La ville de N’Djaména connait ces dernières années, une extension remarquable alors qu’elle manque non seulement de réseaux d’écoulement des eaux de pluies, mais aussi certains ouvrages de rétention et de drainage des eaux qui existent ne sont pas entretenus, constate le géographe-urbaniste et enseignant-chercheur, Dr Yémadji Ndiekor.
Quelles explications donnez-vous aux difficultés d’écoulement des eaux de pluies dans la ville de N’Djaména?
Les difficultés sont de plusieurs ordres. Premièrement, il y a le site de la ville sur lequel la topographie ne favorise pas un écoulement assez régulier. Nous avons des dénivellations de l’ordre de deux à trois mètres entre le point le plus bas et le point le plus haut. Cette topographie rend difficile l’écoulement des eaux. Une partie des eaux s’écoule vers le fleuve Chari. Quand le fleuve monte, il faut fermer les exutoires vers lesquels l’eau s’écoule et pomper pour faire passer par dessus les batardeaux ou les barrages comme il y a assez d’exutoires. Les autres canaux de drainage qui ont été par la suite construits écoulent les eaux vers le nord de la ville. C’est ainsi que vous avez le canal de Ndjari qui va jusqu’à Lamadji où il y a une station de relevage et à travers la ville, les bassins de rétention pour retenir la quantité d’eau importante qui tombe et qui ne peut pas s’écouler immédiatement dans les canalisations. A cause de la platitude du terrain, ces bassins de rétention ont été aménagés et au fil des années ces bassins qui ont été construits en même temps que le canal de Ndjari qui va jusqu’à travers un chenal de terre de plus de 5 kilomètres qui arrive à la station de relevage de Lamadji, permet de relever le niveau de l’eau avant de le rejeter pour qu’il puisse avoir un courant d’écoulement assez important. Ces stations ont des pompes qui permettent de faire cette évacuation.
Le réseau de drainage ne couvre pas l’ensemble de la ville. Les bassins de rétention situés à côté de l’ex Santana hôtel au fil des années ont été bouchés par la terre et les ordures. Si au départ, ces bassins ont joué un rôle important parce qu’ils avaient la capacité de conservation d’eau assez importante, aujourd’hui le fond de ces bassins est comblé par les déchets qui y sont charriés, du coup si hier ça faisait 10 000 m3, maintenant, c’est 5 000 m3. Dans ce cas, quand l’eau arrive à une quantité importante ça déborde vers les voies et menace les voies et les concessions riveraines, etc.
L’incivisme de la population ne constitue-t-il pas également la cause de la dégradation des ouvrages?
C’est le deuxième aspect que je voudrais évoquer. Les habitants considèrent les canalisations comme des dépotoirs. Ils y jettent des ordures, du sable et tous ces déchets et eaux usées qui vont dans ces canalisations et qui finissent par les boucher. Ce qui nécessite un curage régulier. Il faut au moins deux curages, à la fin et au début de la saison des pluies, mais si on pouvait le faire même ne serait-ce qu’une seule fois dans l’année, l’eau qui arrivait pourrait s’écouler sans problème.
Troisièmement, non seulement il n’y a pas de service pour rassurer les ramasseurs des ordures et amener les gens à ne pas jeter des ordures dans les caniveaux. La municipalité qui est en charge d’assurer l’entretien de ces ouvrages n’arrive pas à le faire à temps ou de manière complète. Cette année, il y a eu un retard dans le curage des caniveaux. Entre temps, il y avait des problèmes au niveau de la station de Lamadji, ce qui fait qu’on n’arrivait pas à évacuer l’eau. Si vous avez un terrain plat, il faut relever le niveau de l’eau avant de le faire basculer.
Le faible maillage en terme de canalisation n’est-il pas l’une des causes principales?
Toutes les voiries urbaines construites ces dernières décennies ont été accompagnées par la mise en place des canalisations, ce qui permet de drainer non seulement l’eau qui s’écoule sur la chaussée mais également les eaux qui arrivent des rues perpendiculaires. De ce côté, des efforts ont été fournis, avec l’appui de l’Agence française de développement (Afd), ce qui a permis de construire les grands ouvrages. Par exemple, le canal de Ndjari qui va jusqu’à Lamadi est construit grâce au financement de l’Afd. En ce moment, il y a deux bassins de rétention, un canal intermédiaire et un canal aval qui ont été construits, avec l’extension de la station de Lamadji. Ce sont aussi des grands canaux des réseaux primaires. On a un faible maillage en terme de réseaux secondaires parce que les eaux qui viennent des quartiers ont besoin de canalisation. Il y a un réseau primaire qui est généralement le grand canal. Il y a des réseaux secondaires qui viennent dans les réseaux primaires et les réseaux tertiaires qui viennent dans les réseaux secondaires avant l’arrivée de l’eau. Ce maillage, il est difficile mais si le curage est régulier, l’eau circule normalement.
N’Djaména s’est étendue sans un accompagnement technique. Une bonne partie de la ville ne dispose pas d’ouvrages de drainage, donc les eaux s’écoulent au gré de la nature. Les gens habitent en construisant selon leurs moyens. A côté, ceux qui n’ont pas les moyens restent à un niveau bas et quand l’eau arrive elle s’écoule vers les endroits les plus bas. L’idéal aurait voulu que les terrains soient aménagés avant que les gens n’y habitent. Malheureusement,nous n’avons pas cette politique de viabilisation des terrains avant toute occupation.
Comment retenir une grande quantité d’eau qui tombe sur la ville de N’Djaména chaque année au mois de juillet, d’août, septembre et juillet?
Quand les hydrauliciens conçoivent les ouvrages, c’est en fonction des crues décennales, de la quantité plus haute des pluies qui peut tomber. Ils partent de ces hypothèses pour concevoir des ouvrages. Compte tenue de la platitude du terrain, il faut ces genres d’ouvrages. Il y a plusieurs de ces ouvrages au niveau du ministère de l’Aménagement du territoire. Malheureusement, depuis la construction de ces bassins, ils n’ont pas été récalibrés pour enlever le surplus de terre. Autant les terres arrivent dans les caniveaux avec l’eau de ruissellement, autant les terres arrivent dans les bassins de rétention avec l’eau de ruissellement. Chaque année, si vous avez 10 cm de terre qui arrivent, imaginez l’épaisseur de cette terre dans les bassins de rétention.
Ces problèmes ci-haut cités ne renvoient-ils pas à la question de planification urbaine, de la construction des ouvrages et équipements urbains?
Lorsqu’on a les ouvrages, il faut pouvoir en assurer l’entretien. Le curage des caniveaux doit se faire. L’écoulement des eaux de pluies va de pair avec celui de la gestion des déchets. Une grande partie de nos déchets se trouve dans les réseaux de drainage des eaux de pluies. La plupart des projets de drainage dans la ville de N’Djaména ont été accompagnés par des volets concernant la gestion des ouvrages. Il faut non seulement assurer un entretien régulier, mais cela demande un financement conséquent. Malheureusement, N’Djaména est une ville qui n’a pas de documents de planification. On n’a pas une vision de comment la ville doit se développer. En plus de cela, il faut des aménagements réguliers. Les zones qui doivent être habitées doivent avoir un minimum de voiries.
Que doit faire la population pour éviter ces inondations ?
Les responsabilités sont partagées entre ceux qui ont la charge de gérer la ville, qui doivent trouver les moyens d’assumer leur rôle, et nous citoyens qui devrions avoir un comportement qui concourt à un environnement sain.
Ces deux responsabilités doivent aller de pair pour qu’on ait un minimum de cadre de vie sain. Aujourd’hui, pour résoudre le problème de drainage des eaux dans la ville de N’Djaména, c’est au-delà de la capacité financière des municipalités. Ni les communes d’arrondissements, ni la commune de la ville n’ont des ressources pour régler ce problème. L’effort qui doit être fait c’est d’avoir la capacité d’entretenir le peu de réseau que nous avons. Sur ce point, les populations doivent faire un grand d’effort de civisme.
Interview réalisée par
Togmal David & Nadjidoumdé Florent
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