Les larmes n’ont pas encore cessé de tremper les visages des mères, veuves, orphelins et parents des 12 victimes du massacre de Sandanan et ses habitants refont face à un autre supplice, celui de la restriction de leur liberté de mouvement sur leur propre sol.
Sur l’espace réservé au repos éternel des martyrs de Sandanan, avant qu’un monument n’y soit érigé en leur mémoire, ceux-là qui sont arrachés à la fleur de l’âge à l’affection des leurs, la seule vue des tombes, côte à côte alignées en deux rangées laisse sans voix. C’est horrible ! Désormais, c’est ici que reposent les 12 bras valides (un seul flirte avec la soixantaine), dont le seul péché est de ne posséder aucune arme à feu comme ceux qui en disposent ont le “droit” d’en faire allègrement usage pour mettre fin à la vie de leurs semblables. Pour tout humain, le film est triste. Une voix engluée d’amertume d’une mère perce l’atmosphère : “débarrassez-nous des ferricks de ces éleveurs nomades. C’est notre plus grande recommandation à l’endroit des autorités. Ces gens-là, (entendez les éleveurs nomades) ne veulent pas cohabiter”. En effet, tout autour de Sandanan, village de la sous-préfecture de Koumogo qui abrite plus de deux milliers d’âmes, les ferricks des éleveurs nomades poussent comme des champignons par enchantement. Leur nombre ne cesse de croître depuis pratiquement les trois décennies du règne du feu président Idriss Déby Itno. “A cause de la fertilité du sol de tout le canton Koumogo et particulièrement de l’abondance du pâturage dans le village Sandanan, les faits quotidiens et actes des éleveurs nomades portent à croire qu’ils ne sont pas chez nous pour s’en aller demain. Ils agissent comme en territoire conquis”, reconnaissent en chœur les habitants de Sandanan et leurs ressortissants qui se sont constitués en comité de crise et sont descendus ce 19 mars 2020 sur le terrain, pour présenter de vive voix leurs condoléances aux familles éplorées. Cette descente du comité de crise appuyée par les femmes meurtries, intervient après deux ou trois reports suite à d’incessants voyages des élites du Mouvement patriotique du salut (Mps) et autres autorités de la République à Sandanan, qui n’ont donné aucun résultat probant. Ces voyages n’ont ni apporté une réelle consolation aux familles endeuillées encore recherché des voies et moyens pour une cohabitation pacifique entre les deux communautés qui continuent à se regarder en chiens de faïence.
Dans la cour du chef de village de Sandanan, Ngonamingué Ngon-ninga, l’arrivée de la délégation du Comité de crise composée d’hommes et des “Femmes meurtries” à lors de la marche de protestation du 15 février 2022 à N’Djaména réprimée à balles lacrymogènes, a ravivé les émotions. La délégation de N’Djaména dirigée par l’ancien député de Bédaya, Mayana Ndiguingué s’est jointe à celle de Koumra pour descendre à Sandanan. Malgré le choc qu’il a subi le village Sandanan qui continue de vivre sous pression, ne se sent pas abandonné par les siens. Cela transparaît à travers les témoignages du chef de village et du chef de canton de Koumogo, Rimneli Marcel.
“L’objectif de notre arrivée ici à Sandanan n’est pas d’apporter quoi que ça soit. Nous sommes venus compatir avec les veuves, les orphelins, les mères et tous les parents frappés par la dure épreuve vécue. Nous vous apportons notre entier soutien et vous encourageons à demeurer vigilants”, console le porte-parole du comité de crise. Tour à tour, ont pris la parole les membres de la délégation pour leur ras-le-bol contre ce massacre de la population innocente. Chacun d’eux, surtout les frères et sœurs venus de Koumra ont recommandé que cette situation ne se reproduise plus. Plus jamais çà a été le mot d’ordre.
La nuit a été mise à profit pour le recueillement. Les “goss”, musiciens traditionnels conviés par le comité de crise pour symboliser cette soirée de deuil, n’ont pas pu fermer un œil de toute la nuit. Leurs notes musicales produites par cinq balafons, trois tambours ont enveloppé cette nuit de Sandanan par des airs synchronisés du fond du terroir. Elles ont exprimé la douleur, l’amertume et appelé au courage et à l’abnégation des uns et des autres face à cette dure épreuve.
Et c’est sur cette note bien triste que l’aube du dimanche s’est levée sur Sandanan contraint à vivre en kyste. Ses enfants ne peuvent circuler librement autour du village. Ceux qui osent sont la proie aux menaces des éleveurs nomades qui campent tout autour, qui violent sans s’inquiéter les jeunes filles. “C’est un plan de domination et d’occupation de nos terres qui est mis en branle. Réveillons-nous, peuple du Sud du Tchad, car l’annexion de notre terroir est programmé”, avertit toujours une dame qui appelle de tous ses vœux ses frères à prendre conscience. Car, conclut-elle, un pseudo désarmement vient d’avoir lieu, mais on sait qui détient des armes. Ces armes, sitôt récupérées sont illico retournées à qui de droit.
Djéndoroum Mbaïninga,
Envoyé spécial