L’école publique abandonnée

Le calendrier de la rentrée scolaire 2024-2025 est rendu public par un arrêté du ministère de l’Éducation nationale et de la promotion civique le 19 août 2024. Entretemps, l’état des infrastructures qui abritent les établissements d’enseignement publics laissent à désirer. 

Matinée du jeudi 22 août, devanture du lycée Félix Éboué logé dans le 3e arrondissement de N’Djaména. Si une partie du mur balayée par la peinture offre une large place à la publicité et à la sensation, l’entrée principale de l’un des plus grands d’enseignement moyen et secondaire du Tchad montre plutôt un piteux état. L’enseigne lumineuse installé en arc au-dessus du portail, qui porte le nom de l’ancien gouverneur du Tchad (19 novembre 1938 – 12 novembre 1940), et gouverneur général de l’Afrique équatoriale française, Félix Eboué, ne représente plus qu’un décor délabré. Depuis belle lurette, elle ne s’allume plus. Une aile est entièrement cassée. La peinture, couleur (bleue-or-rouge) du drapeau national s’est détériorée. Elle a subi divers aléas climatiques (rayons ardents du soleil). C’est à croire que les éléments des forces armées françaises, qui prennent l’habitude de voler au secours des établissements d’enseignement en pareille circonstance, n’empruntent pas l’ancienne avenue Mobutu.

Pour cette journée, accéder au bureau du proviseur du lycée 1 est quasi impossible. Les eaux des récurrentes pluies sous le ciel généreux de cette année ont fait leur lit sur le passage. Il faut contourner derrière les salles de classe pour y parvenir. Des fenêtres n’existent pratiquement plus dans la majeure partie des salles de classe. Des plafonds enlevés ; d’autres en état de dégradation avancée ; des toilettes crasseuses abandonnées par manque d’entretien. Certaines salles de classe sont délaissées à la merci des enfants et des jeunes qui y défèquent. Plus d’une dizaine d’habitations sont construites dans l’enceinte du lycée. En dépit de tout cela, certains pans de ce grand lycée ressemblent à un dépotoir.

Érigé comme collège d’enseignement général en 1959 et lycée une année après, le lycée Félix Eboué a été scindé en deux en 2002, face au nombre pléthorique des élèves. Il a hérité des constructions avec des matériaux de meilleure qualité qui, jusqu’aujourd’hui, si elles sont bien entretenues garderont toujours de leur éclat.

 

Le lycée d’enseignement technique et commercial

Face au lycée Félix Eboué, de l’autre côté de l’avenue Maréchal Idriss Déby Itno, se trouve un autre établissement public, le lycée d’enseignement technique et commercial. Même constat à l’entrée de cet établissement public : la grisaille. Sa clôture grillagée abrite d’un côté des vendeurs de moustiquaires et de l’autre, des cabines téléphoniques, des photocopieuses et autres étals. L’apparence des bureaux de l’administration, qui font face à l’entrée principale, est maussade. Certaines vitres des fenêtres des salles de classe sont enlevées, faute d’entretien mais les bâtisses demeurent solides.

Au lycée de Gassi, dans le 7ème arrondissement, “le diable est dans les détails”. Derrière la peinture blanchâtre, qui donnent l’impression d’un lieu d’éducation, se cache une réalité consternante. Ici, les chèvres, les poules/coqs et quelques chevaux observent en prenant de l’air dans la cour érigée en prairie.

Les bâtiments sont dans un état de ruine avancée. Des salles sans porte ni fenêtre ; des tables-bancs usés se comptant au bout des doigts ; des tableaux fabriqués en ciment qui se dégradent ; des crevasses partout dans les salles ; … Depuis belle lurette, relate la sentinelle, les brigands ont emporté les portes et fenêtres.

L’école officielle d’Ambatta dans le même arrondissement ne déroge pas à la règle de la morosité et de la décrépitude des établissements publics d’enseignement. Pour accéder à sa cour en cette période des pluies, il faut nécessairement être un sportif de talent. Les ruelles qui y mènent sont obstruées. Les riverains de l’école (qui ne reflète pas l’image d’un établissement scolaire) ont transformé les lieux en une zone d’agriculture par excellence. Sorgho, gombo, maïs, etc. y poussent à merveille. Le mât du drapeau se perd dans les hautes herbes sous lesquelles les eaux abondent. Par-ci, on aperçoit des bâtiments sans toit, par-là, des salles de classe, parfois sans table-banc, porte et fenêtre et dont l’état laisse à désirer.  Ces salles ouvertes sont des lieux de toutes sortes d’aisance, sous le regard impuissant de la sentinelle. Des malfrats et autres brigands sont les locataires des salles. Malgré l’inondation qui a occupé tous les axes qui mènent ici, les brigands et malfrats bravent les intempéries pour occuper les salles dans la journée. Ils investissent les salles de classe avec leurs psychotropes et prennent paisiblement leurs alcools frelatés. La nuit, ils reviennent avec des femmes pour s’en servir comme si c’était dans des auberges”, confie un gardien.

L’inexistence des portes, fenêtres et tables-bancs dans cet établissement est le résultat des vols perpétrés par les bandits. “Pendant la période des cours, les élèves se servent des briques et des boîtes vides pour s’asseoir”, explique un enseignant de cette école. Un grand nombre, sinon la totalité des établissements d’enseignement publics, vivent une décrépitude comme s’ils se la passaient en chaîne. Il n’y a pas d’exception. Ce qui obligerait les parents d’élèves à recourir à leurs portefeuilles à la rentrée scolaire qui pointe déjà à l’horizon.

Pour ces établissements visités, certains ont été construits grâce aux revenus du pétrole dont l’exploitation a démarré en 2003. Une vingtaine d’années à peine, ces infrastructures montrent leur défaillance comparée à celles des lycée Félix Eboué et Technique commercial, lycée de la paix (ancien lycée féminin), etc. construits sous avant ou juste après l’indépendance. Quelle résistance qui dénote un travail bien fait ! Aujourd’hui, des marchés publics de construction sont attribués par affinité aux entreprises qui peuvent laisser les 10% sans souci d’un travail de qualité. Les résultats sont là, tangibles. Sur le terrain, la solidité des bâtiments construits à l’ère coloniale et ceux récemment montés par les revenus pétroliers n’est pas comparable. Qui a dit que les Tchadiens n’aiment pas leur pays ?

 

“Un esprit sain dans un corps sain”

A l’approche de la rentrée scolaire, les salles de classe, souvent sans mobilier adéquat, exposent leur caractère vétuste et insalubre. Ce désintérêt institutionnel de l’école publique se traduit par l’absence de réfection et de mise à jour des équipements nécessaires à un apprentissage de qualité. Si l’on part du postulat selon lequel il faut “un esprit sain dans un corps sain”, il faut reconnaître que l’échec à grande échelle des établissements publics aux examens nationaux ces derniers temps dépend de ces mauvaises conditions de travail. En effet, depuis cinq ans, les établissements publics peinent à se faire une place au soleil lors des examens nationaux, notamment le baccalauréat. Ce sont les établissements d’enseignement privés qui ont pion sur rue. Cette tendance creuse un gouffre béant entre les écoles privées et publiques. Elle augmente davantage l’inégalité des chances pour les enfants issus des familles moins favorisées. Les résultats du bac de 2024 l’ont illustrée à suffisance.

En outre, cette situation a des répercussions graves sur la société tchadienne. Car, la dégradation des écoles publiques reflète une inégalité croissante dans l’accès à une éducation de qualité. Dans l’un ou l’autre cas, il faut admettre que la crise des écoles publiques au Tchad est un problème complexe qui nécessite une réponse urgente et coordonnée. Dans cette logique, les autorités doivent reconnaître l’importance cruciale de l’éducation publique et investir dans l’innovation du système et la rénovation des infrastructures scolaires. Des politiques efficaces doivent être mises en place pour garantir, indépendamment de leur origine socio-économique, l’accès à une éducation de qualité à tous les enfants tchadiens.