… pour commémorer un 20 octobre de triste mémoire

Sauf en cas de force majeure, d’ici le 20 octobre, nous serons parmi vous au Tchad”. Ainsi parlait Succès Masra. Le 9 septembre dernier, dans un live Facebook, le président du parti “Les Transformateurs” annonçaient à ses partisans son retour et celui de ses principaux lieutenants au pays, près de onze mois après son départ, en catimini, du pays. Il avait choisi cette date devenue symbolique pour son parti: le 9 septembre 2022, après une semaine de séquestration au sein du parti, à Chagoua, dans le 7ème arrondissement de la capitale, Masra se rendait à une convocation judiciaire, accompagné de milliers de partisans et sympathisants. A une date exceptionnelle, une autre date exceptionnelle. Le président des Transformateurs et ses vice-présidents et autres collaborateurs ont choisi de regagner le pays peu avant ou le jour J marquant l’an 1 de la pire répression de la transition. Le 20 octobre 2023 aura donc à la fois un goût de joie et de retrouvailles, mais également de recueillement en la mémoire des centaines de victimes de la barbarie du 20 octobre 2022.

Masra a déclaré revenir au pays “pour continuer le combat commun de dignité pour tous, en réconciliant dans la justice et la dignité”, après avoir parcouru le monde pour plaider la cause de son peuple. Les évènements du 20 octobre 2022 ont secoué Les Transformateurs, mais ne les ont terrassés nullement. Le retour de leurs leaders, et surtout du principal d’entre eux, va les remobiliser et galvaniser davantage.

Masra rentrera au point, sans avoir obtenu un accord officiel avec le leader de la transition, Mahamat Idriss Déby Itno (ou Mahamat “Kaka”). Ces derniers mois, il n’a de cesse réclamé un accord, avec des concessions de part et d’autre, avec les autorités de la transition avant de rentrer. Après le Dialogue national inclusif et souverain (Dnis) qu’il avait boycotté, Masra voulait de nouvelles assises réunissant d’un côté, les autorités de la transition, et de l’autre, Les Transformateurs, Wakhit-Tamma et les politico-militaires ayant boycotté l’accord de Doha. Malgré les médiations de l’Organisation des Nations unies, du Qatar, de l’Union africaine, des Etats-Unis et autres, ses “frères d’en face” sont restés sourds à ces appels, balayant du revers de la main l’organisation de nouvelles assises avec Les Transformateurs et consorts.

De guerre lasse, il finira par rentrer. Il n’aura ainsi réussi à arracher à Mahamat “Kaka”, noir sur blanc, les conditions préalables qu’il souhaitait: des mesures de sécurité physique, juridiques et politiques; des mesures d’apaisement et de décrispation dont l’amnistie, au lieu de la grâce accordée aux contestataires du 20 octobre 2022, ainsi que l’abandon des poursuites judiciaires; un mécanisme bipartisan de relecture et d’amélioration des résolutions du Dnis, y compris le projet de Constitution; la mise en place d’un gouvernement de réconciliation nationale qui devra notamment définir un nouveau calendrier électoral; la mise en place d’une Commission vérité, justice, réparation et réconciliation nationale pour faire la lumière sur tous les drames depuis 2021.

L’erreur de Masra, s’il en est une, est d’avoir refusé jusqu’au bout de participer au Dnis, en dépit de moult médiations, notamment des leaders des confessions religieuses. Il n’aurait peut-être pas changé le cours des évènements, mais il aurait pesé sur ces assises et sur les résolutions qui y ont été prises et qui balisent le chemin pour une légitimation démocratique du coup de force fait par Mahamat “Kaka” le 20 avril 2021. Au lieu de demander aujourd’hui une relecture des résolutions du Dnis, dont le projet de Constitution sera soumis au référendum, il aurait dû peser sur les choses en amont.

Qu’à cela ne tienne, le retour de Succès Masra et consorts va inexorablement réchauffer la vie politique tchadienne, tombée pratiquement en léthargie depuis son départ du pays. Si les règles du jeu démocratique sont quasiment ficelées à l’état actuel par Mahamat “Kaka”, Masra ne lésinera pas à recourir à la rue pour se faire entendre. On comprend pourquoi Mahamat “Kaka” vient de réactualiser et durcir la législation encadrant les manifestations et réunions politiques. L’héritier de Déby maintiendra aussi les évènements du 20 octobre comme une épée de Damoclès sur la tête de Masra. Il activera cette épée, par le biais d’une poursuite judiciaire, si le leader des Transformateurs viendrait à lui poser un sérieux problème dans la marche vers sa légitimation par voie démocratique, fin 2024.

La Rédaction