Le temps des charlatans

L’ignorance est un lent poison dont la létalité est certaine sur l’intériorité de l’homme. Dès lors, vers quel destin court une société dans laquelle l’ignorance se trouve non seulement décomplexée, mais pire adulée et célébrée ?

Penser que le seul fait de s’imaginer ou de se proclamer savant suffirait à accéder au savoir constitue une illusion, c’est-à-dire une forme délirante de l’ignorance. Car, quiconque aspire à la lumière de la lucidité se doit en première règle de s’astreindre à quérir les connaissances sur les fonds desquels bâtir ses opinions.

Le terme d’activiste par lequel aiment aujourd’hui à se définir certains de nos concitoyens mérite à tout le moins que l’on s’en interroge, tant il est galvaudé, trempé à toutes les sauces. Tout porte à croire qu’il suffit pour quiconque d’écumer les réseaux supposément sociaux de la toile électronique, donner une opinion hasardeuse sur tout et n’importe quoi, de préférence sur ce à quoi l’on ne comprend strictement rien pour se prétendre activiste. Ainsi, par le truchement de la technologie, des aveugles ont une opinion sur la lumière et les couleurs ; les sourds sur la symphonie et les mélodies ; les non-initiés sur les rites initiatiques ; ou encore les incultes sur les méandres de la culture. Notre pays demeurera à jamais une curiosité, un objet aussi étonnant que détonnant pour l’entendement. Quelle idée peut avoir un individu de se répandre en soi-disant opinion sur un domaine qui lui est radicalement étranger ? L’ultime matrice d’une opinion sérieuse est la plausible information, le savoir. En dehors, tout ne vaut que spéculation, imposture ; le relatif anonymat que garantit le retranchement derrière un écran peut en partie expliquer cette attitude grotesque et stupide dans la mesure où cet anonymat reste de nature à désinhiber les retenus, les timidités. Cependant, même pour se croire tout permis à l’occasion du moindre voile d’obscurité, il faut être un esprit intrinsèquement retors. En effet, un esprit rangé, rigoureux, structuré, ne saurait se préoccuper des regards et autres considérations extérieurs pour s’imposer une conduite digne ; il est soucieux et jaloux de sa dignité même dans le tréfonds de son intimité …

Une chose est que des  esprits vulgaires se répandent en délires et inepties sur des supposés réseaux sociaux. Le plus affligeant est que leurs productions excrémentielles rencontrent l’adhésion des autres ; il paraît évident que lesdits autres restent des animaux de même facture intellectuelle. Toutefois, cela inquiète d’autant plus que cela donne à se faire une idée de ce qu’est la configuration culturelle et intellectuelle de notre société. Comment peut-il se faire que des attitudes aussi débiles, déversées sur la place publique rencontrent de l’adhésion plutôt que de susciter nausée et indignation ? Alors d’aucuns iront alléguer que lasser des frustrations, des injustices, des humiliations, de toutes sortes, nos populations se résolvent à faire feu de tout bois. Ce prétexte, hélas, ne résiste pas à la moindre analyse rigoureuse, car, la première victoire que l’on puisse accomplir sur son bourreau réside dans la capacité à le combattre activement, ouvertement et dans la dignité. S’il n’est aucunement contestable que face à une agression de type armée, il demeure difficile de répondre en jetant des brassées de fleurs ou en déclamant de la poésie, il reste parfaitement possible de ne point répondre à la haine par la haine, au mensonge par le mensonge, à la calomnie puérile par de l’enfantillage. Un  de nos problèmes les plus fondamentaux c’est de n’affirmer notre conscience patriotique que de manière intermittente et circonstancielle. En des termes plus explicites, selon le contexte, selon l’inlocuteur, selon notre position, nous jugeons une même chose bénéfique ou néfaste ? Est-il envisageable de construire une société harmonieuse et de valeurs dans de pareille conditions ? Assurément non, et notre très proche avenir nous en apportera une cinglante illustration.

 

Si le dialogue est bâclé, l’issue de la transition le sera tout autant

Puisque la médiocrité irrigue notre société jusqu’au sommet de l’État ; considérons un instant l’espace et par conséquent l’importance qu’accordent aujourd’hui nos gouvernants aux fameux activistes dans le processus de transition en court. Si certains peuvent peu ou prou mériter cet espace, cela est loin d’être le cas pour tous. Sans vouloir verser avec simplisme dans un procès d’intention, l’on peut subodorer avec sérieux la sournoise intention de nos actuels gouvernants de saborder le processus de la transition en bâclant et en paralysant le dialogue préparatoire à venir. Nul ne saurait prétendre ignorer que l’issue de la transition dépendra de la qualité du dit dialogue; or, celui-ci demeure tributaire du profil des hommes et des femmes qui l’animeront. Donc, si le dialogue est bâclé, l’issue de la transition le sera tout autant et d’office ; car, comment peut-on réunir des hordes de médiocres et espérer objectivement en tirer de la qualité ?

Pour tout dire, la liberté d’expression a beau constituer la pierre de touche de la démocratie, elle se doit d’obéir à des principes cardinaux. Aussi, importe-t-il que chaque citoyen exprime son opinion sur la base des connaissances, du savoir, de l’information. Une société n’exprime véritablement son Intelligence n’en jouit rationnellement que lorsque chaque faculté, chaque talent, chaque force tient sa juste place. Que des militaires veuillent troquer l’austérité de leurs  casernes contre les lambris dorés du pouvoir politique ; que le boucher ne rêve que de s’emparer du bistouri du chirurgien, en voilà le chemin le plus sûr vers le chaos. Dès lors, débarrassons-nous de nos œillères, démystifions nos petits héros et autres dieux sculptés au forceps. Sans une telle remise en cause, notre société se fera la République par excellence des imposteurs.

Béral Mbaïkoubou, Député.