Au cours d’une audience avec le Premier ministre de transition, Saleh Kebzabo en juillet dernier, les opérateurs économiques se sont plaints de la justice. Ils estiment qu’elle impose systématiquement des amendes injustifiées et des dommages et intérêts exorbitants sur les dossiers des contentieux opposants les entreprises aux employés.
Les opérateurs économiques plaident pour que la justice dilue ses décisions pour permettre aux entreprises d’éviter des crises financières dues aux contentieux en justice. Dans leurs plaintes, ils estiment que la justice milite pour la faillite des entreprises. “Certaines entreprises pensent qu’elles sont victimes d’injustice dans le traitement des dossiers des contentieux à la justice”, déclare le président de la Chambre de commerce, Ali Adji Mahamat Seïd. L’opérateur économique, Ibrahim Malloum, confirme la déclaration du président de la Chambre de commerce, d’industries, d’agriculture, des mines et artisanat (Cciama). Selon lui, “quand une entreprise a un problème en justice, elle a 99% de chance de perdre. Il y a des amendes injustifiées et fiscalités qui pèsent sur elle”. “La justice est en train de contribuer à la fermeture des entreprises. Les dommages et intérêts que certaines entreprises sont condamnées à payer dépassent parfois leurs chiffres d’affaires”, renchérit Allaïssem Bienvenu, secrétaire général du Conseil national du patronat tchadien. En soutient aux opérateurs économiques, le ministre des Finances, du budget et des comptes publics, Tahir Hamid Nguilin, ajoute : “ce sont des milliards de francs CFA qui sont débloqués chaque année, pour faire face à ces condamnations”. C’est pourquoi, il y a assez de plaintes sollicitant le gouvernement de plaider auprès de la justice afin qu’elle dilue ses condamnations. Ils estiment que la justice prend systématiquement parti lorsqu’un contentieux oppose un individu à une entreprise. Ces arguments équivalent, selon les militants des droits de l’homme, à demander la permission de mal se comporter sans avoir à répondre de ses actes.
En réalité, dans ce débat entre les employés des entreprises et les entreprises en procès, la justice est plutôt victime, confie un analyste. Car selon lui, les opérateurs foulent pour la plupart aux pieds les textes de la République, c’est pourquoi, ils sont souvent mis en cause.
Aussi, contrairement aux plaintes des opérateurs économiques, plusieurs employés des entreprises retorquent et se plaignent également du refus des chefs d’entreprise d’exécuter les décisions judiciaires. “Je suis victime d’un renvoi abusif. Après, l’inspection de travail, nous sommes allés au tribunal. La justice a condamné l’entreprise à me verser mes droits sociaux d’un montant de près de 8 millions et les dommages et intérêts de près de deux millions de francs CFA. Toutes les voies de recours sont suivies jusqu’à l’obtention de l’acte de non-appel et de non-opposition, une ordonnance de désignation d’un cabinet d’huissier, la grosse du jugement, la signification d’un commandement de payer, par un huissier, etc. Mais cela fait près de deux ans que rien n’a été fait. La justice se laisse marcher dessus par des opérateurs économiques qui se comportent en tout-puissants”, se plaint un justiciable. Comme lui, plusieurs autres se plaignent de l’influence des opérateurs économiques sur les juges.
Des entreprises victimes de leur propre turpitude
La plupart de ces opérateurs économiques qui se plaignent sont soit victimes de leurs “ignorance” ou de leur manque de sérieux. Par peur de dépenser, ces chefs d’entreprises trouvent toujours les moyens de contourner la légalité. La plupart d’entre eux ne paient pas les patentes, les taxes et les droits sociaux des employés. Pour mieux exercer dans l’illégalité, ces opérateurs économiques refusent délibérément de s’offrir des services juridiques, analyse un juriste d’affaires pour qui, dans beaucoup d’entreprises, le service juridique est confondu à celui des ressources humaines. Or, ce service a effectivement pour mission primordiale de trouver des solutions aux problèmes sur le plan juridique au sein de l’entreprise sans aller au tribunal. De plus, c’est une structure qui s’assure que l’entreprise fonctionne dans le respect des textes qui régissent son domaine d’intervention. Selon le cabinet “Traite-simplifié”, la vie juridique de l’entreprise dépend donc du service juridique. A cet effet, les opérateurs économiques gagneront mieux à intégrer la légalité que de demander au pouvoir exécutif d’interférer dans les affaires judiciaires. Faut-il leur rappeler que la justice est un pouvoir à part entière ?
Djéram Firmin