Le Tchad est entré dans une période de haute transmission du paludisme depuis juillet et va durer jusqu’en octobre. En ce mois d’août, les hôpitaux de la capitale enregistrent de nombreux cas du paludisme malgré la prise en charge dite gratuite, les multiples campagnes de lutte contre cette maladie.
Jeudi 12 août 2021. Sous un ciel nuageux, le nombre des patients croît au centre médical de l’Ordre des maltes d’Amtoukougne.
Dans la cour, les cris des enfants fusent de partout. Dans ce centre, il n’y a pas que des enfants. Des personnes âgées y viennent également se faire soigner du paludisme. Certains parents qui ont emmené leurs progénitures pour des soins opposent une résistance aux infirmiers qui veulent les injecter contre le paludisme. “J’ai abandonné la moustiquaire imprégnée pendant un temps. Et en dormant sans elle, c’est ce qui a provoqué le paludisme chez moi”, reconnaît un patient. Par ailleurs, un autre a négligé les mesures préventives à une place mortuaire en passant des nuits à la belle étoile. “Cela fait deux jours, nous étions à un deuil. Je me suis exposé sans moustiquaire pendant les trois nuits. C’est à cet instant que le palu m’a attaqué”.
Au centre de santé d’Atrone, dans le 7ème arrondissement, le constat est le même. Yolande, une infirmière souffre du paludisme. “L’eau de la grande pluie de la semaine dernière est entrée dans notre chambre. La maison était humide pendant quelques jours, c’est pourquoi je suis tombée malade du paludisme. Les symptômes ont débuté par les maux de tête puis le vomissement. J’ai pris une perfusion et quelques comprimés, ce qui m’a soulagée”.
Dans l’enceinte de l’hôpital Sultan Kasser, ex-polyclinique, Adam Djarma se précipite vers la caissière pour payer les frais d’examen demandés par le médecin. “Je vomis depuis avant-hier nuit. Je n’ai pas d’appétit et j’ai une forte fièvre à partir d’hier soir. Le médecin a demandé que je fasse des examens mais en attendant, il m’a prescrit quelques médicaments”, explique-t-il. Dans la salle de consultation, sept agents accueillent, à tour de rôle, des dizaines de patients qui attendent sur les bancs. L’un des agents estime que le nombre des consultations en cette période est en augmentation. Les cas enregistrés sont beaucoup plus liés au paludisme. “Généralement à partir de cette période, on reçoit plus de patients que le nombre enregistré d’habitude dans cet hôpital. Si on s’en tient au nombre des consultations en cette période, c’est le palu qui a un taux un élevé. Et les chiffres sont croissants. Le pic est généralement entre août et septembre. Nous enregistrons au minimum 10 patients qui ont le palu après consultation”.
Un chiffre qui est plus élevé dans le Centre polyvalent de santé d’Ardep Djoumal mitoyen au marché Ndombolo. Ce jour-là, aux environs de 11 h, 10 à 20 patients consultés souffrent du paludisme, selon un responsable du centre. “Les données finales sont envoyées chez la responsable du centre de santé, mais les cas de consultations du palu que j’enregistre sont de l’ordre de 10 à 20 et parfois plus par jour”, déclare l’infirmier.
Des données inconstantes
Selon les données du ministère de la Santé publique, plus de 42% de consultations dans les hôpitaux sont liées au paludisme; 39% des hospitalisations sont dues au paludisme et 34% des décès enregistrés ont pour cause la même maladie. En 2019, plus de 3 400 Tchadiens sont décédés des suites de paludisme. Mais au fil des années, ces chiffres sont inconstants, renseigne le coordonnateur du Programme national de lutte contre le paludisme (Pnlp), Dr Mahamat Saleh Issakha Diar. “La situation actuelle du paludisme s’est un peu améliorée parce qu’en 2019, nous avions enregistré 3 374 décès. En termes de décès, aujourd’hui on est à 32% et en termes de chiffres, le nombre de décès est à 2 955. Il y a une diminution du nombre de cas et de décès quand on les compare à 2018 où le nombre de décès était de 41%. Aujourd’hui, nous sommes passés de 41% à 32%. Même si on régresse en termes de cas de décès, les chiffres restent alarmants. C’est la maladie qui tue plus en Afrique et au Tchad”, déplore-t-il.
Les couches les plus vulnérables au paludisme sont les enfants de moins de 5 ans et les femmes enceintes. En 2019, le taux de mortalité chez les enfants (moins de 5 ans) est de 44%. Les adolescents représentent 70% et les femmes enceintes : 12%. En 2020, Dr Issakha Diar renseigne que les enfants et les femmes enceintes représentent 70% de taux de décès soit 55% chez les enfants et 15% chez les femmes enceintes.
La nécessité d’une lutte multisectorielle
Le paludisme est la première cause de morbidité et de mortalité. Il constitue un facteur de pauvreté, selon l’Organisation mondiale de la santé (Oms). Son éradication nécessite une lutte dans plusieurs secteurs et une bonne prise en charge de la maladie. Or, dans les ménages, la situation est plus complexe. Mémadji Francine, ménagère et mère de 5 enfants conçoit autrement le traitement du palu. Alors que son troisième enfant souffre depuis plus de 48 heures, elle ne voit pas la nécessité de l’amener à l’hôpital. Elle préfère l’automédication. “Il refuse de manger. Je vais lui administrer des para et nivaquine, il recouvrira la santé d’ici peu”, espère-t-elle. Elle a reçu 4 moustiquaires et des comprimés l’année dernière, mais elle a vendu une partie (3 moustiquaires et des comprimés). De telles attitudes sont inconcevables, déplore un médecin de la consultation externe de l’Hôpital général de référence nationale. “Les patients attendent un état avancé de la maladie avant de venir à l’hôpital. Et si l’on vérifie, ils ont reçu des moustiquaires des visites des mains des agents pour la chimio prévention mais n’en ont pas fait un usage approprié. Ils jettent les médicaments quelques jours après et utilisent les moustiquaires à d’autres fins”.
Le coordonnateur du Pnlp préconise quelques stratégies à mettre en pratique pour éradiquer le paludisme. “Il faut une bonne prise en charge, une prise en charge précoce, il faut un bon diagnostic et un traitement précoce pour faire face au paludisme. La distribution de masse des moustiquaires, celle des moustiquaires aux femmes enceintes et aux enfants de moins d’un an en consultation prénatale et à la vaccination. Il y a aussi les activités de pulvérisation et de lutte anti larvaire. A côté, il y a les activités de prévention, notamment la chimio prévention du paludisme saisonnier chez les enfants de moins de 5 ans qui est comme un traitement de masse pour les enfants. L’assainissement de la ville (le nettoyage, le curage des caniveaux, la salubrité et le ramassage des ordures, le traitement des canalisations). Les pays qui ont réussi à éradiquer le paludisme c’est à travers le développement des infrastructures et les canalisations. En plus de cela, il y aussi l’aspect éducatif, la prise de conscience, la sensibilisation, la lutte contre la pauvreté, l’inondation, … C’est l’ensemble de ces activités synergiques qui peuvent offrir des jours meilleurs au Tchad en matière de lutte contre le paludisme”.
Malgré la gratuité des soins (qui n’en est d’ailleurs pas une au sens vrai du terme) et les campagnes de masse de lutte contre le paludisme, en terme de prévalence, N’Djaména est la ville la plus touchée. Le nombre des cas de paludisme et des décès est le plus élevé de tout le pays. Viennent ensuite le Mandoul, le Moyen-Chari, le Logone oriental, des provinces les plus frappées par cette maladie.
Nadjindo Alex et
Kianguinbo Nathan, stagiaire