En dissociant l’initiation des filles de l’excision, ne serait-on pas dans un début de résolution de la problématique de l’excision ? Me Noubarangar Kaldoumbé, plaide pour une initiation sans excision des filles au Tchad.
La pratique de l’initiation des filles est comme une “énigme” à cause de son corollaire qui est l’excision de la jeune fille. A haute voix, personne n’est pour l’excision, mais, le paradoxe est que personne n’a pu enrayer la pratique de l’initiation des filles. Pour preuve, la quasi-totalité des parents, mères et pères “instruits” n’ont pas envoyé leurs filles à l’initiation, mais, pour autant, ils n’ont jamais pu dire non à leurs entourages qui perpétuent sous leurs yeux cette pratique. On y voit la dualité entre la tradition et la modernité ou encore entre la culture et les courants du changement. Cette difficulté, cette dichotomie, est indéniable, vu la persistance du phénomène ou l’envergure qu’il prend. Pour preuve, pendant l’été 2020, il n’y a pas un seul village dans la partie méridionale du Tchad qui n’ait pas renoué avec l’initiation des filles. Tous les villages avaient leurs camps initiatiques : le phénomène s’est véritablement amplifié. C’est un véritable paradoxe eu égard à l’énormité de l’effort et des moyens engagés dans cette lutte contre la pratique de l’initiation des filles au Tchad, voire en Afrique.
Un grand défi
Face à ce dilemme, ne faut-il pas réorienter la réflexion ? Car, ce qui est en jeu et qui peut faire sincèrement consensus, c’est de parvenir à une pratique sanitairement acceptable et culturellement pérenne. Si tout le monde s’accorde que l’excision de la jeune fille est l’aspect néfaste, il faut aussi reconnaître que l’initiation des filles en Afrique est une pratique culturelle largement répandue. Il y a donc lieu de faire la part entre ce qui est néfaste et ce qui est “sociologiquement” perpétuel. Autant, on doit combattre ce qui est néfaste, autant, on doit protéger et perpétuer ce qui est culturel.
L’on est donc face à un défi culturel qui ne peut être relevé que par des méthodes organiques et non mécaniques. Car, globalement, pour l’instant, l’excision est confondue à l’initiation des filles, un phénomène culturel qu’on ne peut pas combattre verticalement et d’autorité. Ce n’est pas par la loi qu’on peut forcement et rapidement instaurer un changement culturel. La solution légaliste échoue lamentablement face au problème culturel.
La sensibilisation conventionnelle également est un échec cuisant, car le discours officiel fait croire à une interdiction de la pratique de l’initiation des filles. Ce discours ne passe même pas chez les “femmes intellectuelles” qui sont quelque peu complices pour la protection de leur culture, leur tradition africaine. Les gouvernants et les partenaires feraient mieux de réorienter ces moyens colossaux vers l’effort de scolarisation massive, universelle et soutenue, tant en milieu citadin que rural.
Mais en attendant, nous osons croire à l’efficacité d’un autre message pour espérer améliorer la pratique de l’initiation des filles en Afrique, eu égard à cette analyse du phénomène.
Le message nous semble de vanter plutôt la pratique de l’initiation des filles et de l’améliorer sur certains aspects, notamment le côté excision. Ce qui n’est pas la même chose avec le discours tenu jusque-là, qui est l’interdiction de l’initiation des filles. La nouvelle donne, qui nous paraît convaincante, est de renvoyer tout le monde, tous les ressortissants des régions de pratique de l’initiation des filles, femmes comme hommes, pour diffuser un message de promotion de l’initiation des filles comme une fierté culturelle. Là dedans, il va y avoir de la réceptivité et on pourra rendre acceptables des formes d’excision moins désastreuses et aller inéluctablement à l’éradication totale de l’aspect excision, sans, pour le moins, donner l’impression de chercher à enrayer la culture d’une communauté.
Des pratiques anciennes et sacrées
Tenez ! Dans le terroir Sara, par exemple, l’initiation des filles sans excision,-“GOOR” est son nom,-existait depuis des millénaires et revêt un caractère d’autant plus sacré, plus royal qu’elle découle directement du champ opérationnel du “MBANG” lui-même. En effet, l’initiation “GOOR”, en pays Sara, est une pratique aussi ancienne que son versant des jeunes hommes, processus social fondamental de déconstruction/reconstruction. Seules les femmes sara “goorsées”, sans clitoridectomie, sans infibulation, partageaient l’univers sacré sara particulièrement initiatique.
La problématique succincte exposée in supra pose la question de vie ou de mort d’une culture multimillénaire, construite patiemment, sereinement, par nos ancêtres, donc, notre âme, notre identité. Aussi, au nom d’une prétendue modernité, a-t-on le droit de le sacrifier, de le démolir ? Tout acte social, tout fait social, génère en soi des aspects nuisibles, néfastes et compromettant pour la dignité physique, psychologique de l’Homme, en l’occurrence de nos petites sœurs, filles et mères. En ce sens, la clitoridectomie est un acte gratuit et dangereux, qui ne produit absolument aucun coefficient sur la construction et la modélisation de la femme africaine, tchadienne, que nous voulons. Pour autant, les nombreux fantasmes, mensonges, qui s’agrègent autour de l’initiation féminine – “Ndo diyan ou Bayan”- n’interdisent pas de garder sérénité, clairvoyance, sens de pondération, objectivité et soutenir haut, fort et en toute circonstance: oui à l’initiation féminine sans excision, sans clitoridectomie, à l’instar du Kenya et même de quelques poches dans le grand Moyen-Chari.
Me Noubarangar Kladoumbé,
Avocat au Barreau du Tchad, Docteur en droit,
Enseignant – Chercheur à l’Université de Ndjamena,
Chef de canton de Dobo (Mandoul)