“On est dans la déconfiture”

Le 20 avril 2022, le Cmt et le fils de Déby auront fait un an à la tête du Tchad. Politiquement, comment appréciez-vous leurs actions ?
Politiquement, il a un actif inexistant avec un passif plutôt lourd. Lourd du côté des droits humains avec un bilan complètement macabre puisqu’une semaine seulement après sa prise du pouvoir, il a lâché une horde de gens qui ont tiré pour tuer. On en a perdu une dizaine de jeunes. Et un mois après, c’était la réédition d’acte barbare. Il y a de cela un mois ou deux, cette même horde a été lâchée sur les populations d’Abéché qui ont pourchassé les gens jusqu’au cimetière avec pour intention, tirer pour tuer. S’il ne redescend pas de ses chevaux, ce passif va le conduire inéluctablement vers une Cour pénale spéciale, pas la Cpi (Cour pénale internationale) si jamais ce pouvoir devient un pouvoir légitime du jour au lendemain.
Il était arrivé au pouvoir avec pour prétexte la sécurité mais depuis quelques jours, le narratif de la transition a commencé à changer. En lieu et place de la sécurité des tchadiens, on nous sert le nom de Dieu. Dieu m’a donné une mission, Dieu m’a confié le pouvoir, etc., il joue au père Noël avant l’heure. Il a laissé de côté les impératifs de la transition qui sont entre autres la réconciliation nationale, l’organisation du dialogue avec en conclusion l’organisation des élections, dans les 18 mois. On n’a pas encore vu un schéma proposé par le ministère en charge de la Réconciliation nationale.
Au vu des objectifs définis par le Cmt et la communauté internationale, notamment la nomination d’un Premier ministre, la mise en place du gouvernement, du Cnt, l’organisation du dialogue, etc. comment appéciez-vous les réalisations?
La nomination d’un Premier ministre, la mise en place du gouvernement et du Conseil national de transition sont des aspects institutionnels. Et comme c’est à son profit, il a réalisé. Mais si on reprend les exigences de l’Union africaine, sur 11, il n’a même pas réalisé une, à part les aspects institutionnels. On a nommé un Premier ministre qui a été pratiquement imposé parce que ça n’a fait objet d’aucune consultation politique ; idem pour le gouvernement puis s’en est suivi la mise en place du Cnt avec un grand cafouillage et des abus sur le plan institutionnel parce qu’on lui confie la mission législative. Or, aujourd’hui, on a aucune production sur le plan règlementaire, ni politique, ni législatif comme on a donné au Cnt comme mission, donc pas d’avancée. Aujourd’hui, sur le plan institutionnel, avec le Cmt, la présidence de la République fonctionne elle-même à front renversé. Il n’y a pas d’unité juridique dans l’élaboration des actes. Les centres de décision sont un peu partout dans les quartiers.
Et sur la gouvernance ?
Elle est totalement calamiteuse. Elle est calamiteuse avec des bricolages. Les premiers actes puaient l’haleine du bébé. Mais aujourd’hui, on est dans la déconfiture. Les 12 mois nous ont montré l’incapacité du Cmt à diriger.
Aujourd’hui sur le plan économique, le Tchad a reculé de 3 sur 4. Si l’argent englouti pour le fonctionnement institutionnel du Cmt avait été investi, si le plan de continuité du pouvoir avait été respecté, et qu’après 90 jours on organisait les élections tout l’argent investi en un an aurait servi à construire des hôpitaux, universités, écoles et résolu le problème d’électricité qu’on a souvent. Donc, la gouvernance est complètement nulle et personne ne peut me convaincre du contraire.
Un an après, percevez-vous de façon claire, les intentions du Cmt et du fils de Déby ?
Les intentions sont claires, nettes et affichées. Personne n’en doute de sa volonté de confisquer le pouvoir. L’illustration est faite dans ses actes. Vous êtes un chef de l’état, pas président de la République mais vous permettez d’effectuer des missions à l’intérieur du pays et vous appelez cela une visite de travail ? Et il avance comme raison, la compassion avec ceux qui sont morts ici et là. Le respect que vous aurez dû avoir vis-à-vis des personnes disparues, c’est de décréter un deuil national. Ailleurs, pour 7 ou 10 morts, on décrète un deuil national. Mais quand il y a eu des dizaines de morts à Sandana et Abéché, a-t-on décrété un deuil national pour revenir dire après que vous venez pour compatir ? Un chef de l’Etat ne compatit pas, il dirige. Il croit bien faire ainsi et fait surtout ce que j’appelle le marketing avant l’heure pour toujours continuer demain à faire ainsi. Ses thuriféraires le trompent avec des mots pour faire croire qu’il est l’unique opportunité donnée au Tchad par Dieu. Tout ceci empiète sur l’impératif de la transition qui lui est confiée. On n’a pas eu la réconciliation, le dialogue peine à se tenir. On est à moins d’un mois du dialogue, on ne sait toujours pas qui va participer, on n’a toujours pas eu le document pour savoir ce sur quoi on va discuter. Dans un simple congrès d’un parti politique, on reçoit le document trois mois avant, combien de fois un évènement politique majeur de ce genre ? Tout ceci s’inscrit dans la logique de la prorogation de la transition, pas d’organisation des élections.
Il est dans la logique de conservation du pouvoir et quelques politico-militaires sont tombés dans son schéma et c’est aussi leur volonté. En situation de pourparlers offensifs, on ne parle pas de proposition. On parle des différends. Mais on n’a pas vu de quels différends ils sont allés discuter. A mon avis, il y a quatre principaux différends. C’est à cause de l’injustice que les gens partent en rébellion, j’ai cru que c’est à cause de l’exclusion, j’ai cru que c’est à cause du partage du pouvoir inexistant. Mais les gens ont laissé tout ça de côté pour parler de propositions et de revendications. On n’est pas dans une lutte syndicale. Les gens revendiquent la modification de la charte de transition, pour moi ce n’est pas une revendication. La charte dure 18 mois, après elle va mourir de sa propre mort. Après, ils revendiquent l’ouverture du Cmt qui est un organe illégal et illégitime. Revendiquer l’ouverture du Cmt c’est le légitimer. Tout ça fait partie des stratégies du Cmt qui a fait qu’on soit à 52 groupes politico-militaires. Sinon, vous êtes en pourparlers offensifs, de même côté, les gens ont la bonne volonté de venir discuter mais vous débauchez dans leur propre état-major, des gens, vous faites de simulacres de ralliement. Quelle façon de négocier ?
Comment analysez-vous la décision de certains opposants et acteurs de la société civile d’accompagner le processus de la transition ?
J’ai regretté leur décision. Ils ont dit vouloir changer les choses de l’intérieur. Regardez ce qui se passe à la présidence de la République, comparé à l’engagement de ces anciens opposants, entre guillemets, qui disent venir dedans pour changer les choses. La personne qui était plus à l’intérieur qu’eux-mêmes a fait les frais de cette gestion et a décidé de sortir pour critiquer. Si ça pouvait changer, lui aurait pu parce qu’il y est. Sinon, depuis 12 mois, qu’est-ce qu’ils ont pu changer ? J’estime que leur engament est simplement une erreur, on ne peut pas qualifier pour le moment d’une faute politique mais c’était une erreur politique. Ils croient qu’ils vont gagner mais ils ne gagneront pas, ils ne vont que laisser des plumes.

Propos recueillis par
Lanka Daba Armel