L’Hôpital général de référence nationale de tous les maux

Chapeauté par un Conseil d’administration (Ca) et placé sous la tutelle du ministère en charge de la Santé Publique et de la prévention, l’Hôpital général de référence nationale (Hgrn) a pour mission d’offrir des soins de qualité aux patients. Malgré les moyens mis à sa disposition, cet hôpital est loin d’être une structure de référence nationale en matière de santé, moins encore un hôpital moderne.

Il est 13 heures 00, c’est l’heure des visites à l’Hgrn. Parents et amis des patients transportant de la nourriture et des couchages se bousculent. Certains par l’entrée principale, d’autres par celle du pavillon des urgences. Objectifs : rendre visite à leurs proches hospitalisés.

À l’entrée du portail des urgences, le service est plein à craquer. Une foule dense s’y trouve, il n’y a pas de passage. Les allées sont occupées par des malades qui n’ont pas de lit et des gardes malades qui y ont installé leurs couchages. “Nous sommes venus avec notre frère accidenté. Il n’y a pas de lit pour lui. Nous sommes obligés de l’installer sur le plancher comme les autres. Il n’est pas le seul à recevoir des soins à même le sol. Regardez autour de vous. Tous ceux qui sont couchés par terre sont des malades”, explique Ahmat Brahim, parent d’un patient au pavillon des urgences. Si le frère de Ahmat Brahim a la chance de recevoir des soins bien qu’il soit couché sur le plancher, ce n’est pas le cas pour d’autres patients. Mbaïlassem Nestor, un jeune “clandoman” accidenté, est transporté d’urgence au service des urgences par un bon samaritain. En attendant que ce bienfaiteur ne contacte les parents de Nestor, l’accidenté, lui, gémit de douleur sans attirer la compassion des infirmiers en service. “Je n’ai pas d’argent pour acheter les médicaments pour les premiers soins. Et les infirmiers m’ont clairement dit qu’ils ne peuvent rien faire. Nous attendons l’arrivée des membres de sa famille pour que les soins commencent”, informe Yves, le bon samaritain.

Pendant que certains patients sont couchés à même le sol, leurs parents, assis juste à côté, s’alimentent. La nourriture est apportée de la maison, mais d’autres aliments sont préparées dans l’enceinte de l’hôpital. Malades, gardes malades et reste de repas se discutent les allées du service des urgences.

Le problème de place et d’espace au service du pavillon des urgences est réel. Non seulement parce que le cadre est trop restreint, mais aussi parce que les lits des urgences sont en même temps des lits d’hospitalisation. “Tu vas trouver dans ce service des patients qui sont là depuis une semaine. Alors que normalement, après avoir reçu les soins d’urgence qui n’excèdent pas souvent trois jours, le patient doit être orienté dans un autre service indiqué pour son hospitalisation. Mais là aussi, l’on nous fait comprendre qu’il n’y a pas de place dans ces services”, confie un médecin qui a requis l’anonymat.

 

Service des urgences ?

Les spécialistes de la santé définissent les urgences comme étant “un service hospitalier chargé d’accueillir et de prendre en charge les malades et les blessés qui se présentent d’eux-mêmes ou sont amenés par les services de secours (pompiers…)”. Pour être considéré comme un service des urgences, il faut réunir nécessairement un certain nombre de conditions. Parmi ces dernières, il faut obligatoirement disposer d’un “chariot d’urgence”, une dotation de matériel exclusivement dédiée à la prise en charge des urgences graves. Son contenu est vérifié régulièrement et de façon systématique après chaque utilisation afin de garantir la conformité de la dotation et des traitements ainsi que le bon fonctionnement des dispositifs. Il comporte une dotation minimale uniformisée, identique d’un service à l’autre, comportant tout le matériel nécessaire à la ventilation, à la mise en place d’un accès vasculaire, à la protection des personnels et au respect des règles d’hygiène. Ce matériel, l’hôpital général de référence nationale du Tchad n’en dispose pas. “Il n’y a rien qui indique que c’est un service des urgences”, regrette un médecin. “Il arrive des fois où nous ne disposons même pas de gants pour les soins. Ce sont les parents des patients qui nous en achètent chez les vendeurs des médicaments de la rue avec tout le risque que vous connaissez, renchérit un autre médecin. “Tous ceux qui survivent dans ce service, ne sont, en réalité, pas des cas urgents. Nous n’avons rien ici qui répond aux critères d’un service des urgences”, concluent en chœur et avec regret les médecins interrogés.

 

Mêmes constats dans tous les services

Du service de la pneumologie, en passant par les services de la médecine 1,4 et 5, les constats sont identiques : des salles sont surchargées ; des ventilateurs tous en panne. À côté des malades, les gardes malades se nourrissent et laissent traîner des débris de nourriture par terre. Au service de pneumologie, une femme en train de nettoyer les allées à l’aide d’un balai, attire l’attention d’un médecin très en colère. “Le service pneumologie, on ne devrait pas balayer. On lave. Les salles devraient être ventilées parce que les microbes peuvent rester dans les aires durant plusieurs heures”, reproche le médecin.

Dans la grande cour de l’hôpital, chiens errants et familles des patients se disputent les espaces. Plusieurs groupes de femmes cuisinent sur place pour les familles et patients qui sont pour la plupart en grand nombre au chevet des patients. Certains, à côté, font la lessive. D’autres font la vaisselle et déversent les eaux usées dans les jardins de l’hôpital.

“Dans un hôpital, il n’est pas normal qu’on apporte la nourriture de la maison. Il n’est pas non plus autorisé que ce soit les parents des patients qui préparent sur place pour ces derniers. C’est l’hôpital qui doit donner à manger aux patients. En rapportant la nourriture et les couchages de l’hôpital à la maison, l’on transporte les bactéries de l’hôpital à la maison, créant encore d’autres maladies”, déplore Dr Djiddi Ali Sougoudi, présent dans la cour de l’hôpital général de référence nationale, ce jour.

 

Le manque d’hygiène tue plus

À l’hôpital général de référence nationale, l’on peut entrer avec une maladie et ressortir avec une autre. Nombreux sont les malades de paludisme, victimes d’accident de voie publique, de brûlures, etc. qui y sont admis, mais qui meurent en contractant de la tuberculose, de la septicémie et bien d’autres maladies dues aux bactéries et aux mauvaises conditions d’hygiène. “Dans ces conditions, il est même possible que l’on entre ici en bonne santé et on en ressort malade”, confirme l’un des médecins. Cela est dû au manque d’aération qui doit être effectuée régulièrement, plus particulièrement dans les salles d’attente où les patients porteurs de virus se croisent et se succèdent tout au long de la journée. L’on note également le manque d’essuie-main, de papier, de gels hydro-alcooliques, du savon dans les toilettes. Le nettoyage de surface n’est pas réalisé quotidiennement, alors que les patients peuvent déposer des microbes à chaque moment sur le mobilier, les gardes malades laissent traîner sans cesse des restes de nourriture et les eaux usés au trottoir.

“Les centres hospitaliers requièrent une attention particulière, notamment en termes d’hygiène et de propreté. Les salles d’attente, les salles d’hospitalisation, les laboratoires d’analyses ou encore les blocs opératoires sont des lieux sensibles qui nécessitent une hygiène parfaite et une propreté irréprochable, afin d’assurer le confort et la sécurité des malades, des équipes médicales, mais aussi des visiteurs”, précise un spécialiste d’hygiène dans le milieu hospitalier. Et il ajoute, “le nettoyage en milieu hospitalier requiert davantage de rigueur et de précautions que dans les autres domaines. En effet, plusieurs facteurs comme la longueur des séjours, le degré d’exposition des malades et les pathologies traitées au sein de ces locaux exposent l’ensemble des personnes présentes, à savoir les malades et les équipes médicales, à des risques d’infections nosocomiales”.

Selon le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, les infections nosocomiales peuvent être évitées en nettoyant plus efficacement et en respectant un certain nombre d’instructions. L’hygiène et la prévention à l’infection sont indispensables dans les hôpitaux et centres de soins. Les saletés, les micro-organismes et les microbes peuvent avoir des conséquences dévastatrices. Il s’agit des facteurs critiques dont plusieurs vies dépendent.

 

Le code de déontologie médicale qui semble inutile

Tous ces maux que vit l’Hôpital général de référence nationale sont dus au fait que certains médecins responsables dans cette structure, majoritairement propriétaires des cliniques et autres cabinets, sont plutôt préoccupés par l’ordre et le bon fonctionnement de leurs propriétés au grand dam de cette noble structure de l’État dans lequel ils sont employés. Dans son article 4, le code de déontologie médicale du 18 juin 2015 en vigueur dispose qu’“en aucun cas, il (Ndlr : le médecin) ne doit exercer sa profession dans des conditions qui puissent compromettre la qualité des soins et des actes médicaux”. Malheureusement, les médecins, chefs de service, exerçant à l’Hgrn préfèrent travailler dans des conditions hygiéniques malsaines.

Une prise de conscience s’impose pour garantir une meilleure santé à tous.

Djéram Firmin