“Les gens n’ont pas la culture de l’invention”

En prélude à la 59ème session ordinaire du conseil d’administration,  les experts de l’Organisation de la propriété intellectuelle (Oapi) se sont réunis du 5 au 10 décembre à N’Djaména. Le représentant de l’Oapi au Tchad, Saad Chérif Ahmed dresse dans cette interview, l’état de la propriété intellectuelle au Tchad.

Pourriez-vous présenter succinctement l’Organisation de la propriété intellectuelle à travers son conseil d’administration qui se tient actuellement à N’Djaména?

L’Organisation de la propriété intellectuelle regroupe 17 pays africains. A son conseil d’administration, chaque pays membre envoie deux experts. Ceux-ci étudient les dossiers présentés par la direction générale avant de les soumettre aux représentants des Etats qui sont des ministres, administrateurs de leurs pays respectifs. Parce que les administrateurs n’ont pas de temps pour étudier les volumineux dossiers. La rencontre des experts se tient est en prélude au conseil d’administration qui donne à l’organisation des orientations politique, économique ou financier. Ainsi, les experts, pour aider l’administration à ne pas prendre des décisions hâtive et erronées, étudient point par point les sujets inscrits.

Le brevet a-t-il un coût?

Quand on crée ou quand on fait une invention, il faut un brevet pour la protéger. Pour avoir le brevet, il faut payer de taxes pour qu’on puisse vous prêter cette invention. Mais on s’est rendu compte qu’il y a des gens qui ont de connaissance et qui ont créé quelque chose mais n’ont pas de moyens de protéger leur création. Le cas des jeunes par exemple. Les taxes sont très chères. Les firmes internationales peuvent payer des millions pour protéger leur invention mais pour un étudiant, ce n’est pas évident. Un étudiant peut faire une invention mais s’il ne la protège pas, quelqu’un peut la lui piquer. C’est pourquoi nous avons pensé à subventionner les brevets des inventions des ressortissants des pays membres qui n’ont pas de moyens. Et pour ceux qui ont les moyens, on leur réduit les taxes.

Qu’en est-il pour la réforme du Salon africain de l’invention et de l’innovation technologique?

Quand on crée quelque chose et  pour qu’elle puisse avancer, il faut tout le temps la modifier. La réforme c’est quand on teste un système et qu’on veut l’améliorer.

La 58ème session de Dakar en 2018 a approuvé le projet de mise en place d’un système d’information stable et performant pour améliorer la qualité des services de l’Oapi. Quel bilan peut-on déjà en tirer?

Pour ce projet, on est en train d’étudier sa mise en place. On évalue ce qui est fait et ce qui reste à faire. Le système a été mis sur pied mais ça demande beaucoup de moyens. Déjà, un tiers du système fonctionne. Il s’améliore au fur et à mesure, par ce que le système d’information, c’est la nouvelle technologie et ça évolue d’une manière correcte.

  Au classement de 2018, le Tchad tient la queue avec seulement 6% de demande de brevet et 0,34% pour les demandes de marque de produits et services. Qu’est ce qui peut justifier ces faibles pourcentages?

Il y a deux mobiles. Le premier, c’est que les gens ne sont pas informés. En ce qui nous concerne, nous venons de prendre les rênes de la représentation. C’est pourquoi, nous avons sollicité que le conseil se tienne ici. Il y a quelques mois, nous avons demandé aussi que la journée de propriété intellectuelle soit également célébrée ici. Par ces activités, nous sommes en train de mobiliser et de sensibiliser les gens pour qu’ils comprennent ce qu’est la propriété intellectuelle. Beaucoup de nos intellectuels, même les chercheurs ne maîtrisent pas l’essence de la propriété intellectuelle.

De deux, les gens n’ont pas la culture de l’invention, de l’innovation, de protection des marques. Vous voulez par exemple créer un bureau d’études. Comme vous êtes intellectuel, vous créez  un logo, une marque et un nom commercial par exemple N’Djamena Hebdo. Je suis sûr que N’Djamena Hebdo n’a pas été protégé. Or, c’est un nom commercial et vous avez même votre logo qu’il faut protéger. Aujourd’hui, si je veux vous emmerder, je crée N’Djamena Hebdo bis, personne ne peut me dire pourquoi vous avez fait ça. Parce que vous n’avez pas le moyen de justifier que ça ne m’appartient pas. Donc, les intellectuels eux-mêmes ne comprennent pas la réalité des choses. Avoir son brevet permet de protéger son invention et de la vendre.

Prévoyez-vous d’autres moyens de sensibilisation?

Oui. Pour l’année 2020, nous sommes en train de chercher les moyens pour sensibiliser les membres de la Chambre de commerce, d’industrie, des mines et d’agriculture. Nous avons demandé qu’on puisse former les jeunes dans le domaine de la propriété intellectuelle. Pour ce faire, tout récemment, nous avons envoyé des affiches dans les universités, à l’Ecole nationale d’administration, à la Chambre de commerce pour demander aux jeunes de s’inscrire. Parce qu’on nous a accordé des places pour  la formation des jeunes dans le domaine de la propriété intellectuelle. A leur retour, ces jeunes viendront informer les autres. Nous cherchons également des moyens pour sensibiliser les opérateurs économiques et les jeunes qui, ont beaucoup d’idées. Il y a un jeune homme qui nous a fait un schéma montrant comment il peut collecter les déchets de légumes pour composter et en faire un gaz butane avec les matériels qu’il faut.

Interview réalisée par

Lanka Daba Armel, stagiaire