Quelques extraits de cette missive, relative au phénomène de rapt contre rançon dans le grand Mayo-Kebbi, et qui finissent par vingt trois questions vous sont proposé.
(…) Le Maréchal du Tchad,
En ma qualité de modeste citoyen, je me fais l’honneur de vous écrire pour porter à votre illustre attention une préoccupation aussi grave. Il s’agit d’un cri de détresse d’une population terriblement meurtrie depuis des années sans le soutien des autorités du pays à tous les niveaux de responsabilités. J’ose espérer que la réponse à ma préoccupation est avec vous, compte tenu des pouvoirs qui vous sont conférés par la Constitution et par les lois du pays, et compte tenu de vos différentes qualités ci-haut cités (…)
En effet, l’objet de ma préoccupation et mon cri de cœur porte sur le phénomène abjecte d’enlèvement et séquestration de personnes contre le payement de rançon, phénomène organisé depuis quelques années après la pratique d’enlèvement de bétail et d’attaque de villages pour arracher l’argent, revenu de vente de coton dans les provinces du Mayo Kebbi Ouest et Mayo Kebbi-Est. Apparemment, ce phénomène n’émeut presque pas les autorités du pays, me semble-t-il, en dépit des plaintes et pleurs récurrents des victimes et ressortissants des localités et provinces concernées.
Les deux Mayo-Kebbi sont des provinces hospitalières et paisibles avec une population cosmopolite, laborieuse et respectueuse de l’Etat. Depuis l’année 2002, elles sont livrées aux personnes sans foi ni loi qui les tiennent en laisse par des pratiques dignes d’un autre âge. Les auteurs de ce forfait et leurs complices existent bel et bien sur le territoire national et ne sauraient être ignorées par les autorités nationales et locales. Le contraire m’aurait étonné, connaissant les capacités techniques de nos forces de défense et de sécurité dont vous avez l’insigne honneur de diriger et qui ont fait et continuent à faire à ce jour encore leur preuve sur le terrain au pays et à l’extérieur, notamment au Mali, au Nigeria, raison pour laquelle vous avez été très récemment élevé au grade de Maréchal. Je note que cette élévation la première dans toute l’histoire de notre pays depuis l’indépendance depuis 1960.
Il conviendrait de signaler à votre très haute attention que particulièrement et à l’heure actuelle la province du Mayo Kebbi-Ouest est soumise aux bandits qui livrent à une forme de guerre au Tchad. Cette guerre s’appelle “Enlèvement de personnes contre rançon”. Vu la persistance des faits, je me convaincs que vous n’en seriez pas informé, sinon, connaissant votre attachement sans faille à la sécurité du pays, ce phénomène ne pourrait persister. De mémoire d’homme, cette pratique n’avait jamais existé dans cette province réputée pour sa stabilité par le passé.
En effet, des personnes sont régulièrement et violemment retirées de force de leur famille, leur village et conduites en brousse, maltraitées et tenues comme monnaie de change. Leur libération intervient après le payement d’une rançon non discutable. Le plus souvent, les malchanceux y perdent la vie, sauvagement abattus ou succombent après la torture ou pendant la résistance du village à l’opération d’enlèvement qui a lieu le plus souvent pendant la nuit tardive. Ce phénomène, circonscrit actuellement au Mayo Kebbi Ouest, précisément dans le village Toukour/canton Tagobo Foulbé de la sous-préfecture de Lamé ainsi que les sous-préfectures de Lagon, Binder et Gagal parait très rentable pour ses auteurs, ce qui fait des émules et il se propage peu à peu dans la province avec probabilité de s’étendre à d’autres provinces si rien n’est fait pour l’éradiquer énergiquement. A titre illustratif, pour l’année 2019, le montant de rançon payé par la population s’élève à 78 475 000 FCFA et 17 500 000 FCFA pour 2020 (1er semestre), soit un total de 95 975 0000 FCFA pour les deux années.
La population de cette province, très courageuse par son labeur et déjà très pauvre, a donc tout perdu d’année en année dans le payement de rançons dont les montants varient selon la qualité de la personne violemment capturée. Des biens ont été vendus allant des bœufs, moutons, mil, arachides, motos, bicyclettes, poulets pour constituer la cagnotte de la libération des otages. La collecte de fonds engage également les ressortissants dans d’autres villes du pays. Ayant tout perdu, cette population risque de ne plus être capable de mobiliser des ressources pour la libération des prochains otages et pour assurer l’alimentation, la santé et l’éducation scolaire des enfants. Ainsi, cette population est menacée de faim à cause des récoltes qui servent à payer les rançons prohibitives à chaque enlèvement (…)
Les risques pour le pays
Il faudrait retenir que l’indifférence des autorités a des risques pour le pays. Les populations se sentant abandonnées ne risquent-elles pas de se tourner vers des mouvements terroristes comme Boko haram qui surfe sur la déshérence et la souffrance des populations pour proposer des solutions de leur protection ? (…)
Questionnement
Que je trouve grâce à vos yeux pour me permettre de vous poser plusieurs questions (…), soit 23 questions méritant des réponses adéquates:
Pourquoi le pays ne peut-il pas assurer la sécurité des citoyens de manière égale ?
Pourquoi le phénomène n’émeut personne de ceux qui gouvernent le pays de la plus petite autorité locale jusqu’au niveau national ?
Comment le Tchad qui fait preuve de ses capacités tactiques et techniques militaires sur des terrains extérieurs plus complexes ne peut-il pas venir à bout d’un phénomène abject grandissant dans cette province? Est-ce à dessin que la province est-elle abandonnée ? Est-ce l’expression d’une incapacité des forces de défense et de sécurité locales et nationales? Est-ce un phénomène voulu et entretenu, issu d’un plan politique de déstabilisation et de paupérisation de la province ? Qui est derrière ces forfaits et à qui cela profite-t-il? Est-ce un règlement de comptes politiques à une population pour une raison ou une autre ? Si oui, pourquoi? Est-ce l’expression d’une haute trahison des autorités qui ont prêté serment pour servir le pays? Pourriez-nous accepter et garder le silence si dans nos familles respectives des bandits venaient régulièrement prendre des otages? Les administrateurs qui gouvernent la province sont-ils complices du phénomène? Les populations villageoises doivent-elles se constituer en comités d’autodéfense ou en milices pour se protéger elles-mêmes ? Si oui, sous quelle loi et quelles en seront les conséquences? Faudrait-il laisser perdurer le phénomène pour atteindre un nombre de victimes répondant aux critères voulus avant l’intervention de l’Etat pour le conjurer? Quels sont les critères à remplir par la population locale pour mériter la protection de l’Etat?
A l’heure actuelle, qu’a fait le gouvernement pour venir en aide à cette population? Qu’a fait l’Assemblée Nationale vis -à vis du Gouvernement pour assurer la protection des populations? Dans d’autres provinces du pays, une seule attaque de coupeurs de route suffirait à mobiliser immédiatement les forces de défense et de sécurité pour traquer ces bandits dans leur dernier retranchement. Alors, y a-t-il du deux poids deux mesures dans la protection des citoyens par l’Etat? L’Etat se chargera-t-il d’indemniser les victimes et leurs ayant-droits? Le silence des pouvoirs publics n’est-il pas suspect face au phénomène? Ne pourrait-on pas qualifier cette indifférence des autorités de non-assistance à personnes en danger? Cette pauvre population n’est-elle pas victime innocente de combat politique qui mérite d’être vite résolu? Quel est le péché reproché à la population des localités concernées pour mériter un tel traitement de l’indifférence? Si ce péché était connu, une demande de rémission sera écrite. Devons-nous accepter que de paisibles et pauvres citoyens servent de monnaie de change à des terroristes sur nos terres? Toute chose étant égale par ailleurs, après la Colère de Bohoma, ne faudrait-il pas envisager la Colère du Mayo-Kebbi pour libérer la population du joug des bandits de grand chemin, preneurs d’otage?
Toutes ces questions méritent réflexion et réponse car la désolation de la population est à son comble. La province du Mayo Kebbi Ouest est tchadienne et cosmopolite. Nul autre que les tchadiens ne pourra la protéger. La population tchadienne toute entière attend une réaction conséquente à ces questions par des actes concrets pour mettre définitivement un terme à ce phénomène.
De tout ce qui précède, sans faire preuve de régionalisme, je souhaiterais qu’une attention soutenue soit accordée de la même manière aux Tchadiens et que la protection de l’Etat soit apportée à tous sans distinction d’aucune sorte (…)
Lazare Tikri Serge
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