Les manifestants ont tenu tête

Bien qu’interdites, les marches prévues le 06 février ont bel et bien eu lieu. La hargne des agents de force de l’ordre et de sécurité à réprimer violemment les manifestants n’a pas empêché ces derniers de marcher contre la candidature du président Idriss Déby Itno aux présidentielles d’avril 2021.

Les dispositifs militaires/sécuritaires impressionnants n’ont pas apeuré les manifestants. Dès le début de la semaine dernière, les hart-up du Gmip (Groupe mobile d’invention policière) ont sillonné les quartiers de N’Djamena et ont pris position aux différents ronds-points. Dans certains de ces ronds-points, les passants étaient fouillés sans aucune raison. Pendant que les rumeurs circulaient sur la marche du 6 février, le ministre de la Sécurité publique et de l’migration, Mahamat Tahir Orozi, a, par un arrêté signé le 1er février, interdit les marches prévues les 04, 05, 06 et 07 janvier estimant qu’elles étaient susceptibles d’engendrer des troubles à l’ordre public. Mais le 03 février, le “Consensus d’actions républicaines de progrès’’ constitué des leaders tels que Mahamat-Nour Ibedou, Clement Abaïfouta (Avchh), Hissa Hissein (Prn-Ppl), Mahamat Oumar Brahim (Conajepdt), Jean-Michel Djerané (Ctpd), Max Loalngar (Ltdh) Masra Succès (Les Transformateurs) a fait un point de presse pour maintenir la marche. Car, “désobéir à une loi injuste est un devoir civique’’ ont-ils dit. “Une marche pacifique ne peut pas constituer un trouble à l’ordre public’’ a rajouté Me Max Loalngar, président de la Ligue tchadienne des droits de l’homme (Ltdh).

 

Le film du 06 février

C’est avec ce bras de fer entre le ministère de la sécurité publique et de l’immigration et le “Consensus d’actions républicaines de progrès’’, qui disait marcher pour “la justice, l’inclusion et l’alternance en 2021’’, que s’est déroulé le film de la  journée du samedi 06 février. Le coup d’envoi a été donné dans le 1er arrondissement, suivi par le 5e arrondissement et quelques quartiers du 7e arrondissement. A 09 h moins, alors que les citernes à eaux chaudes et quelques véhicules pleins des éléments du Gmip étaient parqués depuis deux jours au terrain Koulamah à Abena, à un jet de pierre du siège du parti “Transformateurs’’, des coups de sifflets retentissent dans les environs. C’est le silence total dans le secteur. Les habitants se positionnent devant leurs maisons pour attendre l’affrontement.  Les éléments du Gmip tendent leurs oreilles, tels des loups assoiffés à la recherche de leur proie. Deux minutes après, ce sont plus d’une trentaine de jeunes, avec en main les couleurs nationale, chantant la Tchadienne, défilant vers le sièges des “Transformateurs’’. Pendant ce temps, les moteurs vrombissent, les citernes cherchent des angles de tir d’eau et les éléments chargent les gaz, vérifient l’etat des armes en main. Soudain, les véhicules du Gmip foncent sur eux en toute vitesse, larguent des gaz lacrymogènes. La foule se disperse, rentre dans les concessions environnantes, d’autres manifestants sont rattrapés puis arrêtés. Quelques temps après, les jeunes ressortent, recommencent à siffler, mais, sont pourchassés à tout moment par les agents des forces de l’ordre qui ont suffisamment utilisé leurs stocks de gaz lacrymogène. Un groupe de femmes à moitié nues, mains sur la tête ou levées, se réunissent derrière les bâtiments scolaires proches du terrain koullamalh et tentent de rejoindre le siège des Transformateurs. Elles sont prises en chasse par derrière  par trois véhicules de Gmip. L’objectif est clair, empêcher la foule de rejoindre le siège par tous les moyens. “Nous voulons l’alternance. Si nous étudiants, élèves ou chômeurs avons le temps de manifester, cela veut que le régime  a failli. Nous allons continuer à le faire jusqu’à satisfaction. Plus de Mps !’’, avance Stéphane, un manifestant, l’air déterminé. En jouant au gendarme et au voleur, les manifestants ont pu marcher, parfois à plus d’un kilomètre, brulant des pneus dans les rues secondaires et sur le goudron. Les quartiers, tels Gassi, Atrone, Abena, Chagoua ou Moursal, ont été sous la fumée des pneus brulés  et des gaz lacrymogène.

Masra succès a réussi à faire un petit pont aux agents de forces de l’ordre postés devant son siège pour lancer la marche à Farcha dans le 1er arrondissement municipal de N’Djamena. Mais il ne sera pas libre pas pour longtemps. A la fin de la matinée, lui et quelques marcheurs se donnent rendez-vous dans le carré de l’ambassade des Etats-Unis. Ils  se mettent à genoux, chantant l’hymne national et retransmettant la scène. La police leur largue des gaz lacrymogène. En essayant d’aller trouver refuge à l’ambassade des Etats-Unis, quelques-uns sont pêchés par les agents des forces de l’ordre, dont Mahamat-Nour Ibedou. Masra succès, lui, échappe de justesse et se réfugie avec le coordonnateur provincial, Jean-Michel Djerané de Ctpd, le parti de Laoukein Medard et quelques manifestants, à l’Ambassade étatsunienne. Son conseiller politique, Don Eber, parti diriger la marche dans le 3ème arrondissement  a été annoncé disparu pendant plusieurs heures avant que lui-même ne fasse un post Facebook, tard dans la nuit, pour dire qu’il s’était caché pendant plus de 4 heures dans la boue et sous les épines car, il était poursuivi par les éléments du Gmip et de l’Ans.  Fatimé Abdelkerim Soumaila, trésorière des “Transformateurs’’ ou encore Mahamat Oumar de la Conajepdt ont été arrêtés. Une vingtaine des manifestants ont connu le même sort à Doba, dans le Logone oriental. Les manifestations ont également eu lieu au Cameroun, aux Etats-Unis ou encore en France. A N’Djamena, un hélicoptère militaire a été obligé de survoler la ville pour contrôler la ville.

Paul Manga noircit le tableau

Après la marche, le porte-parole de la police nationale, Paul Manga a fait un point de presse, dans la soirée, pour, dit-il, faire la situation partielle des manifestations. Alors que les journalistes invités au point de presse s’attendaient à recevoir le nombre des personnes arrêtées, Paul Manga a pris tout le monde de court en présentant la police nationale comme victime de ces manifestations. “Lors de ces manifestations, des véhicules de la police nationale ont été endommagés, des policiers blessés, des rues barricadées et des pneus brulés sur la voie publique. Des groupes des manifestants, ayant à leur tête, le président des Transformateurs, ont violé les locaux de l’ambassade des Etats-Unis au Tchad et ont violenté les policiers postés devant celle-ci. Chose inadmissible. Ce qui a poussé la police nationale à interpeller quelques individus pour trouble à l’ordre public, atteinte à l’intégrité physique des agents et destruction des biens publiques. Ces individus interpellés seront mis à la disposition de la justice pour répondre de leurs actes’’ a verbiagé Paul. Que diront les gens qui ont vu leur sang couler, les gaz lacrymogène  tomber dans leurs concessions et asphyxier toute la famille ?

24 heures plutôt, les diplômés en instance d’intégration ont été étouffés dans leur marche au rond-point centenaire. Les 13 manifestants ont été embarqués par les éléments de Gmip. Lors de leurs transfèrement dans les locaux des renseignements généraux, 6 ont sauté du véhicule, mais, les 7 autres ont été maitrisés et mis aux arrêts.

Lanka Daba Armel  et Nadjindo Alex