Tchad: construction inachevée d’un Etat, d’une République et d’une Nation

Comme le déclarent les constitutionalistes, dont le Professeur Gonidec, en Afrique, ce sont les Etats qui construisent la nation. Ainsi, les autorités doivent entreprendre la construction de l’Etat, de la République et de la nation tchadiennes. Mais hélas !

Les régimes politiques qui se succèdent n’ont pas entrepris réellement ce grand chantier: la construction de l’Etat, de la République et de la nation. Car, cet agrégat de peuples qui constitue ce Tchad indépendant est loin d’être un Etat, une République, moins encore une nation.

La République du Tchad,   comme la plupart des Etats modernes, est  une mosaïque d’empires, de royaumes, de sultanats, de villages, de hameaux, de féricks, et de clans, assemblés dans un ensemble, appelé le Tchad divisé en quatre (04) départements dont le Borkou- Ennédi- Tibesti, le Kanem- Batha, le Ouaddai- Salamat et le Baguirmi- Chari) “adjoint” à une partie de l’Oubangui- chari, regroupant le  Moyen- Chari, le Moyen Logone (actuelle Tandjilé, et actuels deux Logones) pour devenir le territoire du Tchad en 1934 (conquête coloniale et délimitation des frontières du Tchad- 1890- 1936- Maîtrise en Histoire- Mahamat Assileck , et la Carte de la région de l’Oubangui- Chari- 1934) et Bibliothèque CODESRIA). Il y a eu presque pas d’échange entre les peuples de ce territoire de l’Afrique équatoriale française (Aef). Aucun contact réel n’a existé entre les peuples du nord et ceux du sud durant la période coloniale. Sinon, quelques commerçants Baguirmiens ou des Baguirmiens, soldats du conquérant- commerçant et esclavagiste, Rabat; des Bornons ; des Haoussas et des arabes, vendeurs de perles, cauris, de sel de cuisine et de natron, qui ont eu des contacts directs avec les peuples du sud du Tchad. A ces commerçants, il faut ajouter les Peulhs, bergers qui vendaient du bétail et les sous- produits de l’élevage.

Dans une méconnaissance totale, les Tchadiennes et Tchadiens du nord du pays appellent celles et ceux du sud des Sara, comme si le sud n’est peuplé que des Sara ; alors que l’ethnie Sara n’est qu’une ethnie parmi tant d’autres dans cette partie du territoire. D’un autre côté, les populations du sud appellent leurs compatriotes du nord des “Doum ou musulmans”, comme si le mot musulman renvoyait à une ethnie. Or, dans les ethnies du sud du pays, il y a bien des “doum”. Etre musulman, c’est pratiquer la religion musulmane tout simplement.  Et cela ne peut être synonyme d’appartenance à une quelconque ethnie. Et si le premier président de la République était un Kanembou ou un arabe, toute la population du nord, de l’est, de l’ouest et du centre du pays  serait- elle  appelée Kanembou ou arabe ?

La diversité culturelle est une richesse

D’une manière générale, même dans la partie nord, est, ouest et le centre, les populations ne se connaissent pas. Il y a toujours de cloisonnements. Et cela s’accentue avec le comportement divisionniste des chefs militaires et des administrateurs du territoire qui ne cherchent qu’à s’enrichir sur la pauvreté des populations.

Les peuples du Tchad, du nord au sud, de l’est à l’ouest, en passant par le centre, constituent des habitants d’un même pays aux modes de vie, aux coutumes et traditions diverses,  où les religions judéo- chrétienne et la civilisation occidentale, d’une part, et arabo- islamique et orientale, d’autre part, se mêlent, accentuant ainsi des rapports quelquefois de méfiance ; alors que cette diversité culturelle est une richesse à exploiter positivement. Ce qui, sûrement, a conduit l’écrivain malien, Hampaté Bâ, à dire que la diversité des cultures africaines est  comme le tapis qui doit sa beauté à la diversité de ses couleurs.

Si un territoire, une population, et un gouvernement sont les critères de l’existence d’un Etat, le Tchad est- il un  Etat ? Depuis le 11 Août 1960 où il y a un transfert de souveraineté de la France, ancienne colonisatrice, après la proclamation de la République, le 28 Novembre 1958, les gouvernements ou les régimes politiques que le Tchad a connus ou connaît présentement, ont- ils eu le contrôle sur les populations et les frontières internationales du pays? Concourent- ils au bien être de ces populations, voire leur développement ? Ces populations se reconnaissent- elles dans ces gouvernements? Reconnaissent- elles qu’ils sont leur émanation ? Ces questionnements sont loin d’avoir des réponses plausibles.

La République, ce régime politique, ce mode de gestion d’un Etat qui se définit comme “la chose  publique”, où le pouvoir s’exerce, non en vertu d’un droit divin ou héréditaire, mais en vertu d’un mandat conféré par le corps social, une élection, le Tchad en est- il une? Si oui, comment se font les nominations aux hautes fonctions de la République? Se font-elles selon les compétences et les aptitudes professionnelles ou selon l’appartenance familiale, ethnique, régionaliste, religieuse et politique?

Les valeurs de la République,  qui sont le respect des lois et règlements, l’égalité des citoyens devant la loi et l’égalité des chances, sont- elles observées par les gouvernants et les administrés? Ces valeurs sont- elles enseignées dans nos écoles, universités et vulgarisées dans nos populations?

La Nation? Venons-en ! La meilleure des définitions est celle de Renan : “C’est le désir de vivre ensemble”. Alors comment ce désir doit- il se manifester ? Ces peuples du Tchad, cet agrégat, cette mosaïque de tributs, d’ethnies et de clans, comme relevé si haut, ont- ils le désir, la volonté de vivre ensemble? Surtout, au- delà de cette diversité ethnique et culturelle? Acceptent- ils de vivre ensemble dans cet Etat créé de toutes  pièces comme la plupart des Etats de la planète terre? Car,  aucun Etat, au monde, ne renferme qu’une seule ethnie.

Un Etat, une République et une Nation sont la création des femmes et des hommes. Et ils sont construits  par ces femmes et ces hommes. La construction  des nôtres, est- elle le souci de nos gouvernants?

Appartenir à un Etat, à une République, à une Nation sous- entend l’existence d’un contrat, d’un projet commun. Les peuples du Tchad le connaissent- ils? Si non, les régimes qui ont gouverné et celui qui gouverne le Tchad, ont-ils éduqué ou éduquent- ils les Tchadiennes et les Tchadiens à comprendre cela?

Manque de dialogue

Le Tchad est constitué de peuples qui ne se connaissent pas, parce qu’il n’y a pas d’échange entre eux. Pour cohabiter pacifiquement, se sentir  une population qui appartient à une même patrie, un même pays, il faut donner à ces peuples  l’occasion de se découvrir dans leur manière d’être, de vivre pour se comprendre, s’accepter et vivre comme une nation, comme un seul peuple. Cette question doit intéresser chaque Tchadienne et Tchadien.

Les dates événementielles telles que le 28 Novembre 1958 et le 11 Août 1960 doivent être  des moments de festivités, de brassage et de réjouissance populaires. Des occasions qui devront fermenter le vivre ensemble des Tchadiennes et Tchadiens.  Le 11 Août se fêtait le 11 Janvier, parce qu’en cette période, il pleuvait et les paysans étaient pris par les travaux champêtres. A l’occasion, il y avait la levée des couleurs nationales, un défilé militaire, civil et des élèves. Ceux- ci arboraient des tenues aux couleurs nationales, le bleu, jaune, rouge. Or ces journées sont détournées pour d’autres fins, notamment politiques. Le 28 Novembre, décrété journée de méditation pendant les dernières années de règne du Président Ngarta Tombalbaye,  est devenue journée de prière sous le régime d’Idriss Déby Itno. Et cette date ne figure pas dans la constitution en vigueur comme la date du 11 Août. Cette année, le 11 Août, cette date est consacrée à l’élévation du président Idriss Déby Itno à la dignité de Maréchal. Ce qui laisse présager que cette date sera désormais fêtée comme l’anniversaire de cet événement.

Aussi, le 28 Novembre 1958, date de la proclamation du Tchad comme République, la première étape qui marque l’accession à la souveraineté nationale et internationale, n’est pas reconnue par les constitutions du régime du président Maréchal. Cela témoigne à suffisance que le caractère républicain du Tchad est rejeté par  les dirigeants actuels du pays. Sinon pourquoi cette date n’est pas inscrite dans les constitutions comme fête nationale ? Le 28 Novembre est jeté dans la poubelle de l’histoire.

Des régimes incapables

De tout ce qui précède, un travail de fond pour la construction de l’Etat, de la République et de la Nation s’impose. De 1885 à 1960, de la conquête à la possession du Tchad, la France n’a pas jeté les bases d’un Etat qui doit se construire et construire la République et la nation. Elle nous a permis simplement d’avoir un Etat et une République. Les régimes politiques, qui se sont succédé, ont timidement amorcé cela et, sûrement, maladroitement. Leur incapacité d’être à l’écoute des populations et leur mépris vis-à-vis d’elles créent des mécontentements qui débouchent sur des révoltes et rébellions armées, fragilisant ainsi la stabilité du pays dans tous les domaines.  Mais, il n’est jamais tard et nous pouvons  construire le Tchad ; et ce, dans sa trilogie: Etat, République, Nation.

Il nous faut créer une nouvelle espèce de Tchadiennes et Tchadiens, débarrassée de stéréotypes, de préjugés et du virus du clivage. Cela doit commencer dès maintenant par la maternelle, le primaire, le secondaire et les universités. Que les média publics surtout et privés soient des outils de construction de l’Etat tchadien, dont doit découler la construction de la République du Tchad et de la nation tchadienne, et que le Ministère de l’Education Nationale et de la Promotion Civique joue pleinement son rôle de Ministère en charge de la Promotion Civique en enseignant le civisme.

Les stages académiques et professionnels dans les différentes localités du pays sont un atout pour les jeunes cadres de demain afin de connaître et de découvrir le pays. Il en est de même pour les colonies des vacances.

Ce que nous pouvons nous poser comme question, c’est combien de Tchadiennes et Tchadiens, ayant au moins le niveau de 3ème des lycées et collège savent chanter l’hymne national dans ses quatre couplets ou strophes et son refrain d’une part, et savent que le drapeau national est bleu, or, rouge au lieu de bleu, jaune, rouge, d’autre part? Cette erreur commune mérite d’être corrigée dès maintenant.

Les historiens, anthropologues, sociologues, ethnologues, géographes, artistes, journalistes, dignitaires religieux, notables, économistes et le Gouvernement…. etc, “debout et à l’ouvrage”.

Djékourninga Kaoutar Lazare,Administrateur civil