Des journalistes bastonnés, arrêtés et libérés

Suite à l’interdiction de la tenue du forum citoyen par le ministère de la Sécurité publique et de l’immigration, les forces de l’ordre se sont amassées dans les carrefours et ronds-points, ont encerclé, le 27 novembre 2020, les locaux des radios privées de N’Djaména, brutalisé et arrêté une trentaine de journalistes.

L’organisation du forum alternatif citoyen par les forces vives du pays, initialement prévue du 27 au 29 novembre 2020, au centre Al Mouna, a provoqué l’ire des autorités gouvernementales, qui n’ont pas hésité un seul instant à l’interdire par un arrêté du ministre de la Sécurité publique. Motif évoque : la situation de la maladie à coronavirus ne permet pas l’organisation d’un tel évènement. Nos sources au ministère de la Sécurité publique et de l’immigration informent que, après la publication de l’arrêté du ministre Mahamat Tahir Orozi interdisant la tenue dudit forum, des instructions fermes ont été données aux différents responsables des corps de sécurité, notamment la Gendarmerie, la Police et la Garde nationale et nomade du Tchad, leur demandant d’“investir tous les lieux susceptibles d’abriter le forum et interdire tout accès”. Ce que les forces de l’ordre n’ont pas hésité à mettre en exécution. C’est ainsi que, tôt dans la journée du 27 novembre, des unités spéciales de la police appuyées par celles de la Gendarmerie nationale et de la Garde nationale et nomade ont investi les endroits susceptibles d’abriter le forum ou tout autre évènement similaire. Les locaux des radios privées, la Maison des médias du Tchad qui abrite toutes les organisations corporatistes des médias, ont été barrées et barricadées par les agents des forces de l’ordre. Dans les carrefours et ronds-points stratégiques, des véhicules surtout des fourgons bourrés de policiers sont stationnés. Certains leaders et organisateurs du forum citoyen alternatif sont filés par les agents de l’Agence nationale de sécurité (Ans). Pour ceux qui sont jugés plus influents par la police, leurs téléphones sont mis sur table d’écoute. “Les leaders sont suivis à la minute”, confie un officier des renseignements généraux. Certains organisateurs, jusqu’au-boutistes, voulant faire une déclaration sur les ondes des radios privées de N’Djaménaen ont été empêchés par les éléments du Groupement mobile et d’intervention de la police (Gmip).

Zèle et confusion de la police

L’encerclement des locaux des différentes radios privées de N’Djaména, commencé aux premières de heures de la journée du 27, s’est poursuivi jusqu’au zénith. A l’entame de l’après-midi, les éléments de la Gmip ont pénétré les locaux de la Fm Liberté, faisant usage de la force et des jets de gaz lacrymogènes. Certains journalistes ont été arrêtés manu militari et envoyés dans les locaux des renseignements généraux et parqués dans une cellule exiguë. “Ce sont une trentaine de journalistes, non seulement de la Fm Liberté, mais aussi, ceux d’autres organes qui sont en formation dans les locaux de la radio”, a rapporté un témoin. Pour Nara Hantoloum, journaliste de la Fm Liberté, l’une des personnes arrêtées, “les éléments de la police ont demandé à voir les responsables de la radio. Ils ont dit qu’ils cherchent un certain Jérémie et Justine. J’ai répondu que je ne connais pas ces personnes. A peine ai-je répondu, ils ont dégainé leurs armes et ont tiré. Les gens couraient dans tous les sens. Ils m’ont poussé dans leur pick-up stationné juste à l’entrée de la radio. J’étais la première victime. Ils ont aussi brutalisé Abba André. Ils ont fait sortir tous les collègues qui étaient dans les bureaux, mêmes les participants à la formation des producteurs. A ce moment-là, ils ont demandé à notre coordinateur d’établir la liste du personnel. A l’appel nominal, certains sont descendus, d’autres ont été conduits dans les locaux des renseignements généraux. C’est un peu plutard qu’ils ont été libérés. Si c’était une police disciplinée qui venait nous voir avec respect, on les aurait accueillis normalement parce qu’ils sont venus au nom de l’Etat. Mais je vous assure que ce sont des brutes. Leurs menaces sont mises en exécution avec les bastonnades et les grenades lacrymogènes”. Nara de poursuivre que “la radio est un lieu qui offre ses services à tout le monde où les gens peuvent venir pour des interviews, déposer des communiqués et autres. La police est intervenue dans une confusion totale. Les forces de l’ordre ont nourri cette haine contre nous depuis longtemps et c’était une occasion en or pour passer à l’acte”.

La police justifie son intervention par la présence de certains organisateurs du forum citoyen dans les locaux de la radio Fm Liberté. “En exécution des termes de l’arrêté N°006/PR/MSPI/2020 portant interdiction du forum citoyen prévu du 27 au 29 novembre 2020 à N’Djaména, la police nationale a fait face à une farouche résistance orchestrée par Kemba Didah Alain, un des initiateurs dudit forum et ses complices au sein de la radio FM liberté”, écrit la police dans un communiqué publié par la direction générale en fin de la journée.

Selon les termes du communiqué, la police nationale dit avoir constaté “la présence de plus de 70 personnes et une banderole sur laquelle est mentionnée Forum citoyen. Surprise, elle a aussitôt invité ces personnes présentes à se disperser tout en leur rappelant l’arrêté N°035 portant règlementation de la circulation et attroupement de personnes pendant l’état d’urgence sanitaire et celui relatif à l’interdiction du forum citoyen cité ci-dessus. Mais celles-ci ont opposé un refus catégorique”.

Le communiqué de poursuivre que les journalistes ont été libérés quelques heures après, sauf trois personnes, à savoir Kemba Didah Alain, Bessané Eloge et Saleh Mahamadou, qui selon la police seraient les initiateurs du forum sont gardés à vue dans les locaux de celle-ci sous la houlette du procureur de la République près le tribunal de grande instance de N’Djaména. De sources policières, on reprocherait aux trois activistes le délit de trouble à l’ordre public et le non-respect de l’interdiction du forum citoyen alternatif.

Aux dernières nouvelles, ces trois personnes, membres du Mouvement citoyen le Temps, ont été présentées à la presse dans les locaux de la police nationale et confiées à la justice le samedi 28 novembre 2020.

Floppée de réactions de la société civile

En dépit des témoignages des journalistes qui dénoncent le manque de discernement et l’usage de la force par la police, le porte-parole de la police, Paul Manga qui s’adressait à certains médias dans la journée du samedi 28 novembre, persiste et signe : la police n’a rien à se reprocher, elle a agi dans les règles conformément aux textes. Les réactions n’ont pas tardé. L’Union des syndicats du Tchad (Ust), dans un communiqué rendu public le 28 novembre, a demandé la démission des responsables de la police nationale. L’Union des radios privées du Tchad (Urpt), elle, appelle à une journée sans radio le 1er décembre 2020 sur toute l’étendue du territoire. La Convention tchadienne de défense des droits de l’Homme (Ctddh) dénonce la recrudescence des bavures policières qui va grandissante et inquiète plus d’un ce dernier temps. La Ctddh, “rappelle que par ces actes de violence, la police vient de porter une atteinte grave aux dispositions de la constitution en vigueur qui garantit la liberté d’expression et de presse, la liberté de réunion et d’association ainsi que celle d’opinion”. Dans le sillage d’autres organisations de la société civile, la Ctddh “exige la libération immédiate et sans condition du coordinateur du  Mouvement citoyen le Temps, Didah Kemba Alain et ses camarades arrêtés”.

Gaspard Boulaledé