Les changements climatiques menacent le Tchad

Le Tchad est considéré par la communauté scientifique internationale comme l’un des “hotspot” en matière de changements climatiques, en raison de profonds dérèglements météorologiques qu’il a subis au cours des deux dernières décennies. Koularambaye Koundja Julien, expert environnementaliste et consultant en parle dans cette interview exclusive accordé à Ndjh.

Comment définissez-vous les changements climatiques ?

Les changements climatiques tels que définis à l’article 1 de la Convention-cadre des Nations-unies sur les Changements climatiques (Ccnucc) sont des changements de climat, attribués directement ou indirectement à une activité humaine altérant la composition de l’atmosphère mondiale et qui viennent s’ajouter à la variabilité naturelle du climat observée au cours des périodes comparables. Cette convention établit une distinction entre le changement climatique qui peut être attribué aux activités humaines altérant la composition de l’atmosphère et la variabilité climatique due à des causes naturelles. Les changements climatiques, au sens large, constituent un problème global, puisque les émissions de chaque acteur ont des répercussions sur tous les autres acteurs. Face aux défis posés par les changements climatiques, la réalisation de l’émergence du Tchad à l’horizon 2030 nécessitera de relever ces principales contraintes environnementales par la promotion d’actions d’adaptation et d’atténuation conformes aux principes de développement durable.

  Quelles sont ses causes et conséquences sur la vie de la population tchadienne ?

Les changements climatiques au cours de ces dernières décennies au Tchad montrent, à l’image des pays de l’Afrique au Sud du Sahara, des variations des précipitations marquées par une brusque alternance d’années humides et sèches,  une augmentation des températures et une recrudescence des phénomènes météorologiques extrêmes. Une étude récente classe le Tchad parmi 186 pays dans le monde, comme étant le pays le plus vulnérable face au réchauffement climatique. En effet, l’économie du Tchad repose sur le secteur primaire (agriculture, élevage, pêche, etc.). Près de 80% de la population est constituée de ruraux qui s’adonnent à ces activités. Or, celles-ci dépendent étroitement du climat et ses variations. Ainsi, les aléas climatiques affectent directement les 4/5 des Tchadiens et indirectement l’ensemble du pays. Au cours des trente dernières années, le pays a subi plus d’une quarantaine de catastrophes naturelles, affectant plus de 5 millions de personnes et des pertes économiques importantes. Cette vulnérabilité climatique est aggravée par un certain nombre de facteurs liés aux faibles capacités institutionnelles, à la pression humaine sans précédent sur les ressources naturelles et aux conflits internes et externes.

Aujourd’hui, les effets de changements climatiques sont perceptibles au Tchad. Ils sont importants sur les grands systèmes hydrographiques que sont les bassins du lac Tchad, les systèmes agro-sylvo-pastoraux, halieutiques et humains. Ils impliquent des dysfonctionnements des saisons agricoles, des perturbations des cycles biologiques des cultures et une baisse des productions agricoles.

Les principaux secteurs clés impactés par les changements climatiques au Tchad sont entre autres : l’agriculture, l’élevage, la pêche et l’aquaculture, les ressources en eau, les peuplements humains, la santé et nutrition.

  Quelles sont les stratégies mises en place par le gouvernement tchadien pour lutter contre les effets néfastes des changements climatiques ?

Les stratégies ou initiatives du gouvernement actuelles pour lutter contre les effets de ces changements climatiques au Tchad sont à trois niveaux : la mise en place de politiques, stratégies, programmes et plans nationaux d’adaptation aux changements climatiques ; la mise en place de projets terrain d’adaptation aux changements climatiques au niveau national et le renforcement du cadre institutionnel réglementaire. A ce titre, deux institutions nationales ont entrepris des démarches pour être accréditée comme entité nationale de mise en œuvre. Il s’agit du Fonds spécial pour l’environnement (Fse) pour le Fonds d’adaptation et le Fonds national de l’eau pour le Fonds vert climat. L’accréditation permettra au Tchad d’avoir un accès direct au financement de ces Fonds climatiques pour mettre en œuvre des projets et inverser la tendance.

  Que dites-vous aux Tchadiens pour leur permettre de prendre conscience de ce phénomène réel qu’est le changement climatique ?

L’un des plus grands défis auxquels l’humanité fait face aujourd’hui est le changement climatique. Ainsi, face aux effets des changements climatiques cités ci-haut, il est important et urgent que les Tchadiens changent de comportement pour s’adapter aux changements climatiques. Or, au Tchad, les lacunes qui empêchent la prise en compte de ce phénomène sont entre autres : la faible compréhension du concept des changements climatiques par une grande partie de la société ; l’analphabétisme et la faible implication des femmes. Comme obstacles : la faible intégration des politiques des changements climatiques dans les politiques nationales et sectorielles ; la faible capacité des moyens d’existence (physique, national, social, institutionnel,) des communautés ; la non prise en compte des changements climatiques dans le budget général de l’État.

Pour une bonne prise de conscience du phénomène réel de changement climatique, il faut un renforcement des capacités humaines, institutionnelles, techniques, financières et le transfert des technologies. Pour ce faire, le gouvernement à travers le ministère en charge de l’Environnement, les Ongs et la Société civile doivent : informer, éduquer et communiquer avec la population sur les risques climatiques et les technologies d’adaptation (développement des capacités des populations à réagir) ; renforcer les aptitudes des acteurs (surtout femmes et agriculteurs) sur de nouveaux itinéraires techniques dans le cadre de modes de production intensifiés et durables ; appuyer la recherche et encourager les transferts de technologie entre les organismes de recherche et les acteurs agro-sylvo-pastoraux ; soutenir les institutions à définir des priorités en matière d’adaptation selon les secteurs socio-économiques en fonction des besoins de la population et favoriser la cohérence intersectorielle, notamment lors de l’élaboration du Plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc).

Qu’attend le Tchad pour finaliser son Plan national d’adaptation au changement climatique ?

Le Plan national d’adaptation au changement climatique est un document de planification qui vise à promouvoir, à moyen et à long termes, l’intégration de l’Adaptation aux changements climatiques (Acc) dans les politiques et stratégies de développement du pays afin de réduire la vulnérabilité des secteurs de développement et de renforcer leur résilience. Le processus comprend deux étapes : l’étape de préparation marquée par l’identification et le recensement des informations disponibles et celle de la formulation et de la diffusion.

Le Tchad, à l’instar des autres, s’active à élaborer son Pnacc. Des initiatives sont en cours avec le Pnud et le Pnue.  Malheureusement, la définition du mandat et la mise en place du comité technique de coordination du processus d’intégration de l’Acc dans la planification et la budgétisation au Tchad par arrêté interministériel n’est pas opérationnelle à ce jour et le renforcement de capacités des membres du comité technique de coordination et des acteurs sectoriels qui constitue le préalable de tout processus du Pnacc n’est pas mis en œuvre. Par conséquent, le Tchad a intérêt à mettre le bouchon double pour rattraper ce retard.

Interview réalisée par

 Modeh Boy Trésor