Le film de l’atrocité de la Kabbia

La députée Ildjima Abdéramane, ressortissante de la Kabbia, qui a suivi de bout en bout la cruauté intercommunautaire de la semaine dernière survenue dans son département, fait le point.

Tout commence le lundi 23 novembre, quand une réunion devait se tenir dans un ferrick, qui dépend du village Kassing Baouna. Celui-ci est situé sur la route venant de Pont Carol en allant vers Pala. Mais dès qu’on vire à un croisement pour Gounou Gaya, le village s’appelle Délé. Le ferrick en question est situé non loin du village Kassing Baouna. Ces habitants, essentiellement des Haoussa, sont là depuis une vingtaine d’années.

“En août dernier, quand je me suis rendue au village, je suis passée chez eux acheter du lait. Avec les femmes, nous avons parlé en Mousseye. Elles maîtrisent la langue du terroir. Quand ces femmes ont su que j’étais députée, elles m’ont exprimé leurs difficultés de s’approvisionner en eau. Parce que, pour avoir de l’eau, elles doivent parcourir cinq à six kilomètres loin de leur ferrick à cette fin”, rapporte la députée Ildjima Abdéramane.

Il y a quelque cinq ans, Alhadj Hiro, l’homme par qui tout ce malheur devait s’abattre sur les paisibles citoyens, s’était installé dans ce ferrick. On évoque un cheptel constitué de plus d’un millier de têtes de bovins à sa charge. En ce moment de récolte, cet homme a, par habitude, pris le malin plaisir de faire paître ses animaux dans les champs des autochtones agriculteurs. Il a d’abord détruit le champ de mil d’un paysan et alors que l’affaire est, encore pendante au niveau du département, ses bœufs se sont introduits dans un autre champ de coton. De sources concordantes, cet éleveur manque de respect aux autorités coutumières de la localité. Dès qu’il crée un problème, il préfère saisir le département au lieu de recourir à l’arbitrage du chef de village ou de canton. C’est parce qu’il a des soutiens haut placés à N’Djaména que, dès qu’il commet des gaffes, il les saisit pour intervenir à son profit. “Il fait fi de toutes les autorités. D’après les informations en notre possession, il a ses patrons à N’Djaména. Ce sont eux les véritables propriétaires des animaux que lui élève”, témoigne la députée. Dans une autre affaire où il avait été condamné à payer 200 000 francs au propriétaire d’un champ détruit par ses bœufs, il avait déclaré qu’il avait décidé de donner 20 000 francs et c’est tout!

La veille du lundi de malheur, le préfet de la Kabbia a demandé à son secrétaire général d’organiser une rencontre à Bérem pour traiter de la question. Le Sg a fait son travail. Il a appelé le sous-préfet et le chef de canton de Bérem pour les informer que le préfet serait à la réunion. Informé à son tour, l’éleveur en question déclare à qui veut l’entendre que cette réunion sera obsolète. Le Sg rappelle le préfet pour lui dire que ça sera plus prudent de tenir la réunion à la sous-préfecture ou au département. “Non, lui a rétorqué le préfet, il faut aller sur le terrain. Ce sont des informations qui me sont parvenues, parce qu’en ce moment, le Sg est déporté à Moussoro”, relève la députée Ildjima.

Qu’à cela ne tienne, la rencontre se déroule sur le terrain, comme voulu par le préfet. Au lieu de la rencontre, arrivent, d’un côté, les Mousseye, et, de l’autre, les Haoussa pour écouter les autorités. Des témoignages du village rapportent que l’éleveur accusé a fait venir d’ailleurs ses gens puissamment armés des flèches et cachés quelque part. Présidant la réunion, le secrétaire général a laissé la parole au chef de canton. Celui-ci, malade, n’a pas pu assister à la réunion. Son représentant qui a situé le problème a demandé à l’éleveur de quitter la zone à cause des problèmes qu’il crée. Proposition applaudie par l’assemblée. Le préfet prend la parole pour s’adresser à l’éleveur. Soit il quitte la zone ou il reste, lui a-t-il demandé, le temps que les agriculteurs finissent leurs récoltes. L’éleveur répond au préfet qu’il choisit les deux alternatives. Là, la tension monte d’un cran. Le renfort que l’éleveur a fait venir, surgit de sa cachette et déclenche les hostilités. Cette bagarre, d’une rare violence, n’a pas pu être contenue par la garde du préfet, moins nombreuse, qui a usé des tirs de sommation. Le secrétaire général du département réussit à se cacher. Sinon, il aurait été tué. Ainsi, à cause du mal de vivre ensemble exacerbé par la haine des uns envers les autres, des morts se sont comptés. Ce jour-là, les paysans qui n’ont que leurs champs pour toute fortune ont voulu se faire tuer que de les labourer pour nourrir le bétail d’autrui.

Le mardi 25 novembre, des gens venus en moto de la zone de Gagal ont attaqué le village Kéni Bérem. Ils ont brûlé des cases, des maisons, incendié des tonnes de céréales, tué des personnes, …   “Dans la soirée, quand j’ai appelé le chef de canton de Pont Carol, il m’a confirmé que sa population est sur le qui-vive. Des gens venus d’ailleurs, tout de noir vêtus (signe des Boko haram) sont aperçus. Mais la brigade de la gendarmerie informée n’a pas réagi. Nous allons passer une nuit blanche”, a renseigné la députée, le chef de canton de Pont Carol.

Le mercredi matin, les Haoussa habillés en noir attaquent le village Dawal, situé plus en profondeur et éloigné de la grande route Kélo-Pala. Ils attaquent par surprise à 4 h du matin, brûlent les cases, tuent ceux qu’ils rencontrent sur leur passage en criant “allah alkhbar” comme le font les djiadistes. Ils ont même jeté les enfants dans des puits, écrasé des têtes contre les arbres. A la suite de cela, il y a eu un renfort. “Ce qu’on n’a pas compris, poursuit la députée, le gouverneur est déjà en place le mardi avec des éléments des forces de l’ordre et de sécurité. Même le lundi déjà, les renforts sécuritaires venus de Pala, de Fianga et de Bongor étaient déjà sur place. Mais on a compté des morts”.

Le jeudi, les arrestations s’opèrent. Côté Mousseye, 32 personnes sont arrêtées et dans la partie adverse haoussa : 34.

“Les informations que nous avons reçues font état de la présence des Nigériens dans le camp des Haoussa en plus des Nigérians. Apparemment, nous sommes infiltrés par Boko haram. C’est une question sur laquelle le gouvernement doit faire très attention. Ils sont tous des jeunes. Leur moyenne d’âge est la trentaine. Sur la liste des gens arrêtés, il y a le secrétaire général du département, le chef de canton de Bérem, le maire de Pont Carol, le sous-préfet de Bérem, le représentant du chef de canton. Là également, ce qu’on n’a pas compris, le principal acteur qui est le préfet, parce que c’est lui qui a convoqué la réunion, n’est pas arrêté. En outre, l’un des fils de l’éleveur qui a participé n’est pas arrêté non plus. C’est quand même bizarre que le chef de canton de Bérem, qui a eu une luxation au genou, malade à la maison ainsi que le maire de Pont Carol qui a toujours œuvré pour le règlement des conflits intercommunautaires à l’amiable soient arrêtés. C’est dommage parce que nous déplorons des morts des deux côtés. Les jeunes bouviers, qui sont des drogués que les vrais propriétaires engagent maintenant pour surveiller le bétail,  n’arrangent pas la cohabitation pacifique entre les communautés locales et les éleveurs”, déplore la députée Ildjima.

Au total, 22 morts, dont 11 agriculteurs et 11 éleveurs, ainsi que 31 blessés, selon le bilan gouvernemental.

Djéndoroum Mbaïninga