Après une longue période d’arrêt, la Société nationale de ciment (Sonacim) a relancé ses activités, le 5 décembre dernier. Qu’est-ce qui a causé la fermeture de cette cimenterie créée dans le but d’aider, un tant soit peu, les Tchadiens à avoir un habitat décent ? Au constat : un véritable gâchis d’une gestion patrimoniale d’une société d’Etat considérée comme un butin familial.
Dans une fiche adressée en son temps (16 juin 2020) à la très haute attention du Maréchal du Tchad, les responsables de la Sonacim exprimaient à celui-ci la situation peu enviable dans laquelle se trouvait l’usine de Baoré. L’objet de la fiche est un “rapport sommaire relatif à la situation actuelle de la Société nationale de ciment du Tchad” qui porte à la connaissance du président de la République le contexte de la réalisation de l’usine de Baoré et la situation actuelle de la Sonacim afin de lui permettre de prendre des décisions idoines en vue de résoudre les problèmes auxquels elle fait face.
La fiche rappelle que la cimenterie de Baoré est un investissement socialement stratégique qui s’inscrit dans le cadre de la stratégie nationale de réduction de la pauvreté approuvée par le gouvernement en 2002. L’initiative de sa création vise à mettre à la disposition de la population tchadienne de façon générale et celle de la province du Mayo-Kebbi Ouest en particulier, du ciment à des prix accessibles à toutes les bourses permettant ainsi à celle-ci d’avoir un habitat décent.
Sa dimension économique, sociale et politique n’est pas perdue de vue dans la fiche. L’objectif premier de l’usine de Baoré est économique “mais la vocation sociale figure en bonne place puisqu’elle fait vivre des centaines de milliers de personnes, voire des millions aussi bien par les emplois directs qu’elle génère que par les effets induits de l’activité de son exploitation”.
Ainsi, sur le plan politique, mentionnent les rédacteurs de la fiche, “la cimenterie de Baoré est l’instrument principal de la politique de Monsieur le Président de la République dans la Province de Mayo-Kebbi ouest. Dans le contexte politique actuel, qui sera marqué dans un proche avenir tant par les élections législatives que présidentielles, il est plus qu’indispensable de mettre tout en œuvre pour redémarrer la production dans un délai ne dépassant pas au maximum trois semaines en vue de faire fonctionner l’usine en plein régime dans trois à quatre mois au plus”. Et, considérant la compétitivité des coûts de production et vu que les besoins annuels du ciment au Tchad qui sont de l’ordre de 800 000 à 100 0000 tonnes, la direction générale estime fortement que la Sonacim est viable à condition qu’elle soit soutenue de manière conséquente par l’Etat. Aussi, les rédacteurs de la fiche attendent les conclusions du cabinet d’expertise comptable de renommée internationale Mazzars avec le cabinet d’expertise comptable N Consulting commis pour l’évaluation de la Sonacim qui doit prendre en compte, non seulement le passif de l’entreprise, mais aussi son actif en vue de faire ressortir une valeur nette financière, qui détermineront de façon très précise la viabilité de l’unité de production.
Les fautes de l’entrepreneur chinois Camc
La fiche au Maréchal du Tchad révèle que l’entreprise chinoise s’est rendue coupable des fautes lourdes de conséquences aussi bien lors de la conception et de la construction de la cimenterie à Bissi-Keda ainsi que durant les sept années d’assistance technique à l’usine. En effet, l’unité de production, qui devait être implantée à Baoré où est situé le site des matières premières (calcaire, latérite, argile et sable) comme l’attestent tous les documents officiels, a été plutôt implantée à Bissi-Kéda. Cette localité située à une trentaine de kilomètres du site des matières premières, engendre à la société des coûts importants liés au transport des matières premières. “Or, aucune cimenterie au Monde n’est implantée en dehors du site des matières premières”, souligne la fiche qui s’appuie sur le contrôle de bonne exécution des travaux de l’usine effectué par le consultant PEG qui a relevé une centaine de défauts de non conformité avant la réception de la cimenterie par la partie tchadienne. Entre autres défauts majeurs, la fiche cite : le mauvais alignement du four qui est le cœur même de l’unité de production; la mauvaise construction des infrastructures de génie civil, le refus de communication des schémas électrique et hydraulique de l’usine au personnel tchadien; un seul silo d’homogénéisation au lieu d’au moins deux; un seul broyeur au lieu d’au moins deux, etc. La réception de l’usine par le département des Mines de l’époque, tout en sachant les défauts de non conformités susmentionnés a fait de l’administration tchadienne la victime de ses propres turpitudes. La fiche note qu’une partie de ces défauts a été par la suite corrigée par la Sonacim à ses frais et le reste demeure entier jusque-là. En outre, le constructeur de la cimenterie s’est transformé en assistant technique et en fournisseur des pièces de rechange, ce qui n’est pas normal juridiquement, car cela suscite de notre point de vue des conflits d’intérêts. A titre d’illustration, durant sa période d’accompagnement, l’entreprise chinoise Camc a commandé et livré des tonnes et des tonnes des pièces de rechange inutiles, restées dans une quinzaine de conteneurs jusqu’à nos jours. Il en est de même de la formation du personnel technique et le transfert des compétences qui figurent en bonne place dans le contrat d’assistance technique avec le gouvernement tchadien non observés pendant les sept années d’accompagnement. Pourtant, cette société réclame encore de l’Etat tchadien une dette qui s’élève à environ neuf milliards de francs CFA.
Malgré cette situation calamiteuse, la Sonacim génère des recettes annuelles prévisionnelles de l’ordre d’une trentaine de milliards de francs CFA sur la base d’une production de 200 000 à 250 000 tonnes de ciment par an. Au vu de sa rentabilité, elle est susceptible d’être fortement viable, se consolent les auteurs de la fiche.
La gestion de la Sonacim
Là où le bât blesse, c’est que durant les huit années d’exploitation de la Sonacim (janvier 2012), l’entreprise a connu une gestion peu orthodoxe qui a conduit à un surendettement difficilement soutenable. Les auteurs de la correspondance adressée au chef de l’Etat notent que l’ensemble du passif composé de toutes catégories des dettes confondues se chiffrent à plus de vingt-cinq milliards francs CFA. Aux banques, la Sonacim doit plus de 8 milliards ; aux fournisseurs plus de 4 milliards ; aux impôts et sécurité sociale plus de 3 milliards ; aux cabinets d’audit, juridiques et avocats près de 300 millions de francs CFA ; les condamnations judiciaires et autres en cours quelque 325 millions.
Mais la cession du droit d’exploitation des carrières des matières premières et des engins de la Sonacim à la Société des carrières (Soca), une société anonyme de droit tchadien, dit-on, demeure l’un des plus incompréhensibles contrats cédés à un tiers. Etabli entre les deux entreprises, ce contrat offre sur un plateau d’or à la Soca, l’exploitation des carrières (concassage, chargement et transport des matières premières du site des carrières à l’usine) et le droit d’usage des engins de la Sonacim qui supporte en plus les charges liées au carburant. Or, la fiche observe que “le concassage et le chargement qui constituent le cœur du métier de la Sonacim ne peuvent en aucun cas être externalisés, la Sonacim étant une société étatique, ces activités relèvent de la seule souveraineté de celle-ci puisque l’exploitation d’une carrière requiert un certain nombre de préalables à remplir et obéit au respect de certaines normes internationales notamment les normes environnementales qui ne sauraient être observées par une simple entreprise privée”. De même, il a été cédé à la Soca la quasi-totalité des engins lourds (83) de la Sonacim contre une modique somme de trois cent cinquante un millions de francs CFA. Le Conseil d’administration a marqué son refus en août 2014 contre cette cession. Le total des immobilisations de toutes natures : engins lourds, groupes électrogènes, bennes, véhicules, citernes, etc. cédées à la Soca reviennent à plus de 4 milliards de francs CFA. “Non seulement la cession de ces immobilisations a été faite pour une valeur symbolique à une société privée, pire encore, le droit d’exploiter les carrières appartenant à la Sonacim a été aussi cédé à la même entreprise sans l’accord du Conseil d’administration, ce qui est inadmissible au regard du code minier du Tchad”, déplorent les rédacteurs de la fiche.
Mis ainsi au parfum des choses, le chef de l’Etat a frappé du poing sur la table. Une nouvelle direction de la Sonacim a été mise sur pied, ainsi qu’un nouveau Conseil d’administration. Mais la récupération des immobilisations spoliées à vil prix à des, privés au mépris des statuts de la société et du désaccord du Conseil d’administration, le dessaisissement de l’exploitation des carrières de la Soca au profit exclusif de la Sonacim; la résiliation de tous les contrats fantaisistes à l’origine de la surfacturation ayant saigné à blanc la société, en premier lieu le contrat d’assistance technique avec la société égyptienne Riga entre autres exigés par le Conseil d’administration et le chef de l’Etat continuent à butter sur une résistance farouche. L’appui du Maréchal du Tchad est fortement attendu pour permettre aux nouveaux responsables de la Sonacim de lui redonner un nouvel élan.
Djéndoroum Mbaïninga