Notre compatriote Nimrod Benan Djangrang, écrivain (poète, romancier et essayiste) et enseignant résident en France, a séjourné à N’Djaména dans le cadre du mois de mars dédié à la Francophonie. Auteur de plusieurs œuvres primées et distinguées entre 1989 et 2020, il a accepté de s’entretenir avec Ndjh autour de la Francophonie, du Tchad et de ses œuvres.
Puisque nous sommes dans le mois de la francophonie, quel est l’avenir de la francophonie, pour quel devenir francophone ?
Rires… je me demande si ce sont des questions composées pour un écrivain. D’ailleurs je me demande aussi s’il y a beaucoup d’écrivains francophones dans le staff. C’est pour cela que les gens qui parlent de l’avenir de cette langue ne sont pas les gens qui le travaillent au quotidien. Un écrivain est fabricateur de langue. Je le dis d’autant plus que l’un des pères fondateurs ou le père principal de la francophonie c’est Senghor qui était poète. Et cet outil, il le veut à la fois comme quelque chose qui nous donne en partage la langue française avec les français et les autres francophones dans le monde. Mais aussi comme un outil de notre avenir, par cette aventure coloniale qu’a été la langue française chez nous. C’est pourquoi, je verrais son avenir toujours à la manière d’un écrivain. C’est que l’écrit et ceux qui l’ont en partage fonctionnent du mieux possible. Or nous savons tous que la francophonie c’est en France, et ça reste toujours beaucoup plus dans les enjeux français. Et tout cela, pour nous autres francophones, surtout pour le Tchad. Parce que je n’ai jamais rencontré un seul de nos représentants de la francophonie, c’est extraordinaire. N’en faire qu’un objet géopolitique, c’est même et je le crains, condamner à termes l’avenir de cette langue. Ce serait bien dommage.
Vous avez déclaré et je cite “Il est temps de considérer la langue française comme une langue africaine’’. Avec la montée des sentiments anti-français qui s’observent dans quelques pays d’Afrique francophone, est-ce que ces agissements ne vont pas mettre en difficultés la langue française ?
Absolument pas ! Pour la simple raison que si nous prenons la décision de changer de langue, il faudra peut-être faire comme le Rwanda. Sans cela, on sait que des grands empires comme l’empire français, grec ou romain ont existé et peuvent même disparaitre. Mais on peut continuer avec ce qu’ils nous ont laissés. Les gens savent très bien que l’empire romain fut le plus grand de tous les empires que l’histoire ait connus, a fonctionné pendant trois siècles au moins, avec la langue grecque, alors que l’empire grec avait déjà disparu. Je le dis pour que les gens comprennent très vite. Pour les chrétiens, ils savent que le nouveau testament est écrit en grec. Or c’était sous les romains, sous Ponce Pilate qui était romain.
Donc un empire peut disparaitre et ceux qui ont été éduqués dans la langue de la culture de cet empire, peuvent continuer sans problème. Avant que nous puissions rompre le lien avec le Français, surtout pour nous autres, bien que difficile à envisager, dans quelle langue allons-nous nous exprimer ? Combien de langues avons-nous au Tchad ? Plus de 140 au moins, sans compter les variations. Pour que nous puissions nous donner une, peut-être deux ou trois langue à côté de l’arabe dialectal comme nos langues véhiculaires, cela ne se fait pas comme ça aujourd’hui. Si nous décidons de nous exprimer qu’en arabe, est-ce qu’on a été tous éduqués pour lire et écrire l’arabe ? Non ! C’est pour cette raison que cet outil qu’est la langue française nous est encore utile, pour pouvoir faire une transition. Je ne me fais pas de soucis pour ça. Si nous ne décidons pas de prendre une autre langue, nous restons toujours dans la langue française. En tout cas pour ce qui me reste à vivre, ce serait plutôt très confortable.
Dans votre entretien avec le journal Jeune Afrique du 6 août 2021, relatif à votre dernier ouvrage (je crois) titré “Le temps liquide”, vous avez relevé et je vous cite encore “L’incertitude est notre destin. Notre avenir est bouché et le monde tel qu’il va, n’est porteur d’aucun espoir pour nous. Nos guerriers et les puissances mondiales n’ont nul intérêt à ce que ça change”. Doit-on rester pessimiste alors que le Tchad cherche à organiser un dialogue national inclusif ?
Je me demande si on doit encore discuter. Ces genres de dialogue, combien avions-nous eu ? Quelle est la nouveauté cette fois-ci ? Pas grand-chose. Ceux qui l’organisent pour la plupart du temps, préparent plutôt leur élection et non faire en sorte que le Tchad devienne un État normal. Je n’y crois pas en fait. Comme je l’ai relevé dans Jeune Afrique, ça ne changera que si vraiment les intérêts étrangers nous laissent diriger et dialoguer entre nous, comme des êtres responsables tout simplement. Quelle que soit la conférence, j’en souris d’avance, ça n’a pas de chance d’aboutir. Je ne suis pas sûr que les intérêts étrangers puissent changer du jour au lendemain. J’en doute beaucoup. Je ne suis nullement pessimiste, je dis tout simplement ce qu’il est.
Le désir de liberté et d’autonomie, nous l’avons depuis toujours. Nous l’avons manifesté dans les autres conférences avec les meilleures dispositions du monde. Qu’est-ce que cela a donné ? Pas grand-chose. Je suis écrivain et ce n’est pas parce que tu as écrit une belle prose que ça change la réalité. Si c’est cela, on aurait beaucoup changé dans le monde.
Beaucoup de personnes estiment que la forme de l’État actuel est la cause de tous les problèmes que le Tchad rencontre. Quel est votre avis, avec le recul de l’écrivain que vous êtes ?
Mais évidemment oui ! Même ceux qui avaient tapé sur le président Tombalbaye se rendent compte qu’il avait raison sur toute la ligne. Et pourtant, il n’a pas fait que de bonnes choses. Dans toute l’Afrique francophone, tous les premiers présidents avaient le souci de l’État. Aujourd’hui, on ne peut pas dire pareil. Ce sont des soucis claniques, des réseaux mafieux, etc. Ce ne sont plus pour des soucis d’État qu’on se bat pour la plupart du temps. A mon avis, la réponse est dans la question.
Pour revenir à vos œuvres littéraires, vos nombreux prix et distinctions reçus, ont-ils les mêmes saveurs ? Ou bien c’est selon les cas ?
Pas évidemment, parce que chaque livre porte sa saveur pour reprendre votre terme. A chaque livre, je fais une recette différente, avec tous les guillemets qui s’imposent. Non, parce que j’écris des romans, essais, récits, de la poésie et bientôt du théâtre. Donc c’est à la fois une manière d’aborder la même réalité sous plusieurs angles. Ce sont plusieurs saveurs si je puis le dire.
Interview réalisée par
Roy Moussa