Ndolénodji Alixe Naïmbaye, actuellement Secrétaire d’Etat aux Finances et au Budget, a-t-elle arraché “la chose de son père” ? C’est autour des questions pour le moins gênantes, comme celle-ci, que la présidente de l’Action pour la République, la démocratie et le développement (Ard) a échangé avec NDJH. Interview.
Madame la présidente, le 30 octobre 2020, vous êtes désignée à la tête de l’Ard par un groupe de militants réunis en Assemblée générale extraordinaire à Moundou, dans le Logone oriental. Comment en est-on arrivé à cette désignation pour le moins inattendue pour certains observateurs ?
Cela peut paraitre inattendu pour ceux qui ne suivent pas l’actualité au sein de l’Ard. Sans vouloir remonter plus loin, il vous souviendra qu’il y a eu un simulacre de congrès qui avait été organisé le 12 octobre 2020 par le bureau sortant; un congrès qui n’a réuni ni les conditions de forme ni de fond.
Le 11 octobre, soit 24 heures avant, nous, membres du bureau, avions reçu un message à 9 heures annonçant l’assemblée générale de l’Ard pour le 12 octobre. Selon ce message signé du Secrétaire général du parti, le lieu nous sera précisé plu tard par le président. A 19 heures, nous avions reçu un 2ème message de la même source précisant que la grande assemblée de l’Ard aura lieu demain 12 octobre à la bibliothèque nationale, à N’Djaména. Vous conviendrez avec moi qu’aucun parti politique qui se respecte ne peut organiser ses assises de la sorte.
Quelle a été votre réaction ?
Le lendemain, nous sommes arrivés sur les lieux, mais, à notre grande surprise, nous avons constaté une banderole annonçant le 3ème congrès de l’Ard. Un congrès qu’ils avaient concocté en douce. Nous avons été avertis la veille et nous avons découvert l’ordre du jour séance tenante. Même si le parti n’a pas tenu ses assises statutaires depuis 2018, pourquoi se précipiter de la sorte ? A l’ouverture du soi-disant congrès, ils ont commencé par la lecture des dispositions des textes relatifs à l’organisation d’un congrès. En se rendant compte qu’ils ont violé eux-mêmes les dispositions lues, ils ont conclu en disant : “mais il y avait urgence”.
La question, c’était de savoir qui a statué de l’urgence et quand? Le quorum n’a pas été respecté, aucune convocation dans le respect de nos textes. C’était devenu une habitude de voire quelques membres du bureau se réunir pour prendre de décisions qu’ils imposent aux autres toujours avec le même prétexte. Donc la méthode ne nous a pas étonnés.
Est-ce pour cela que vous avez saisi la justice ?
Le 12 octobre, certains militants qui sont aussi membres du bureau, ont saisi la justice pour obtenir une ordonnance de suspension des travaux. Le bureau évolue dans l’illégalité depuis son accession à la tête du parti, en 2012. Aujourd’hui, je ne peux même pas parler d’un bureau sortant parce qu’il n’existait pas, en réalité. Après la décision de la cour suprême annulant tous les actes de ce congrès, les militants ont décidé que nous allions jusqu’au bout. C’est pourquoi nous avons tenu les assises de Moundou à l’issue desquelles les militants de l’Ard m’ont désignée à la tête du parti, tout simplement. Le changement à la tête du parti était une suite logique de ce qui se passait avant.
La mobilisation autour de ces assises vous a-t-elle assuré une certaine légitimité ?
On était dans une salle bien pleine. Les militants étaient vraiment engagés à relever le parti de cette léthargie. C’est peut-être à cause de cette inertie que l’ancien bureau n’a pu constater qu’il y a autant de militants de l’Ard dans la nature. Mais la perspective d’un nouveau départ a fait que les gens sont sortis massivement à ce rendez-vous de Moundou, qui m’a portée à la tête du parti. Sachez aussi que je ne me suis pas portée candidate à cette désignation. Ça n’a pas été également un effet de lutte entre deux personnes comme les gens veulent le démonter.
Ndolénodji Alixe Naïmbaye désormais présidente de l’Ard, une formation politique fondée par votre feu père, Mbaïlaou Naïmbaye. Ce qui fait dire à certaines langues que, ça y est ! Elle a récupéré l’héritage de son père. Avez-vous le sentiment d’avoir arraché “votre héritage” ?
…(sourire). S’il faut remonter dans le temps, ce sont ces mêmes personnes qui veulent se faire paraître pour des dissidents (je n’aime pas parler de dissidence), qui sont venus me solliciter pour entrer dans le parti en 2016. Parce que jusqu’en 2016, je ne militais pas au sein l’Ard. Ils m’ont approchée avec ces termes: “c’est l’œuvre du défunt, ton papa. Tu ne peux pas la laisser s’éteindre. Le monsieur est en train de tuer le parti, apporte ta contribution’’. J’étais un peu réticente au début, mais ils ont insisté; j’ai fini par accepter. Après quelque temps, ces mêmes personnes ont commencé à dire qu’il fallait renverser le président du parti. J’ai dit que cela ne fait pas partie des méthodes que le défunt fondateur aura appréciées. Je ne veux pas qu’on me colle l’étiquète de celle qui est venue récupérer l’héritage. Je leur ai dit que, s’ils sont mécontents à ce point, pourquoi ils n’ont rien fait depuis tout ce temps, et pourquoi moi ? Je viens d’arriver et allons-y doucement.
Madame, ce que vous expliquez ne pourrait-t-il pas être interprété comme le début d’un complot ?
J’ai été plébiscitée à la tête du parti. Cette interprétation serait sans doute l’œuvre de ceux qui m’ont vue, dès mon engagement au sein du parti, comme celle qui vient pour arracher la tête de celui-ci. La question d’héritage donne une connotation presque péjorative, mais, de toute façon, nous sommes tous héritiers de quelque chose que nous devrons assumer d’une manière volontaire ou involontaire. Aujourd’hui, les militants ont estimé peut-être que je suis la personne la mieux placée pour relever ce parti avec certaine abnégation, pas parce que je suis la fille de son fondateur. C’est vrai que nous avons vu comment il se donnait corps et âme, comment il se sacrifiait pour ce parti. En relevant le flambeau pour honorer sa mémoire, ça ne sera que lui rendre justice si les autres ne le font pas. Pour cette cause, je ne serais jamais gênée d’avoir à reprendre le flambeau. Si j’étais un homme, peut-être que la question se serait posée autrement. Mais au-delà de ce qu’on fait à la tête du parti, il faut savoir qu’il y a les militants. C’est l’une des choses qui m’a le plus touchée de découvrir, qu’il y a des militants qui sont engagés, on peut dire pratiquement jusqu’à la mort, dans leur choix politique. Ceux-là, nous n’avons pas le droit de les décevoir. Il faut leur redonner l’occasion d’être fiers de cet engagement, d’assumer le choix qu’ils ont fait. Aujourd’hui je suis encore plus heureuse, quand je vois ces militants sortir de l’ombre et dire “nous sommes là”.
Votre désignation est intervenue dans un contexte marqué par une crise de leadership qui a profondément divisé les militants de l’Ard. Comment comptez-vous rassembler ce qui reste de votre parti politique ?
Quand les gens parlent de querelles, ça m’amuse un peu. Il y a une aile qui n’est pas d’accord, et c’est le résultat de ce qu’elle a créé. Elle est en train de gérer les conséquences d’une précipitation, d’un refus de s’ouvrir aux autres, d’avancer ensemble. J’appelle ça juste de la contestation. Il y a eu, à un moment, un semblant de division. Sinon, nous sommes allés dans la logique. Il ne s’agit pas de dénigrer l’un ou de diffamer l’autre, les choses étaient claires. J’estime que je n’ai pas un combat à mener contre une aile dissidente ou quoi que ce soit. Le combat que nous avons à mener, c’est de relever le parti et le remettre au niveau où il aurait dû être depuis toutes ces années. Soit on est de l’Ard et on respecte ses textes, soit on n’y est pas et on fait ce qu’on veut. Certains n’ont pas compris, mais, d’autres ont compris ainsi et ça commence à consolider notre marche. Si nous avons un défi interne à mener, c’est de restructurer les instances du parti. Chaque jour qui passe, nous avons d’anciens militants qui reviennent, y compris ceux qui n’étaient pas d’accord simplement parce qu’on ne leur avait pas bien expliqué les choses au départ.
Avez-vous réussi à réconcilier l’actuel bureau exécutif du parti avec l’aile dissidente menée par l’ancien président Abdoulaye Mbodou Mbami ?
Abdoulaye Mbodou Mbami n’est vraiment pas mon problème. Mon problème, ce sont les militants qui sont la raison d’être du parti. Pour répondre précisément à la question, nous n’avons pas eu de contact particulier ce dernier temps. D’abord, il y a une vérité à laquelle il faut faire face. J’espère qu’il pourra à un moment s’asseoir et se demander s’il a été dupé. Il doit faire sa propre analyse, mais sa position n’est pas celle qui importe.
Est-ce qu’il ne faut pas faire un pas vers lui ?
Nous sommes le bureau du parti. Lorsqu’il était à la tête du parti, contents ou pas, nous allions vers lui. Aujourd’hui, il y a une nouvelle équipe à la tête du parti qui est disposée à dialoguer. Mais est-ce que la vie d’un parti doit tourner autour d’une personne, sachant que nul n’est irremplaçable?
Les échéances électorales approchent, une période qui détermine le poids politique de chaque parti. Comment l’Ard et sa nouvelle équipe dirigeante se préparent-ils à vivre ce moment ?
Nous sommes en train de restructurer nos fédérations. A une certaine époque, nous étions à 17 fédérations dans les provinces. Aujourd’hui, c’est un travail qui est en train d’être refait. Le temps est court comme vous le dites. Pour connaître son poids, il faut connaître son importance au niveau des provinces, au niveau de la base. C’est ce travail auquel nous nous attelons. Après notre élection à la tête du parti, nous sommes tombés directement dans le confinement. Mais grâce aux moyens de communication qui existent, nous avons pu reconstituer le bureau à distance. Maintenant, avec la levée du confinement, nous allons pouvoir descendre dans les provinces pour savoir qui est où et qui fait quoi. Je n’ai pas trop d’inquiétude pour cela. Ce qui ne paraît pas évident va l’être de plus en plus lorsque nous avancerons dans la reconstruction de l’Ard.
Madame Ndolénodji Alixe Naïmbaye, candidate à l’élection présidentielle d’avril 2021 ? Si oui, avec quelle stratégie électorale ?
(Rire). D’abord, c’est un projet d’ensemble et je pense que ce n’est pas la priorité en ce moment. Il faut avoir des assises pour prendre certaines décisions. Les élections, ce n’est pas un jeu du “j’essaie, je rate”. Il faut savoir ce qu’on cherche, ensemble avec les militants. Franchement, il ne faut pas aller vite en besogne. Ma candidature à la présidentielle peut être l’une des surprises, mais, ça ne fait pas vraiment partie des projets à court terme. De toute façon vous serez fixés sur notre position, en dépit du caractère prématuré de la question.
Si un jour vos militants décident de se passer de vous, pourront-ils espérer une succession sans résistance, contrairement à ce qui se passe en ce moment?
Il y a un processus normal dans l’évolution d’un parti, qu’il soit contesté par certains ou pas. Il n’y a pas une héritière, arrivée au dernier moment, qui s’est emparée de la tête du parti. Non ! Il y a quand même eu un travail, une adhésion peu vue, mais, c’était dû au manque d’activité. C’est une mission que je prends à cœur, un défi que je compte relever avec les militants. A un moment donné, s’ils décident de se passer de moi, ils le feront. Parce qu’ils m’ont choisie en toute liberté et ils pourront me remplacer en toute liberté. Je n’ai pas fait du porte-à-porte, je ne me souviens pas d’avoir envoyé un message à quelqu’un pour négocier ma désignation à la tête du parti. S’il faut passer à autre chose un jour, je serais encline à ce que cela se passe dans les meilleures conditions.
Propos recueillis par
Alladoum leh-Ngarhoulem G &
Lanka Daba Armel
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