on ne l’a fait jusque maintenant, pour l’instauration d’un véritable Etat de droit réellement Décentralisé, pour que la Démocratie, la Justice, le Développement deviennent des réalités quotidiennes, incontournables. Après cela, demain, la fédération pourra être l’aboutissement de la responsabilisation progressive des populations et de l’acquisition d’expériences et de compétence en matière de gouvernance des dirigeants locaux, dans le cadre d’une forte décentralisation et du transfert effectif de certains pouvoirs vers les collectivités locales décentralisées et démocratiques.
Mahamat Adoum ISMAEL et
Mahamat Moustapha MASRI