A la veille du lancement d’une campagne de distribution des moustiquaires imprégnées, Mahamat Saleh Issakha Diar, coordonnateur du Programme national de lutte contre le paludisme a accordé un entretien à Ndjh dans lequel il fait le point de la maladie au Tchad.
Quelle est la situation du paludisme qui prévaut actuellement au Tchad?
Le paludisme est un réel problème de santé publique, que ce soit au Tchad ou en Afrique. Les données annuelles montrent à suffisance que parmi tous les décès et les cas qui ont été collectés au niveau des différents pays et au niveau mondial, l’Afrique subsaharienne représente plus de 90% de cas. Au Tchad en 2019, le paludisme a été la cause d’hospitalisation de 39% de cas, 34% de cas de décès. C’est vrai qu’en 2017-2018 le taux de mortalité était en baisse, mais en 2019 il s’est encore relevé. On a enregistré plus d’un million de cas dans les différentes structures sanitaires du pays.
Quel est le taux de mortalité lié au paludisme chez les enfants en 2019?
Les enfants représentent 44%. Dans les 44%, ce sont les enfants de moins de 5 ans. Les adolescents représentent 70% et 12% chez les femmes enceintes.
Malgré les efforts consentis par votre programme pour lutter contre le paludisme, on constate que le taux de mortalité reste toujours élevé. Qu’est-ce qui explique cela?
Le taux de mortalité a plutôt baissé cette année. Quand on prend les données des années précédentes, le paludisme représente 40% du taux de mortalité en 2017 mais aujourd’hui on est à 34%. Le taux de décès diminue, mais le nombre des cas augmente. Maintenant, on se demande pourquoi le paludisme persiste? Est-ce que les gens ne viennent pas assez souvent au niveau des structures sanitaires pour une prise en charge et être enregistrés ou est-ce que les cas augmentent parce qu’il y a eu recrudescence des cas? De plus en plus de personnes viennent dans les centres de santé, pour avoir accès au diagnostic et au traitement. Mais n’oublions pas que même ce pourcentage-là est sous-estimé, parce qu’il y a des gens qui se font traiter à la pharmacie et d’autres à la maison ou encore chez les guérisseurs traditionnels. Les cas et les décès liés au paludisme qui ne sont pas enregistrés dans un centre de santé ne sont pas pris en compte dans ces données.
Le traitement du paludisme est-il véritablement gratuit comme le disent souvent les autorités sanitaires?
Le traitement que nous mettons à la disposition des centres de santé est strictement gratuit. Dans les centres de santé tout comme au niveau des districts sanitaires, on met une grande quantité de médicaments pour la prise en charge des malades de paludisme. Au niveau des hôpitaux de référence il y a aussi une grande quantité de médicaments qu’on met à la disposition des patients pour le traitement du paludisme grave. Mais ce que nous constatons sur le terrain, les médicaments destinés pour la gratuité des soins ne sont pas bien gérés. Il y a les déperditions de ces médicaments, parfois les gens gardent ces médicaments et disent à la population que les médicaments sont en rupture et après ils les revendent. C’est ce qu’on appelle “rupture artificielle”. Mais il y a aussi des “ruptures réelles” liées à une “surconsommation”. Donc, normalement avec la quantité que nous mettons à la disposition des structures sanitaires, si la gestion est bonne, tout le monde peut en bénéficier. Le ministre de la Santé publique a fait un point de presse pour informer de la disponibilité des médicaments pour les formations sanitaires. Plus de deux millions de doses de médicaments ont été distribués au niveau national pour la prise en charge des malades et également plus de deux millions de diagnostics qui sont disposés dans les différentes formations sanitaires. Nous veillons vraiment à la bonne gestion de ces médicaments.
A quel niveau de préparation êtes-vous pour la distribution des moustiquaires imprégnées?
La distribution des moustiquaires imprégnées cette année concerne 19 provinces. Ce sont plus de 9 millions de moustiquaires qui seront distribuées. Et cette distribution est une grande campagne qui nécessite beaucoup de travail, de ressources. Elle se fera sur plusieurs phases. Nous allons commencer dans les régions ou la pluie commence tôt. La distribution va commencer en fin de cette semaine. On commence par le Salamat, le Mandoul et le Moyen Chari et la seconde phase concernera le Logone oriental, le Logone occidental et la Tandjilé, ensuite le Mayo-Kebbi ouest et le Mayo-Kebbi est. En ce moment les équipes sont déjà sur le terrain.
Ça fait déjà quelques années que le gouvernement tchadien et ses partenaires font des efforts pour éradiquer le paludisme, est-ce qu’il n’est pas temps de penser à une stratégie holistique de lutte?
La lutte contre le paludisme est une lutte multisectorielle. Il y a plusieurs autres luttes dans ce combat contre le paludisme. Il faut que les infrastructures y participent, les communes aussi parce qu’il y a l’aspect assainissement, surtout la canalisation des eaux stagnantes. Dès que les premières pluies tombent, on assiste aux inondations et c’est ce qui multiplie les moustiques qui sont la cause du paludisme. Il y a aussi l’éducation qui joue un rôle important. Une personne analphabète qui tombe malade du paludisme pense toujours que c’est la sorcellerie ou le maraboutage et elle perd le temps avec les soins traditionnels à la maison et c’est quand la situation se complique qu’elle court à l’hôpital et c’est dans ces cas que beaucoup meurent. Il y a aussi le côté social de la lutte. En effet, il faut noter que le paludisme est une maladie des pauvres. C’est seulement en Afrique que le paludisme tue le plus. A notre niveau comment faire pour sensibiliser la population, comment faire pour qu’il y ait moins d’exposition aux piqûres de moustiques, comment faire pour qu’il y ait moins de décès liés au paludisme et comment faire pour que ceux qui sont enregistrés bénéficient d’une prise en charge et d’un traitement? La lutte contre le paludisme est l’affaire du ministère de la Santé, du ministère de l’Action sociale, du ministère de l’Education nationale, mais c’est aussi l’affaire de la population.
Interview realisée par Mendjiel Virginie, stagiaire