“Les pilotes vont décoller à leurs risques et péril”

En date du 22 juillet 2020, l’Inspection générale d’Etat (Ige) a suspendu tous les agents (162) des Activités aéronautiques nationales du Tchad (Aant) de leurs fonctions, alors qu’ils sont un maillon clé pour la sécurité de la navigation aérienne.

Cette décision fait suite à une mission de contrôle diligentée début juillet par l’Ige au sein de cette unité aéronautique dont la gestion a été officiellement transférée en novembre 2019 au gouvernement du Tchad par l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (Asecna).
Après analyse de la situation du personnel, l’Ige a relevé que le personnel des Aant représente une masse salariale annuelle de 1.549.217 francs CFA. Ensuite, la vérification des dossiers de chaque agent a permis à la mission de constater que 83 agents émargent sans aucun contrat de travail écrit avec la délégation de gestion. Par ailleurs, 40 agents sont recrutés sans le visa du contrôleur financier, et 31 autres sont recrutés sur la base de faux diplômes. Ce n’est pas tout. L’Ige constate également que l’ex-ministre de l’Aviation civile et de la météorologie nationale, Mahamat Tahir Orozi, a nommé un responsable de gestion des Aant alors que cette fonction ne figure ni dans l’organisation de l’Autorité de l’aviation civile (Adac) ni dans celui des Aant. Celui-ci, à son tour, nomme un payeur “en violation des textes transférant à l’Adac la gestion des Aant”.
“Plus grave, tous les agents des Aant continuent à percevoir leurs salaires et à bénéficier des mêmes avantages que ceux perçus sous le régime du contrat de délégation de gestion résilié”, souligne le chef de mission de l’Ige, Djékodjimgoto Mbaïnadjiel Constant, dans une correspondance du 6 juillet, portant notification des constats relatifs à la situation du personnel.
L’inspecteur d’Etat souligne que cette situation est en contradiction avec les dispositions du contrat de délégation de gestion dont la résiliation entraîne ipso facto la résiliation de tous les contrats de travail du personnel.

Réactions
Dans une correspondance envoyée à l’Ige, le 16 juillet, en réponse aux constats de l’équipe de la mission, le responsable des Aant fait le point des différentes irrégularités pointées par l’Ige. Saleh Mahamat Ali, justifie que les 83 agents qui sont accusés par l’Ige d’avoir émargé sans contrat sont bien des agents d’encadrement et d’exécution sous contrat écrit avec les Aant. “Lors de la signature du contrat de délégation de gestion des Aant en 2011, la liste de leurs noms figure en annexe consacré à la situation du personnel. Par conséquent, ils sont transférés par l’Etat à l’Asecna au moment de la signature dudit contrat. D’ailleurs l’article 46 dudit contrat stipule que seuls les agents recrutés et/ou affectés au service des Aant et placés sous l’autorité de l’Asecna peuvent émarger au budget”, explique-t-il. Sur la procédure de recrutement des 40 agents, le responsable justifie qu’il s’agit des agents d’exécution qui ont été recrutés en application des dispositions relatives à leur catégorie. “Les contrats sont établis localement, après autorisation de la direction générale et du visa du contrôleur financier. Dans le cas d’espèce, ces contrats sont réguliers et conformes au statut spécifique du personnel et aux procédures de l’Asecna”, poursuit-t-il. Pour les 31 agents qui seraient recrutés sur la base de faux diplômes, le responsable des Aant fait savoir qu’il revient à chacun de ces agents de se justifier. Aussi, souligne-t-il, sa nomination en tant que responsable des Aant relève de la compétence de la hiérarchie, à savoir le ministre de l’aviation civile et de la météorologie.

Le jeu de l’Adac
Malgré les explications des responsables des Aant, l’Ige sort une note le 20 juillet 2020, pour enjoindre au responsable des Aant et tous ses collaborateurs de restituer tous les véhicules et autres moyens de travail mis à leur disposition. Pour l’Ige, tous les contrats de travail sont suspendus. Même le salaire du mois de juillet est gelé.
Entretemps, au niveau de l’Autorité de l’aviation (Adac), un avis de recrutement des nouveaux agents est engagé. Alors que le contentieux reste pendant, l’Adac a lancé, le 23 juillet, un avis de recrutement des observateurs météorologiques, contrôleurs aériens, techniciens d’informations aéronautiques, plombiers d’aérodrome et autres catégories d’agents de maintenance, pour les déployer sur les sites des aéroports et aérodromes à l’intérieur du pays. Un avis déjà clos le 27 juillet 2020, soit 4 jours seulement après le lancement.
La situation oblige les syndicats et délégués du personnel des activités aéronautiques du Tchad à demander aux agents de suspendre toutes activités dans tous les aéroports depuis le 23 juillet. “Nous alertons les usagers de l’air, l’opinion nationale et internationale qu’à compter de cette date aucun service ne sera effectué dans les aéroports d’Abéché, Moundou, Faya, Amdjarass et les stations météorologiques de Fada, Biltine, Ati, Mao, Mongo, Am-Timan, Bokoro, Bongor, Bousso, Pala, Laï, Doba et certains services au sol à N’Djaména tels que le péril animalier, techniciens aérogare, techniciens affichage vol, service commercial, facturation, etc. Par conséquent, tout avion qui veut effectuer un vol vers ces aéroports le fera à ses risques et péril”, souligne les syndicats dans une note d’information.
Réunis en assemblée générale le 29 juillet au siège des Aant à l’aéroport international de N’Djaména, le personnel affiche sa détermination de se faire entendre dès la réouverture des vols prévue pour le samedi 1er août 2021. “Nos diplômes ne se vendent pas dans les marchés noirs de N’Djaména et, si l’Ige nous attaque malgré la nature spécifique de notre service, nous allons montrer notre force. Les gens veulent juste renvoyer certains agents pour les remplacer par leurs frères et sœurs, mais qu’ils sachent que certains d’entre nous sont dans ce service depuis 30 ans et s’apprêtent même à aller en retraite”, fustige Mahamat Brahim Diko, le porte-parole du collectif des syndicats du personnel des Aant.

Alladoum Leh-Ngarhoulem G.