Le mur de Berlin des Déby

Depuis près de 6 mois, les travaux de prolongement et de curage de la tranchée du feu président Déby s’effectuent à l’entrée nord-est de N’Djaména. Ils coupent certains quartiers périphériques du centre-ville, séparant ses populations comme le mur de Berlin pendant la guerre froide.

Tel père, tel fils ! L’héritier du palais rose imite à perfection son feu père, le Maréchal Idriss Déby Itno (Midi). A la suite du défunt, c’est Mahamat Idriss Déby Itno, dit Midi junior qui fait la pluie et le mauvais temps sur les populations de la périphérie de la capitale. Pour son administration, le fils de … utilise pratiquement les mêmes ministres et conseillers de son père. La hargne contre les manifestants a repris, et il s’estime menacé par les mêmes rébellions que son père. Et comme son papa a creusé une tranchée autour de N’Djaména en 2008 pour se protéger contre l’incursion rebelle à N’Djaména, le fils perpétue le plan en curant la tranchée qui semble être engloutie par du sable.

D’après les témoignages des habitants du quartier Lamadji, le creusage du canal a commencé quelques jours seulement après le décès de Déby au front en avril dernier. Sans aucun avertissement, les habitants ont constaté un bon matin, les engins lourds “Poclain” à l’œuvre, creusant le canal sur les terrains des particuliers ou juste à côté de leurs maisons. Les bornes des terrains sont englouties. Les routes sont entrecoupées. Il faut effectuer des kilomètres pour un déplacement de quelques mètres parce qu’il faut contourner le canal. “Nous sommes de l’autre côté ici. Pour aller juste à la mosquée que vous voyez-là, nous sommes obligés de faire le contournement jusqu’à franchir le goudron pour y parvenir. Cela nous prend beaucoup de temps et parfois, les autres finissent la prière avant qu’on n’arrive.  Pour l’amour de Dieu, qu’ils nous ouvrent juste un passage ici au milieu pour que nous allions prier Dieu de nous épargner de tout ce mal”, supplie Mahamat Youssouf Adoum, habitant du quartier Lamadji. Dans ce quartier, qui a connu les premiers jours des travaux de prolongement de la tranchée ou de la digue anti-rebelles, les habitants disent avoir supplié en vain les ouvriers de leur laisser de passage. Ces travaux auraient connu un temps d’arrêt pendant la saison des pluies. Depuis septembre, ils ont repris.

De Lamadji, les travaux ont avancé un peu plus loin, au quartier Ndjari Kawass, côté nord-est de la ville. Dans ce quartier éloigné du centre-ville, c’est plutôt le curage de la tranchée anti rebelles faite il y a 13 ans par le défunt maréchal qui défraie la chronique. Ici, les habitations sont beaucoup plus serrées. Certains ont même construit sur les traces du canal. Par conséquent, le curage est entrecoupé car il faut laisser intactes les maisons et aussi quelques passages. “En 2008 quand Déby a creusé ce canal, il n’y avait presque pas de maison ici. Mais maintenant, les gens ont construit trop de maisons, les passages qu’ils laissent pour la population pourront aussi être utilisés par les rebelles. Cela ne sert à rien du tout”, critique un habitant de Ndjari Kawass dont le canal creusé passe juste au pied de son mur. Pour lui, les moyens investis dans le curage auraient pu servir à autres choses. “Au lieu de dépenser inutilement sur le canal, l’Etat pouvait utiliser cet argent pour résoudre les problèmes des diplômés sans emploi qui manifestent sans cesse ou encore construire un orphelinat”, suggère cet habitant.

Les habitants des quartiers périphériques où passent la tranchée sont conscients que son renouvellement présume une guerre en gestation. Mais pour l’instant, l’heure n’est pas encore à la grande panique. “On a peur mais on attend. Pour le moment, il n’y a rien à faire. Peut-être quand ça va chauffer, on va chercher à fuir parce que les contours de la tranchée pourraient être de véritables champs de bataille”, suppose Paul, résidant à Boutalbagara.

A Gassi, où une autre équipe vient de commencer le curage pour le joindre à l’équipe venant du côté nord, les conducteurs des Poclains ne font pas de cadeau à la population. Les traces de l’ancienne tranchée sont systématiquement curées. Pas de rue, encore moins de route. Les automobilistes doivent obligatoirement contourner de plusieurs kilomètres pour traverser. Le 12 octobre 2021, la grande voie menant à Dino, un quartier situé après Gassi est coupée par la tranchée. Les conducteurs des gros engins des travaux ont fait la sourde oreille à la protestation des usagers de cette route. Ne pouvaient passer, que les piétons, qui doivent se transformer en lézard pour profiter des petits espaces (à peine 50 cm) laissés entre les murs et la tranchée.

Heureusement, que les maisons construites sur la tranchée de 2008 ne sont pas démolies. Mais pour combien de temps se demandent les propriétaires des maisons. “Le trou arrive carrément au pied des murs. Ils sont déjà fragiles. Quand il va commencer à pleuvoir, l’eau va stagner dans les trous et les maisons vont s’écrouler. Aujourd’hui, je suis déjà un sans-abri”, pleurniche Philippe. Son voisin indexe les dirigeants qui n’aiment pas le peuple. “S’ils disent que cette tranchée est faite pour assurer la sécurité, ceux qui habitent de l’autre côté n’ont-ils pas aussi besoin d’être sécurisés? Ou bien, ils ne sont pas des Tchadiens? Le curage de ce canal explique tout simplement que les dirigeants s’en fichent de la population. C’est leur pouvoir qui les préoccupe. Les autres peuvent mourir, tant qu’ils ont le pouvoir”, s’indigne-t-il.

Lanka Daba Armel & Ngarsounda Dounbé Narcisse Stagiaire