Selon le groupe des religieux et des aînés, tout est réuni pour que les dissidents internes prennent le chemin du Palais des arts et de la culture afin de participer au dialogue. Désormais, le dernier mot revient au Pcmt. Mais rien ne présage qu’il réponde favorablement aux exigences qui sont entre autres la reprise à zéro du dialogue et l’inéligibilité des acteurs de la transition.
Le 14 septembre 2022, le groupe des religieux et aînés fait un point de presse pour annoncer avoir obtenu des “points d’accord” avec le “groupe de N’Djaména en vue d’une participation effective et équitable de toutes les forces vives de la nation au Dialogue national inclusif et souverain (Dnis)”. Est désigné groupe de N’Djaména, les signataires de la déclaration du 19 mai (Groupe d’appel du 1er juin, une Nation pour tous, Wakhit Tamma, etc.) et le parti Les Transformateurs (qui n’ont pas encore signé les points d’accord).
Ce groupe accepte de participer au dialogue à condition que les quotas des participants au Dnis soient ajustés : seulement 800 participants avec droit de vote. Selon eux, un tel quota garantirait l’équilibre des voix en cas de vote. Les autres exigences sont : “mettre en place un processus transparent de certification de tous les participants au dialogue pour vérifier leur mandat; créer dans le règlement intérieur, un comité de consensus qui devra intervenir chaque fois que le consensus n’est pas atteint sur des questions d’importances nationales durant toute la durée du dialogue; mettre en place un processus de prise de décision garanti par un présidium provisoire composé du groupe des religieux et des aînés, complété par les personnalités neutres”. Cela implique donc de faire table rase des trois semaines des travaux du Dnis. La suspension et l’annulation du Dnis tel qu’il se déroule, ont été posées dès le départ comme condition, mais jamais été entendue. “On doit tout reprendre à zéro, le présidium, le règlement intérieur, etc. Si le Président du conseil militaire de transition (Pcmt) est sérieux et veut que la paix revienne au Tchad, il doit prendre en compte ce rapport”, espère toujours Bédoumra Kordjé du Groupe d’Appel du 1er juin. Mais Abdel-Salam Chérif, coordonnateur de l’Unpt (Une nation pour tous) est plus sceptique quant à leur participation au Dnis. “Ce n’est pas un accord mais des propositions de sortie de crise. Depuis que le dialogue a commencé, nous avons demandé qu’il soit suspendu et qu’on reprenne tout à zéro. Le pouvoir et le Codni n’ont pas voulu nous entendre. On a mené des discussions pour que demain les gens ne disent pas que nous avons été hermétiques au dialogue. Mais dans notre for intérieur, on estime que la machine est déjà lancé. Sauf miracle, il y a très peu de chance que nous assistons au dialogue”, analyse-t-il.
Selon ledit point d’accord, l’État tchadien doit s’engager à garantir aux leaders politiques et associatifs, les libertés fondamentales en cessant toute surveillance illicite, les harcèlements, l’intimidation et toutes les autres privations des libertés; garantir un accès équitable à tous les médias publics; poursuivre en justice les auteurs impliqués dans la répression des manifestants pacifiques survenues depuis avril 2021; ne poser aucune entrave au déroulement paisible du Dnis à maintenir un climat apaisé sur l’étendue du territoire national. Tout ceci en échange de la participation du groupe de N’Djaména au Dnis.
Des mauvais signes
La suspension du Dnis plaidé par le groupe des religieux et des aînés n’a jamais été entendue par le Pcmt encore moins par le Comité d’organisation du dialogue national inclusif. Certains participants au Dnis sont allés jusqu’à dire : “qui leur a donné le mandat (groupe des religieux et des aînés) de négocier ?”.
La semaine dernière, les déclarations du désormais ex vice-président du Codni est sans ambages, le dialogue ne sera pas suspendu et tant mieux pour ceux qui claquent la porte. “Nous respectons les gens qui ne participent au dialogue mais qu’ils n’insultent pas ceux qui sont en salle. Je ne pense pas que le Dnis ne soit pas inclusif. Le fait qu’une infime partie 1% ou 0,5% quitte la salle n’entame absolument en rien le caractère inclusif du Dnis. Il ne faut pas tomber dans le travers médiatique qui ne voit que ce qui est mauvais. Ne me demandez pas s’il faut arrêter ce qu’on est en train de faire parce que les autres se préparent à venir. Depuis deux semaines, on a démarré, rien ne peut nous arrêter jusqu’à la fin”, a affirmé d’un air très rassuré, Saleh Kebzabo.
Les dispositions qui poussent au scepticisme dans les “points d’accord” du groupe de N’Djaména, sont ses dispositions finales. La première stipule que les parties s’engagent à soutenir “un processus de justice transitionnel qui tient compte de la demande de pardon adressée par le Pcmt au peuple tchadien au nom de tous les anciens chefs d’Etat. Ce processus devra se traduire concrètement par la mise en place d’une commission vérité, justice, réparation et réconciliation présidée par les autorités religieuses”. Et la seconde disposition est “le principe de non-éligibilité des membres des organes de transition aux premières élections post-transition”. Un point exigé par les opposants dès le soir du 20 avril 2021 à la prise du pouvoir du Conseil militaire de transition mais qui reste bien lugubre. Et beaucoup de faits et gestes portent à croire que le Pcmt veut être candidat à la prochaine élection présidentielle. Les balbutiements de son conseiller à la réconciliation nationale, Ali Abdéramane Haggar, lève toute équivoque sur cette intention du Pcmt à se présenter à la prochaine présidentielle. Dans un entretien accordé à une chaîne de télévision, le conseiller affirme souhaiter personnellement au Pcmt d’être comme Amadou Toumani Touré, l’ancien président malien qui, après avoir dirigé la transition a passé la main après les élections démocratiques en 1992 avant de revenir 20 ans plus tard au pouvoir par voie démocratique. Mais en réalité “Mohamed (Mahamat) n’est pas descendu du ciel ou de quelque part. Il appartient à une sensibilité politique. Les camarades du président veulent qu’il se présente. C’est leur droit de formuler une telle demande à quelqu’un qui gère l’Etat. Nous n’avons pas d’autres candidats. On pense que vous pouvez sauver les meubles de notre parti. N’est-ce pas leur droit?”, s’enquiert Ali Abdéramane Haggar qui ne pense pas que la candidature du Pcmt à la présidentielle “jettera de l’huile sur le feu si les gens veulent aller plus loin”. Les masques tombent.
Lanka Daba Armel