Midi et Tshisekedi trinquent pour la mission accomplie

Quand on sait que Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo est celui qui est venu en avril 2021 aux côtés d’Emmanuel Macron pour adouber l’héritier du pouvoir dynastique, l’honneur qui lui a été fait en capitale tchadienne lors de sa visite dite d’état les 24 et 25 juin dernier, est une expression de joie pour la mission accomplie. Il va de soi que les deux hommes lèvent leurs verres et toastent pour leur victoire remportée sur un chemin périlleux surmonté.

Pour les deux hommes, le plus difficile est surmonté avec l’organisation de la présidentielle qui vient de s’achever. La transition déclenchée le 21 avril 2021 suite à la mort du président Déby est ainsi finie, même si les autres élections notamment les législatives, les sénatoriales et les locales ne sont pas encore organisées. Ces dernières consultations peuvent attendre autant de temps qu’il faudra. Mais, la soif de célébrer la réussite d’un plan de succession dynastique rigoureusement manœuvrée par la Communauté internationale et particulièrement la France, a agité l’héritier du pouvoir qui ne peut encore attendre longtemps. En ce 24 juin, le président congolais débarque dans la capitale tchadienne sur sollicitation de Mahamat Idriss Déby Itno, le nouveau membre du “syndicat des présidents africains” qui se soutiennent inconditionnellement. Il se fait élever à la dignité de Grand-Croix dans l’ordre national du Tchad. Une rue baptisée en son nom. Pour la circonstance, un pompeux dîner lui a été offert au cours d’une réception solennelle.

Les deux présidents, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo et Mahamat Idriss Déby Itno, lèvent leurs verres et trinquent. C’est l’expression d’une immense joie pour la victoire au prix du sang de nombreux tchadiens, donc d’une mission accomplie. Tout est accompli, peu importe la manière. Car, dit-on, en politique, tous les moyens sont bons, pourvu qu’ils soient efficaces pour atteindre l’objectif. Et l’objectif, il est celui de maintenir le fils qui a confisqué le pourvoir à la mort de son père dans des situations jusque-là non élucidées, d’autant plus que l’enquête annoncée n’a jamais eu lieu. Cet objectif, c’était le rôle à jouer, donné au président congolais qui devrait accompagner le fiston à réussir le plan de succession dynastique acté par le parrain français, Emmanuel Macron. Il est donc important et opportun, à l’occasion de cette cérémonie de réjouissance qui a fait déplacer le Congolais Félix Antoine Tshisekedi de N’Djaména, rappeler le péril traversé pour atteindre le résultat victorieux qui se célèbre ce jour.

 

Sur le chemin périlleux

Sur le chemin de mise en œuvre du plan de la dévolution dynastique, trop de sang a coulé. Il a commencé à couler une semaine après l’annonce du décès du président de la République, Idriss Déby Itno. Pour mettre le plan en œuvre, il fallait donner aucune chance aux contestations pacifiques. Le massacre des manifestants a débuté un 27 avril 2021, une dizaine de morts, des blessés et des dizaines de personnes arrêtées et faites prisonnières. C’est un premier coup de force pour dissuader le peuple appelé à être docile et se laisser faire. Des vétérans de l’opposition politique ont mordu à l’appât. Ils quittent les rangs des contestataires et se sont livrés en offrande contre des strapontins et des espèces sonnantes et trébuchantes.

Mais une jeune génération politique qui ne se laisse pas facilement dompter a voulu continuer la lutte. Mal lui en prend. Un deuxième massacre a lieu un 20 octobre 2022 au cours d’une manifestation assez violente contre la prolongation de la transition, censée se terminer en 18 mois. Différents rapports des organisations de défense des droits de l’homme annoncent un bilan très alarmant, tantôt une centaine de morts, tantôt plus de 200 morts, des milliers de personnes arrêtées. Mais le gouvernement de Saleh Kebzabo, alors Premier ministre nommé à peine une semaine, reconnaît un bilan de 50 morts et plus de 600 personnes arrêtées. Il parle d’une insurrection qui avait pour but de déstabiliser les institutions de l’état. A la manière dont la transition était conduite, le nombre des opposants s’amoindrissait puisque nombreux parmi eux ont mis la queue entre les jambes. De fait, beaucoup soutiennent la transition et acceptent le statu quo. Presque tous, ont choisi la voie royale, abandonnant la lutte. Mais contre récompense, certains se retrouvent au Conseil national de transition, dans le gouvernement et dans des institutions, où ils disent y œuvrer pour changer les choses de l’intérieur. Mais après avoir accepté l’offre, ils ont plutôt été changés de l’intérieur et se ont tourné dos à la grande majorité du peuple souffrant.

Tout de même, le massacre du 20 octobre 2022 a rendu le pouvoir de Mahamat Idriss Déby Itno fragile. Il a considérablement tangué puisque des voix se sont élevées pour dénoncer ce qu’il convient d’appeler crime contre l’humanité au regard du nombre des citoyens tchadiens tués. C’est là que le Congolais Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, alors président en exercice de la Communauté économique des état de l’Afrique centrale (Cééac), a été mandaté par ses pairs pour jouer le rôle de facilitateur dans la crise politique tchadienne. En réalité, le rôle à lui attribué était d’œuvrer à la réussite de la dévolution dynastique. Le président congolais avec l’aide la Communauté internationale, réussit finalement à dompter le leader du parti Les Transformateurs, Assyongar Masra Succès, qui s’était vu obligé de prendre le chemin d’exil presqu’un an. Grâce à un accord dite de réconciliation, signé à Kinshasa, qualifié ensuite de deal par de nombreux observateurs, le jeune opposant devait retourner au pays. Il dirigera le gouvernement post-référendum remporté par un coup de force, pour organiser “les meilleures élections de l’histoire du Tchad”, selon ses propres termes prononcés devant le parlement provisoire lors de la présentation du programme politique de son gouvernement au Palais de la démocratie. Une présidentielle au cours de laquelle, le président de transition et son premier ministre sont tous les deux candidats. Mais pour le pouvoir en place, l’objectif est de faire un semblant en accompagnant l’héritier en vue de donner du crédit à cette élection présidentielle.

Trois mois avant le scrutin, un opposant très gênant pour le pouvoir, a été tué à bout touchant au siège de son parti, avec plusieurs de ses militants, certains arrêtés et déportés vers la prison de haute sécurité de Korotoro. Depuis, ils ne sont jamais présentés devant un juge. Le même jour du scrutin, des citoyens violentés, certains enlevés et détenus dans des endroits secrets sans être présentés à un juge. Des gens portés disparus. Même le leader du Parti Les Transformateurs et ses militants ne sont pas en sécurité depuis la présidentielle remportée à mains armées. En ce moment, il se trouve qu’au moins 75 personnes, militants du Parti Les Transformateurs croupissent dans des prisons.

Dès lors, aucune manifestation pacifique n’est permise. Le régime continue à exceller dans l’intimidation et dans les violations des droits humains. Un régime qui n’aime pas les contestations. Mahamat Idriss Déby Itno a acquis tous les leviers pour diriger d’une main de fer, son pouvoir. Il ne reste donc à se réjouir de cet exploit.

Alors, quand on sait qu’on a un plan, celui de la succession dynastique, établi sur un si périlleux chemin, et qu’on parvient tout de même, contre vents et marrées, à surmonter pour atteindre l’objectif, il y a de quoi toaster, pour la mission accomplie pour Félix Antoine Tshisekedi, et de manifester sa reconnaissance, pour Mahamat Idriss Déby Itno.

Nadjidoumdé D. Florent