Les vérités de Trégoat

Emmanuel Trégoat, le sélectionneur national des Sao football, dans une interview exclusive accordée à votre journal, explique pourquoi rien ne marche comme il faut. Mais en bon technicien il s’assume, demeure lucide et optimiste.

Monsieur le sélectionneur, pourquoi ça ne marche pas comme il faut avec les Sao ?

C’est une très grande question. Il y a beaucoup de paramètres qui entrent en ligne de compte. Le premier est que le football au Tchad est resté inactif pendant quatre ans, alors que les autres pays ont travaillé. Pendant quatre ans, il n’y a pas eu des regroupements, matchs amicaux ou stages. Les joueurs ont vieilli sans jouer ensemble et les automatismes ont manqué. Le deuxième est qu’il y a déficit de formation. L’académie de Farcha n’a été opérationnelle qu’en 2011, donc depuis neuf ans, rien ne se passe. Trois détections ont été faites, mais on ne peut pas former les jeunes puisque le centre n’est toujours pas ouvert. Jusqu’à 17 ans, ils n’ont pas toutes les bases du footballeur quand ils intègrent les clubs de 1ère ou 2ème division. Techniquement et tactiquement, ils sont très en retard. Ensuite, les entraîneurs tchadiens confondent football et athlétisme, parce qu’ils pensent que les joueurs doivent beaucoup courir, mais il n’y a pas que la course au football. Troisièmement, on a un souci avec les infrastructures. Il n’y a pas de stade digne de ce nom. Idriss Mahamat Ouya est vétuste. Paris-Congo ce n’est pas terrible. Diguel a été cassé et vandalisé. Les écoles de football n’ont pas de terrain. Elles sont obligées de jouer sur des terrains très durs, avec des rebonds donc pour travailler techniquement, c’est très compliquer et elles ont aussi un problème de matériel de base (plots, cerceaux, …). Dans tous les pays, il y a des écoles de football et des championnats des jeunes. Ici, il n’y a pas de championnat digne de ce nom. Et ça se passe sur une très courte période. Ce qui fait que les joueurs ne sont pas en activité toute l’année. Quand on les récupère en équipe nationale, on est obligé de les retravailler physiquement alors que c’est pendant le championnat que la mise en condition physique s’opère.

Il existe des joueurs de qualité, mais il faut qu’on nous laisse le temps de travailler pour qu’il y ait une osmose entre les expatriés et locaux. Il y a de bons joueurs tchadiens ici et à l’extérieur. L’objectif est de les réunir pour travailler. Avec les dates Fifa, là par exemple, il y a un match en ce mois d’octobre. On va récupérer les joueurs le 9 octobre pour aller jouer les 11 et 13, puis le 14, le stage prendra fin. Pareil pour le match contre la Guinée. On part le 9 novembre pour jouer le 12 et le retour le 16 ici puis le 17 c’est fini. Nous sommes tributaires des règlements et dates Fifa. Ce sont toutes ces raisons qui font que le football ne marche pas vraiment comme il faut au Tchad.

  L’espoir est-il perdu pour le reste des matchs des Sao ?

Non l’espoir est permis. On peut toujours espérer parce que le football est un sport où on ne connaît pas à l’avance le résultat. Maintenant, il n’y a pas de miracle quand on ne travaille pas. Il nous reste quatre matchs et c’est 12 points. Si on gagne les quatre matchs, c’est sûr qu’on est qualifié. On est tombé avec le Mali, la Guinée et la Namibie qui étaient tous à la dernière Can, et les deux premiers sont des abonnés de la Can. On peut ne pas gagner tous les matchs, mais par exemple faire un nul en Guinée et les battre ici, aller battre la Namibie et on serait à sept points, ensuite aller faire un nul au Mali pour avoir 8 points et se qualifier. Il faut comprendre qu’il ne faut pas voir les choses à court terme. Il y a tout une organisation et une préparation à mettre en place. Beaucoup de progrès sont effectués par rapport à cinq ans quand j’étais là. La Fédération tchadienne fait beaucoup d’efforts. Le ministère est très engagé et ce que je vous dis est exactement ce que je leur ai expliqué. Peut-être qu’on ne se qualifiera pas à cette Can, mais au moins on aura gagné en expérience. Pendant quatre ans, il y a eu zéro match et depuis que je suis arrivé en septembre 2019, on a fait deux matchs contre le Soudan, deux contre le Libéria, la Namibie, le Mali, le Bénin et le Cameroun. Nous sommes à dix matchs. On part au Niger le 8 ou 9 octobre pour jouer contre le pays hôte et la Rca, avant d’aller en Guinée. Cela veut dire qu’on va totaliser 15 matchs en quatorze mois.

Quand ça ne marche pas de la sorte, à qui doit-on attribuer la responsabilité ? A la fédération ou au ministère ?

Ni à l’un ni à l’autre ou aux deux à la fois. Le problème du football au Tchad, c’est qu’on connaît les problèmes, on met le doigt dessus par des analyses et après, il n’y a pas de suivi ou d’actes. Comme l’ouverture de Farcha dont j’ai plaidé, il y a quatre ans, avant de revenir dessus, il y a un an. Ce n’est apparemment pas un problème de moyens, mais on n’anticipe pas et au moment où il y a besoin, on est bloqué. Ce n’est pas forcément la faute du ministère, puisque tous les ministres avec lesquels j’ai travaillé ont donné les moyens qu’il faut, la fédération aussi. Mais on ne va pas assez vite. Souvent, il m’arrive de leur dire d’être proactif, afin qu’on avance vite pour rattraper les autres. J’ai la montre et eux le temps. Quand il faut les billets d’avion par exemple demain, il ne faut pas attendre dix jours après pour dire que c’est cher. En matière de casernement on connaît le timing. Mais pour les deux matchs, c’est le dimanche que les joueurs ont été casernés. Du coup, on ne sait pas ce qu’ils ont mangé, ce qu’ils ont fait, même s’ils ont l’air sérieux. Administrativement, c’est lourd au Tchad pour récupérer de l’argent au trésor public et cela fait perdre du temps. C’est depuis un mois que je suis en contact avec le Niger pour le match amical, mais comme on n’est pas réactif, des choses peuvent nous passer sous le nez. Quand un agent vous contacte pour des matchs amicaux, il faut savoir vite lui répondre et mettre le système en marche s’il le faut. La Covid-19 nous a liés parce qu’on avait prévu des matchs amicaux en Asie, un stage au Maroc, etc.

Au classement Fifa, le Soudan est 122ème et nous 177ème. Je ne cherche pas des excuses pour les deux matchs. J’assume tout ce que je fais et parfois il y a des explications. Le Soudan a des joueurs qui jouent ensemble et appartiennent à deux grands clubs, alors que nous, nous avons des joueurs locaux dont certains ont zéro sélection. L’arrière gauche, Aubin, Joël, … zéro sélection. Je travaille aussi pour l’avenir, donc je vois des joueurs avec lesquels parfois il faut être indulgent quant à leur niveau. On a fait 21 séances d’entraînements ensemble, mais au moins on engrange de l’expérience, c’est ce qui nous manque au Tchad. On se sert de ces matchs, quels que soient les résultats pour progresser. Sur le premier, on ne peut pas dire qu’il est mauvais parce qu’on a mené 2 à 1 à la mi-temps, et après on fait des grosses erreurs qui amènent l’égalisation puis on prend un 3ème but. Ce sont des buts vraiment évitables mais on a manqué de rigueur défensive, de concentration et d’expérience. Il faut multiplier les entraînements, les compétitions, récupérer d’autres joueurs à l’étranger, etc. Je pense que d’ici un an, on aura une équipe compétitive. J’ai un contrat objectif, j’espère gagner la Guinée et la Namibie pour nous relancer et espérer se qualifier.

Concrètement qu’avez-vous sous la main en terme de joueurs en expatriation et localement?

On va aller au Niger avec 24 joueurs (12 expatriés et 10 locaux), dont 2 qui nous rejoindront en Guinée. L’un est en soin pour des problèmes de genou et l’autre en route pour signer un contrat à Andorre. Nous avons très peu de professionnels notamment Marius, Casimir et Ezéchiel, et des joueurs comme Mahamat Brahim, Collins, Azarack, qui évoluent au championnat régional en France et Morgan, Mahamat Allabo, Mahamat Haroun qui jouent en Belgique.

  Avez-vous les mains libres pour travailler ?

Oui, je le certifie. Le ministre me l’a rappelé il y a quelques jours. Parfois, je n’ai pas de pression, mais on ralentit les choses. De toutes les façons il est écrit dans mon contrat que je choisis moi-même le staff en ayant informé le directeur technique national. Je choisis les joueurs, donc s’ils ne tiennent pas, c’est ma responsabilité. Comme c’est le cas des deux matchs contre le Soudan. J’ai mal choisi certains joueurs qui n’ont pas été à la hauteur et c’est normal si les gens m’en veulent pour cela.

Interview réalisée par Roy Moussa