Une rencontre d’échanges entre les universitaires et les chefs d’entreprises s’est tenue à l’Institut français du Tchad (Ift) le 26 novembre 2020 pour établir désormais une passerelle et un lien entre ces deux mondes qui n’échangent pas suffisamment. Ce cadre d’échanges permettra de préciser une vision cohérente de l’offre de formation qui réponde aux besoins des entreprises.
Le constat alarmant fait ces dernières années est le chômage massif des jeunes tchadiens formés dans les institutions de l’enseignement supérieur du Tchad. Ce phénomène social est une bombe à retardement fait observer Pr Koïnan Rodoumta, directeur général de l’Ecole nationale supérieure des travaux publics (Enstp). Il fait partie des responsables des établissements d’enseignement supérieur public conviés à cette table ronde des universitaires et entreprises, qui ne sont d’ailleurs pas fiers des jeunes qui sont formés mais qui se retrouvent à la fin sur le carreau sans obtenir de débouchés. Cette rencontre d’échanges est une initiative du ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation en collaboration avec le Service de coopération et d’action culturelle (Scac) de l’ambassade de France au Tchad. Elle est recommandée dans un document de stratégie nationale de l’enseignement supérieur mettant en exergue l’insertion professionnelle des diplômés. “Nouer ou intensifier le dialogue entre le monde académique et les milieux économiques; prendre en compte dans l’offre de formation initiale les besoins socio-économiques de l’environnement provincial ou national des établissements; développer la culture et la pratique de l’entrepreneuriat”, tels sont les objectifs de cette initiative qui comporte une série de tables-rondes étalées dans la période 2021 avec divers thèmes.
Mais la première table-ronde qui s’est tenue le 26 novembre s’est focalisée sur la formation technique et professionnelle pour échanger et apporter des réponses aux questions suivantes: “Quelles sont les offres de formation dans l’enseignement technique au Tchad ? Sont-elles adaptées aux besoins des entreprises? Quels sont les besoins à court et moyen termes des entreprises dans leurs recrutements? Quelles formations privilégiées à l’avenir ?”, soulignées par Pascal Villecroix, conseiller technique du ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Cette rencontre a réuni des responsables des établissements d’enseignement supérieur technique et professionnel et les directeurs des ressources humaines des entreprises telles que la téléphonie mobile Tigo, Sogea satom, Cfao Motors, Bolloré, etc. Au cours de ces échanges, une présentation des formations en enseignement technique supérieur public a été faite par le vice-président de l’université polytechnique de Mongo, Dr Bianzeubé Tikri. Dans les discussions où les deux entités ont exprimé leurs préoccupations à cœur ouvert, il ressort clairement que, non seulement que les étudiants formés dans les structures de formation technique ont de la peine à obtenir ne serait-ce qu’un stage, auprès des entreprises, mais, celles-ci estiment que la formation technique professionnelle dispensée au Tchad est en déphasage avec leurs besoins. “Les entreprises ne trouvent pas leur compte. Les diplômés sont complètement déphasés de la réalité. On dispense des formations de 1960 alors que nous sommes en 2020. Les jeunes sont formatés pour travailler dans un bureau et non sur le terrain”, remarque Adoudou Artine, président directeur général de l’entreprise Geyser Sa. Pour le directeur des ressources humaines de l’entreprise Cfao Motors, il y a fossé entre la formation et le monde du travail. “La formation est insuffisante ou ne répond pas à nos besoins. La formation est souvent confiée aux enseignants qui ne pratiquent pas le métier. On leur confie une matière, ils vont copier sur net et bombardent les étudiants en salle”, relève-t-il. Son constat se justifie par le fait qu’étant lui aussi enseignant, il en sait quelque chose. C’est pourquoi, il propose désormais que les institutions de formation puissent impliquer les professionnels dans la composition du conseil d’administration.
Formation technique boiteuse
Parlant des difficultés à assurer une formation technique de qualité répondant aux besoins des chefs d’entreprises, la directrice de formation professionnelle et des métiers du ministère de la Formation professionnelle et des métiers ne dit pas le contraire. Pour elle, 80% des jeunes sont analphabètes ou ont quitté l’école. Le ministère se charge de leur donner une seconde chance de réussir dans la vie en leur offrant une formation technique. Mais sur les 53 centres de formation technique et professionnelle publics, 32 seulement sont opérationnels avec d’énormes difficultés relatives au fonctionnement et aux équipements, déplore-t-elle. Parmi ces 32 centres opérationnels, 12 sont pris en charge par le Haut-commissariat des réfugiés (Hcr). Elle s’interroge sur qui doit appuyer ces centres de formation afin d’outiller les jeunes. Outre ces difficultés de fonctionnement des centres de formation technique, “il n’y a pas de structures d’accueil pour les stages. Il est très difficile d’obtenir des stages pratiques dans les entreprises installées au pays. Les apprenants sont obligés de choisir des thèmes qui ne nécessitent pas d’aller en stage pour soutenir leur mémoire”, déplore la directrice de la formation professionnelle et des métiers. Certains responsables des établissements de formation estiment que s’il y a une partie qui manque dans la formation des jeunes, c’est bien le stage pratique que peuvent accorder les entreprises. Le Drh de Cfao motors réplique qu’il faut que le monde académique comprenne ce que font les entreprises avant de leur envoyer les étudiants en stage. Son collègue de la société de téléphonie mobile Tigo, lui, souligne que l’instabilité fiscale, la formation sans outils des jeunes et le manque de compétences locales constituent des réalités qui empêchent les entreprises d’accorder un stage. Il observe que ce n’est pas de gaieté de cœur que les entreprises installées au Tchad font appel aux compétences étrangères.
Les deux acteurs souhaitent désormais établir des liens pour que l’offre de formation réponde aux besoins du monde économique, et que des relations puissent s’établir davantage afin de favoriser des stages pratiques. Mais il faut des mesures d’accompagnement, souhaitent-ils.
Nadjidoumdé D. Florent