Comment avez-vous apprécié le report au 10 mai prochain de la date de la tenue du Dialogue nationale inclusif souverain (Dnis) ?
Je remercie N’Djaména Hebdo et l’encourage dans sa ligne éditoriale. Je voudrais rendre hommage à N’Djaména Hebdo, puisque vous êtes le premier journal d’opinion indépendant, en plus, vous êtes considérés comme des acteurs au même titre que nous, individuellement ou à titre collectif.
Sur le report de la date du Dialogue national inclusif souverain, c’est un report logique. Parce que depuis la création des organes censés préparer l’organisation de ce dialogue, jusqu’à la déclaration du Président du Conseil militaire de transition (Pcmt) à l’occasion du nouvel an, en réalité on a été bernés, parce qu’on a assisté à une consolidation du système. L’idée du dialogue a commencé avant la mort du Maréchal Déby. Même s’il avait un contrôle quasi-total sur le pays, il ne fallait pas ignorer qu’il y avait quand même beaucoup de mécontents. Et il y en a qui arrivaient en dépit de tout à s’exprimer et qui demandaient justement le dialogue. Maintenant avec l’opportunité de cette mort, parce qu’il y a un vide dont la nature a horreur, l’idée du dialogue a pris une autre dimension. Il fallait profiter de cette opportunité pour mettre les choses à plat et repartir d’un bon pas. Cela signifie que les choses n’allaient pas dans le bon sens. Comme on le sait, le 6ème mandat du président allait être très critique. Finalement, le destin a voulu qu’il ne l’ait pas assumé quand bien même tout était déjà monté dans ce sens. Donc, il y a toute une conjugaison de facteurs qui font que le dialogue en tant que tel, il faut qu’on le définisse d’abord. Or, jusqu’ici ce dialogue n’a pas été défini. Il n’y a pas une définition officielle de ce dialogue. C’est selon l’interlocuteur. Pour ceux qui sont en train de le préparer actuellement et qui sont justement l’ancienne majorité politique autour du Mouvement patriotique du salut (Mps), c’est la continuité pure et simple. Et c’est pour cela qu’ils avaient refusé d’écouter les voix qui disaient qu’il ne faut pas se presser à mettre en place des organes comme le Conseil national de transition, qu’il fallait revoir la charte de transition et autres pour bien cadrer l’époque que nous sommes en train de vivre ; parce que nous ne sommes pas encore en train de vivre une transition. Si nous vivons une transition, c’est qu’en fait on met fusil au pied. Quand on est en transition, cela veut dire qu’on a cassé cette histoire de majorité, d’opposition et on se remet ensemble pour refaire le fondement. Ceux qui parlent de refondation ont raison. C’est ce qui devait être fait. Or là, en termes de dialogue, c’est plutôt une invite à ceux qui voudraient bien se joindre à ceux qui sont déjà assis et qui se sont même dépêchés de s’asseoir dans ce cadre-ci pour la continuité. Donc, la marge est très mince déjà. Même si on ne définit pas officiellement le dialogue, par les faits et gestes qui sont posés chaque jour, la marge qu’on vous donne à vous qui n’êtes pas dans le sérail est très étroite. Qu’est-ce que vous pouvez avoir de plus ? Vous ne pouvez rien changer dans la gouvernance. Vous ne pouvez vous contenter de ce qu’on vous donne comme miettes. Et même les problèmes du pays, on bute sur qu’est-ce qu’on doit discuter à ce dialogue ; là encore il y a un flou artistique. Organiser une grande rencontre qui peut prendre trois à quatre centaines de participants, nous pouvons le faire en une semaine, dès lors que tout est déjà bien défini. C’est quoi le cadre, les objectifs, qui doit participer, suffisent à préparer un tel événement en une semaine. Et même le budget que le gouvernement propose aux partenaires, soyons sérieux ! Le dialogue n’est pas l’affaire des partenaires. Parce que quand les partenaires financent quelque chose, il vous donne en même temps le brouillon de cette chose. On ne peut donner de l’argent pour vous permettre de dire autre chose que ce que les donateurs veulent. Vous devrez faire comme ils l’entendent. Je défie en tant qu’ancien ministre des Finances, toutes charges comprises dans une bonne gestion, qu’on puisse dépasser le milliard de francs CFA. Quand je vois qu’on ajoute plusieurs zéros à des milliards pour cette organisation, je pense à l’arnaque. C’est tellement ridicule.
Dans le déroulement de notre quotidien, dès lors qu’on parle de dialogue, on doit mettre tout le pays dans l’esprit du dialogue. Cela signifie qu’on ne réprime plus les gens ; on maîtrise les forces de défense et de sécurité ; on gère convenablement les manifestations pour que les citoyens soient à l’aise quand ils manifestent. Dans ce cas, ils ne peuvent pas casser. En plus, il faut prendre note de ce qu’ils expriment. Malheureusement, jusqu’aux derniers événements d’Abéché, on a que des morts et des blessés, seulement pour l’expression. Nous ne sommes même pas dans le cas que ces forces intérieures ont formé des rébellions et sont en train d’attaquer des insignes du pouvoir avec les armes … Et on est déjà à ce stade de répression.
Qu’on mette la date du 15 février, du 10 mai ou de quelle date, est-ce que dans cet esprit on peut amener les gens en salle pour s’entendre ? Il faudrait d’abord un apaisement général dans le pays. Autrement dit, nous sommes loin du compte.
Vous semblez dire que l’échéance du dialogue reportée au 10 mai n’est pas encore la bonne …
Je dis sincèrement que ce n’est pas un problème d’échéance. C’est celui de redéfinition du processus. J’ai lu en diagonale le premier rapport du Comité d’organisation du dialogue national inclusif (Codni) qui fait près de 200 pages. Est-ce de la littérature dont nous avons besoin ? Aujourd’hui, il y a des semi-analphabètes, même les acteurs politiques et ministres ne lisent pas dix pages… Si ce n’est qu’écrire, on peut trouver des solutions dans tout ce que les journaux écrivent. En quoi le Codni a apporté un plus et ce n’est pas un séminaire pour qu’on réunisse des gens dont beaucoup n’ont pas le goût de la lecture pour dire que 1er rapport de la Codni : 200 pages ; 2ème rapport : 150 pages, etc. Ce n’est pas ça. Le dialogue, c’est cœur à cœur, c’est face à face.
Quels sont à votre avis les sujets qui méritent d’être débattus au cours de ce dialogue ?
On ne cache pas le soleil avec la main. Aujourd’hui, si le vivre-ensemble se passait dans de bonnes conditions, ce dialogue ne serait qu’une affaire technique. Parce que quand le vivre-ensemble se passe bien, le pays n’est pas en crise. Comme le vivre-ensemble est menacé chaque jour, le premier groupe de sujets doit porter sur l’égalité citoyenne. Qui est Tchadien et qui ne l’est pas et qu’est-ce que ça signifie être tchadien ? Parce que là, on se pose des questions. Ce volet comporte tous les détails (droits de l’homme, liberté, etc.) Et les faits quotidiens le prouvent. L’autre sujet : la justice. La justice est le reflet de la loi et de son application. Mais y a-t-il une loi dans ce pays ? Et s’il y en a, à qui est-elle appliquée ? A qui elle ne l’est pas ? Au Tchad, il existe plein de mécontentements du fait de l’inexistence de la justice. S’il y avait de justice, dans son vécu quotidien, le citoyen serait déjà sécurisé. Donc, il y aura un apaisement social. Le 3ème sujet : la sécurité. Pourquoi la sécurité ? Parce que si les droits sont bien définis et que la justice marche, il faut les garantir, empêcher que ceux qui ont plus de force et de moyens écrasent les autres. La sécurité n’est pas une question de dire qu’on a des agents en uniforme qui patrouillent, non ! La sécurité, c’est pratiquement la tranquillisation même de la vie publique. Vous faites tranquillement votre commerce, votre journal ne sera pas attaqué et vandalisé, etc. Tout cela entre dans le cadre de la sécurité. Nous n’avons pas de sécurité. Nous avons par contre les Forces de défense et de sécurité (Fds) qui sont vantées ailleurs parce qu’elles font un travail de mercenariat pour d’autres pays mais chez nous, nous avons peur d’elles. Le 4ème groupe de sujets : la gabegie, la mauvaise gestion. Aujourd’hui, nous sommes restés un pays mendiant qui occupe le dernier dans les classements mondiaux, alors que nous avons eu à gogo de l’argent du pétrole. Je ne tiendrai pas ce langage si on était encore à l’ère cotonnière jusqu’en 2002. Mais à partir de 2003, le Tchad n’a aucun argument d’être dans l’état où il est aujourd’hui et où, même les retraités sont gazés, ce qu’on n’a jamais vu ailleurs. Que des retraités, des gens qui vous ont précédés dans les services d’Etat soient gazés au lacrymogène, ce sont des extrêmes qui ont commencé chez nous. Nous avons un énorme problème en termes de gestion des ressources de notre pays. Toutes les injustices et inégalités découlent de là. Parce que s’il n’y avait pas de moyens, on serait tous égaux ; même les forts ne seraient pas forts. Mais dès lors qu’il y a les moyens, ce déséquilibre s’accroît. Ceux qui n’ont pas les moyens deviennent plus vulnérables que ceux qui ont accumulé injustement. Chez nous, là où on n’a pas besoin de moyens, c’est là où ils vont se thésauriser et là où on en a besoin, ils sont absents. Même dans le domaine culturel, sportif ou de la presse, l’Etat est défaillant. Par contre, là où il y a du folklore, les moyens sortent. Il y a quelque chose qui ne va pas. Des riches n’ont aucun lien avec leur activité. Il n’est pas mauvais d’être riche, mais cette richesse doit découler quand même de mon activité. Si je n’ai pas gagné au loto, il faudrait que je justifie comment je ne travaille pas et que je vis une vie de pacha et que mon voisin travailleur peine à joindre les deux bouts. Ailleurs, on pose des questions.
La dernière question non moins importante est celle-là qui va donner la qualité à notre démocratie, c’est l’alternance. Elle est capitale. Quand il n’y a pas d’alternance dans une société, celle-ci est figée. Elle ne peut pas évoluer. Si le père ne croit pas qu’il va passer le relais au fils, ce n’est pas la peine qu’il fasse des enfants. L’alternance est une loi naturelle. Ce n’est pas une catastrophe d’accepter l’alternance. La société se renouvelle et s’améliore par l’alternance. Si on n’arrive pas à l’alternance politique, cela veut dire que les autres changements qualitatifs dans nos différentes activités ne peuvent pas passer. Parce que ceux qui refusent l’alternance annulent les efforts de toute la collectivité. Un exemple : pendant des années, on a tenu un langage aux fonctionnaires : sacrifice, sacrifice. Mais quand les moyens sont arrivés avec la manne pétrolière, les mêmes fonctionnaires ont été oubliés. Et ce sont ceux qui n’ont pas participé à l’effort qui ont gagné. Conséquences aujourd’hui, dans toutes les grandes administrations, toute une génération est en train de mourir précocement ou les gens n’ont même pas la force d’arriver valides à la retraite, parce qu’on les a sacrifiés en leur demandant de se sacrifier et quand les moyens sont arrivés, on les a sacrifiés pour de bon. Finalement, au lieu que notre administration gagne en expériences et en progrès, elle a fait un bon saut en arrière. De mon point de vue, c’est autour de ces cinq questions clés qu’on doit discuter. Ce n’est pas la peine de surcharger avec des questions courantes des diplômés, etc. Ce n’est pas le même contexte de la Cns en 1993.
En quoi la Cns de 1993 est-elle différente du Dnis dans sa préparation ?
La Cns de 1993 avait un contexte précis. Nous étions dans le contexte de dictature. On ne parlait de démocratie au Tchad ni ailleurs en Afrique francophone. Et le vent est venu de dehors, du discours de la Baule.La puissance colonisatrice elle-même était derrière pour obliger à ce que ça bouge. A la Cns, nous étions tous des acteurs nouveaux. Les partis politiques venaient de se créer … Il n’y avait pas encore eu des suffrages universels, des votes libres. La société civile autour de la Ligue tchadienne des droits de l’homme (Ltdh) et l’Union des syndicats du Tchad (Ust) étaient les premières associations à se former. Il y avait toutes les raisons d’être naïfs et croire en ce que nous voulons. Pour la plupart à la Cns, les gens étaient sincères et de bonne volonté, parce qu’il n’y avait pas une expérience antérieure à laquelle on pouvait se référer en dehors de la dictature qui avait prévalu des décennies précédentes. Et dès lors qu’on a réussi à se mettre ensemble, y compris les fronts armés (mon ami feu Laoukein Bardé du Conseil du sursaut national pour la paix et la démocratie – Csnpd – de Ketté Nodji Moïse, était là) et les autres du côté nord. Il existait ce bénéfice du doute. Quand les gens disent que la Cns a échoué, je leur dis non. Elle a été fondatrice. Des compromis ont été réellement trouvés. C’est par la suite que les gens ont sorti leurs agendas cachés. Parce que pendant la Cns, il y avait une pression forte et les gens ne pouvaient pas se dévoiler. Par la suite, quand la puissance colonisatrice a commencé par relâcher de son côté, les gens ont retrouvé leurs anciens réflexes et ont commencé à laminer le consensus de la Cns. Et on est revenu aux anciennes méthodes de l’Union nationale pour l’indépendance et révolution (Unir) de Habré. Et c’est ainsi que c’est parti. Tout ce qu’on reproche aujourd’hui, ce n’est pas la Cns. Je suis un acteur de la Cns et je parle en connaissance de cause, ce sont les agendas cachés. Si les résolutions et recommandations de la Cns avaient été respectées et appliquées, le pays serait très propulsé en avant.
Quels ont été critères de participation à la Cns ?
Comme j’étais à la tête de la société civile avec la force de la Ltdh à l’époque, on s’était battu avec Paris parce que pour Paris, c’était Idriss Déby ou rien.
N’est-ce pas le même schéma aujourd’hui ?
C’est la France, bien sûr ! Mais quand même, il fallait obtenir la Cns. On avait fait valoir l’option que si on n’obtenait pas la Cns, il n’y aura pas autre chose que la guerre. Parce que la Cns marquait au moins l’apaisement. Ça redonnait l’espoir au Tchadiens et permettait aux forts et aux faibles d’être ensemble et de fraterniser. Mais pourquoi après la Cns le nombre de conflits armés avec tant de morts a augmenté ? C’est à cause des agendas cachés. Et ça coûté extrêmement cher au pays. Ça n’avait rien à voir avec les mauvaises définitions des résolutions de la Cns.
S’agissant des critères, d’abord la préparation, parce qu’il y avait une Commission tripartite (gouvernement, partis politiques et société civile). Cet équilibre était respecté, non pas pour la forme comme dans le Codni où en réalité, il n’y a que le Mouvement patriotique du salut (Mps) et les autres suivent. Non ! C’est qu’il fallait, même pour les invitations, nous (société civile) devons pointer les invités pour s’assurer de qui venait. C’est comme ça et je dis clairement que si ce n’était pas la Ltdh, les gens comme Adoum Maurice El-Bongo (Ndlr : président du présidium de la Cns) ne seraient pas venu à la Cns. Parce qu’on ne voulait pas de leur tête. Le fait qu’il y ait cet équilibre tripartite et que chacun des trois pieds pouvaient aussi faire prévaloir son avis et que les gens avaient peur aussi que cette affaire ne marchait pas, les concessions étaient mutuelles. C’est comme ça qu’il y a eu une composition qui a permis de coopter pas mal d’élites. On avait aussi joué sur le nombre, parce qu’on était allé jusqu’à 800 délégués et la majorité était constituée des partis politiques. Mais à l’époque, il était difficile de dire qui était réellement opposant, sinon ce nombre aurait dû être réduit. Bien qu’ils n’aient pas fourni les preuves de leur représentativité, il me semble que chaque parti politique avait huit délégués. Or, au niveau de la société civile, les deux organisations qui avaient le grand nombre de délégués étaient la Ltdh et l’Ust à cause de leur poids. Les autres en ont qu’un ou deux. Mais ça n’a pas empêché que dans la configuration et au niveau des débats les gens qui étaient venus avec l’esprit de coalition des uns contre les autres, avec le travail qu’on a fait d’arrache-pied de conscientisation sur chaque sujet, on réussissait à chaque fois à renverser la majorité. Ça ne venait pas d’ailleurs. Oui, les gens qui se concoctent la veille, après des débats contradictoires, ils sont obligés de rallier nos positions, les meilleurs points de vue parce que publiquement, vous ne pouvez pas défendre l’indéfendable devant tout le peuple. Et j’ai fortement l’impression que le Mps de Kabadi n’a pas pris en compte cet aspect de la chose.
Pensez-vous que les membres du Codni et du Cts nommés unilatéralement par grâce présidentielle peuvent conduire les préparatifs du Dnis à bon port ?
Je adis franchement non. La conservation du pouvoir ne peut pas vous permettre d’organiser un dialogue. Si vous venez avec un esprit de conserver le pouvoir, vous n’offrez aucune alternative à ceux que vous invitez. Il n’y a pas dans ce cas l’esprit de la refondation. Parce que les revendications très simples comme celles des groupes Wakhit Tamma et autres qui portaient sur la charte de transition ou le Cmt ne coûtent rien. Et si on en avait tenu compte, on devait même déjà finir de tenir le dialogue. On a perdu tout ce temps à mettre en place des institutions qui n’auront pas de sens si le dialogue est franc et direct. Parce que des gens ne se sont pas encore vidés, on n’a pas encore parlé des crimes économiques, des tas de sujets qui fâchent. De vous à moi si on devait réellement aborder ces sujets, mais nous n’avons pas une classe politique qui vient d’ailleurs pour être en salle du dialogue, et si vous êtes incriminés, est-ce parce que vous êtes en salle du dialogue qu’on ne doit plus rien vous faire et vous laisser continuer ? Ce n’est pas possible. Si on doit moraliser, mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut, si on doit prendre la liste de tous ceux qu’on peut nommer par décret dans l’administration, dans l’armée, etc. et qu’on fait la part des choses pour avoir l’équilibre au niveau des 23 provinces, je crains bien fort que dans le contexte actuel jusqu’à mai, s’il n’y a pas de signes précurseurs qui soient favorables, dans la salle-même, il y a des gens qui vont se lancer des grenades.
Le Codni est-il en train de jouer le rôle de la Commission tripartite à la Cns ?
Le Codni n’est pas en train de jouer le rôle de la Commission tripartite dirigée à l’époque par le défunt Djimasta Koïbla. Pour la simple raison que même l’acte qui crée le Codni n’a pas défini le dialogue. A l’époque, nous n’étions pas dans la Commission tripartite pour chercher des per diem. Nous étions là, parce que nous avions des propositions. Il y avait des voix contradictoires. Dans la préparation de la Cns, nous étions dans l’esprit de la souveraineté, parce que nous avons voix au chapitre dans la Tripartite. Nous devons dire non à ceci ou cela pour corriger l’organisation. Aujourd’hui, si au sein du Codni existent des voix contradictoires comme la coalition Wakhit Tamma, en ce moment si c’est nul, c’est la nullité de tout le monde. Parce qu’on dirait que toutes voix contradictoires du pays sont ensemble. Si elles décident d’aller vers telle direction, on ne peut plus critiquer. Mais il n’y a aucune voix contradictoire, même le groupe de l’ancienne opposition politique qui est dedans, on ne connaît pas son agenda. Celle-ci n’apporte rien de différent par rapport à ce que nous avons vu au dernier forum du Mps. Sinon comment expliquer que jusqu’aujourd’hui ceux qui sont avec vous dans la légalité et qui n’ont pas des armes, vous ne pouvez pas donner accès à une seule de leurs revendications dans la préparation d’un dialogue auquel ils sont censés prendre part ? Est-ce qu’il y a la volonté ? Maintenant, si vous voulez qu’ils viennent en salle applaudir pour entériner ce que vous aurez déjà concocté, ils ne joueront pas ce jeu. Ils peuvent venir en salle et dire que le dialogue a échoué, parce que beaucoup de délégations ont refusé de signer le procès-verbal. Que dire ? Seront-ils prisonniers jusqu’à être obligés à signer des conclusions si cela ne va pas ?
Et sur le rôle du Cts…
Je voudrais qu’il y ait un Cts différent du Codni, parce que la question des politico-militaires ne doit pas être confondue avec les questions liées à notre processus démocratique. Les politico-militaires, il ne faut pas se tromper d’acteurs. C’est une affaire qui a commencé depuis 1965 sous Tombalbaye. Et nous sommes au 7ème président de la République ! Les partis politiques datent de 1990. Aujourd’hui, beaucoup de nos cadres ne savent pas qui est Tombalbaye ; Malloum ; Habré. Des jeunes d’aujourd’hui ne connaissent même pas Hissène Habré. On ne peut pas prétendre que ceux-là, depuis 1965 c’est pour les mêmes problèmes qu’on veut se réunir. Et d’autant plus qu’ils sont tous passés par l’exercice du pouvoir, ces gens-là, on doit les traiter dans leur cadre, dans le cadre des relations de servitude que le Tchad a avec ses voisins arabes (Soudan et Libye) qui dominaient politiquement le Tchad. Ce sont ces pays qui ont fabriqué nos rébellions armées. Le sud a fait long feu dans la rébellion, parce qu’il n’y avait aucun pays qui parrainait la rébellion armée du sud idéologiquement. De ce côté, les gens luttaient pour des choses précises et quand il y a un compromis, ils déposaient les armes pour rentrer dans la légalité. Mais depuis une cinquantaine d’années, les gens vont de l’autre côté en rébellion et reviennent. Quand bien même ça menace tous les temps notre sécurité et notre stabilité, les politico-militaires sont un problème distinct. Si on ne rompt pas le cordon ombilical entre les rebelles et leurs parrains, on n’aura pas la paix ; parce qu’on les a mis dans une salle pour signer des papiers. Il ne faut pas se faire d’illusion. Vous avez vu que la France a commencé par la lutte contre les djihadistes au Sahel. Aujourd’hui, sur le même terrain, on a oublié les djihadistes, c’est la lutte contre la Russie. Cela signifie qu’il faut se mettre à la page du jour. Est-ce que les gens luttent réellement pour leur peuple ou bien sont-ils dans l’air du temps où les puissances montent des groupes pour déstabiliser pour conquérir indirectement d’autres pays voisins? De mon point de vue, le Cts devait être composé des gens qui ont la même coloration ethnique, culturelle que ceux qui sont en rébellion armée. Si c’est un problème national, le Cts ne devait pas être composé comme l’actuel. Dans le Cts actuel, à part deux ou trois sudistes qui serviraient de secrétaires, tous les autres sont du même sérail. Il devait avoir le côté politique représenté par les grandes tendances y compris ceux qui s’opposaient au régime, pas seulement celle du pouvoir, puisque c’est un pré-dialogue. Cela permettrait de parler un langage audible par tout le monde. Il devait avoir des représentants éminents de la société civile qui gèrent tous les temps les conséquences des exactions sur les populations qui doivent être là pour rappeler les méfaits des conflits armés sur les populations ainsi des Tchadiens connus en matière de désarmement, démobilisation et réinsertion. Même si après discussion, on tombe d’accord et que des chefs vont avoir des postes, qu’est-ce qu’on fait du reste ? On ne veut plus d’une armée encore complètement mono ethnique. Pour se battre, ce n’est pas l’Etat qui a recruté les rebelles. Ceux qui les ont recrutés leur ont fait des promesses comme quoi s’ils prennent le pouvoir, ils auront ceci cela. L’Etat ne doit pas endosser ces promesses ? Lorsque les choses sont mises au clair et qu’on veut la paix, il y aura un prix à payer. Donc, qu’est-ce qu’on fait des chefs et du reste ? C’est une question nationale à ne pas traiter en catimini. Un autre élément très important c’est que dans ce genre de situation que vous n’impliquez pas directement le Conseil de sécurité des Nations unies, quelle garantie vous pouvez avoir ? Déjà entre nous les acteurs qui sommes dans la légalité ici, nous n’avons pas confiance et disons que même si on allait au dialogue, on n’est pas encore sûrs que la volonté va perdurer après le dialogue. Combien de fois des gens qui dorment avec armes comme oreillers ? C’est seules les Nations unies qui sont en mesure de prendre toutes les mesures conservatoires pour arrêter la circulation des armes et des individus de passer d’une frontière à l’autre et pour mettre en place le programme de leur réinsertion. Mais si c’est pour augmenter le nombre des généraux de 300 à 1000, nous ne sommes pas sortis de l’auberge. Dès lors qu’on a pêché au départ à ne pas définir le Dialogue national inclusif souverain (le S est ajouté après un simple discours alors qu’on a déjà épuisé 9 mois), on flotte.
Interview réalisée par
Djéndoroum Mbaïninga