L’acte 2 de la marche du peuple pour l’alternance et la justice a eu lieu le 13 février malgré l’interdiction. Les manifestants continuent à défier les forces de l’ordre qui n’hésitent pas à les réprimer violemment.
Le Consensus d’Action républicaine pour le progrès (le Consensus) qui organise les marches pour la justice, l’inclusion et l’alternance en 2021 continue ses actions. Pour l’acte 2 de sa marche, il a reçu trois soutiens de taille : ceux de l’Ust (Union des syndicats du Tchad), du représentant de la Fédération internationale des droits de l’homme (Fidh) auprès de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cémac) et ancien président de la Ligue tchadienne des droits de l’homme, Dobian Assingar, et du président de l’Undr, Saleh Kebzabo. Ce dernier a appelé les militants de son parti à sortir dans la rue pour soutenir la marche du 13 février et le sit-in du 15 février devant l’ambassade de France.
La marche du samedi 13 février devrait partir d’une mosquée près de l’ambassade des Etats-Unis, où des manifestants avaient été arrêtés lors de la marche du 6 février. Pour les marcheurs, l’action devrait commencer là où elle s’était arrêtée le 6. Mais comme on pouvait l’imaginer, les éléments du Gmip (Groupement mobile d’intervention de la police) ont pris position dans toutes les rues menant à l’ambassade américaine. Dans ce périmètre, que de sortie mais pas d’entrée. Les manifestants ont tenté vainement de se rendre au point de départ indiqué. Après plusieurs tentatives de marche sans succès, un groupe de manifestants fait un repli tactique au siège du parti “Les Transformateurs’’, avec un changement de direction. Il réussit à faire mieux. “Nous nous sommes réorganisés pour lancer la marche qui a pu se faire sur près se 7 km. Elle est partie de l’axe Ca7 (Commissariat du 7ème arrondissent) jusqu’au boulevard Taïwan où nous avons été interceptés par les policiers. Ils ont commencé à tirer des gaz lacrymogènes sur nous, malgré le fait que nous nous ayons mis à genou et ayons entonné l’hymne national jusqu’à ce que nous ne supportions plus. Nous avons décidé de nous disperser”, témoigne l’artiste Ray’s Kim qui a été la manœuvre pour cette marche. Quelques kilomètres de marche malgré le dispositif répressif, de quoi motiver l’artiste. “Chaque fois que nous sortons et rentrons, nous disons que c’est un combat de gagné. Il faudra encore pousser plus loin pour que ça aille et porte fruit. La marche d’aujourd’hui est spéciale, vu le kilométrage que nous effectué, la résistance, la mobilisation”, s’en félicite-t-il.
Les quartiers des 6ème, 7ème et 9ème arrondissements de la ville de N’Djaména sont les plus mouvementés. C’est d’ailleurs dans ces quartiers que les éléments du Gmip ont pris position avec des gaz lacrymogènes, des canons à eau, par endroits. A défaut de pouvoir marcher, certains brûlent les pneus. “Les militaires ont pris position partout, on ne peut même pas faire un mètre. Quand on brûle, le temps qu’ils accourent éteindre le feu permet aux autres de marcher. L’essentiel n’est pas seulement de marcher, il faut trouver une façon d’exprimer son ras-le-bol, de dire au président de la République qu’on n’a plus besoin de lui et de son régime. On en a marre !!!”, fulmine un manifestant de Walia dans le 9ème arrondissement. Certaines villes du sud, comme Sarh, ne sont pas restées en marge de la marche, sans oublier la diaspora.
Au bilan, l’on parle d’une dizaine de manifestants arrêtés. Il y a également eu des blessés, un véhicule a écrasé le pied d’un manifestant. L’animosité est partie pour durer puisque “Le consensus” entend organiser des marches tous les samedis. “Non seulement nous refusons le 6ème mandat d’Idriss Déby, mais, refusons aussi l’organisation des élections d’avril 2021 dans les conditions actuelles avec des institutions électorales inféodées au système de fraudes massives et d’exclusion de 80% de la population”, avait déclaré Max Loalngar, président de la Ltdh lors du point de presse du Consensus le 10 février. “Le Consensus” compte par ailleurs manifester contre le sommet du G5 Sahel qu’accueille N’Djaména du 15 au 16 février. Un sit-in est prévu le 15 février devant l’ambassade de France, en protestation aux soutiens de la France d’Emmanuel Macron à Idriss Déby Itno.
Condamnés pour un pamphlet
24 heures plutôt, le tribunal correctionnel de N’Djaména a condamné les manifestants des marches du 5 et 6 février pour trouble à l’ordre public et attroupements non armés. Il s’agit du défenseur des droits de l’homme, Mahamat-Nour Ibedou et de 9 autres personnes qui sont condamnés à trois mois de prison avec sursis. Les deux autres manifestants ont simplement été relaxés.
Les 12 prévenus arrêtés lors des différentes manifestations (la marche des diplômés en instance d’intégration et la marche du peuple acte1) ont connu leur sort à la veille de cette marche. Après des tractions (les gendarmes surpris en train de remplir le mandat de dépôt avant l’audition par le juge, les pressions externes lors la procédure), le procès est prévu dans la matinée du 12 février. A 9 h, dans un palais de justice sous haute sécurité, avec une quinzaine de véhicules bourrés de flics, l’ambiance sent la lacrymogène. Tout le monde tousse. La Tchadienne s’entend. Des pancartes et couleurs nationales sont brandies. Les manifestants, aux pas de course, qui tentent de joindre la cour du palais sont dispersés par les agents du Gmip. C’est dans cette ambiance électrique que le juge, Issa Goudja, ouvre le procès. Les prévenus sont accompagnés à la barre par une vingtaine d’avocats. Les chefs d’accusation retenus contre eux sont : troubles à l’ordre public, destruction des biens publics, coups et blessures volontaires. A l’entame, les conseils demandent l’annulation du procès pour violation de la procédure prévue dans l’article 208 du code de procédure pénale. Les arguments sont construits autour d’un ensemble du mépris des textes juridiques. En effet, selon les avocats, l’article 50 du code de procédure pénale qui exige d’avertir le prévenu du choix et de l’assistance par un avocat lors de son audition n’a pas été respecté. Cette loi garantit le droit de la défense et assure le prévenu de jouir pleinement de ses droits lors de la procédure. En plus de cela, la date, certains chefs d’accusation et la constitution des cabinets mentionnés sur les procès-verbaux sont faux. Les avocats ont conclu que les prévenus étaient auditionnés dans les locaux des renseignements généraux, puis ces derniers ont envoyé les Pv à la justice. Le ministère public, défendu par le procureur Youssouf Tom, a classé cela sous le poids des erreurs humaines. Le juge lui a donné raison et a décidé de poursuivre la procédure.
Tour à tour, les avocats ont pris la parole pour déconstruire les chefs d’accusations avec des preuves appuyés par les témoignages des prévenus. Youssouf Tom avoue, à la fin, n’avoir aucune preuve de destruction des biens ni des coups et blessures volontaires et requiert leurs annulations. Cependant, il maintient l’accusation de trouble à l’ordre public en se basant sur l’arrêté 009 du ministère de la Sécurité publique portant interdiction de ces marches. Puis, il ajoute un autre chef d’accusation, qui est attroupements non armés. Les avocats ont démontré que l’arrêté en question ne respecte pas le droit administratif et est anti constitutionnel. Pour les avocats, cet arrêté est un brouillon car il n’est pas publié dans le journal officiel de la République ; il a visé une ordonnance, n° 46 du 28 octobre de 1962, obsolète et un arrêté de l’Etat d’urgence qui n’autorise pas les attroupements alors que le parti au pouvoir tenait son congrès le même jour.
Malgré cette démonstration, le juge a délibéré en condamnant Ibédou, les diplômés en instance d’intégration et quelques membres des Transformateurs à trois mois avec sursis. La trésorière des transformateurs, Fatimé Abdelkerim Soumaila et un de ses camarades sont relaxés pour infraction non commise.
Les larmes dans la salle d’audience
Lors des témoignages pendant ce procès, certaines personnes n’ont pas pu retenir leurs larmes. La scène racontée par la trésorière des transformateurs a laissé sans mot toute la salle, y compris certains avocats. La trésorière a été plutôt enlevée avant le début de la marche. Selon son récit, elle a été filée depuis sa maison jusqu’à son arrestation au rond-point de Chagoua. Lors de cette arrestation, les agents des Gmip et des renseignements généraux se sont jetés sur elle pour la tabasser. Son péché est son adhésion au parti “Les Transformateurs”. Musulmane de son état, “pourquoi tu suis ce kirdi de Masra alors que tu es islamisée ?”, lui rétorque un agent avant que l’autre rajoute, “veux-tu épouser un homme qui pisse debout ?”. Dans les locaux des renseignements généraux, elle témoigne qu’ils ont déchiré ses habits et ont tenté de la violer, n’eut été l’apparition soudaine d’une femme. Elle est restée à moitié nue jusqu’à 15 h, l’heure à laquelle ses parents sont venus avec des habits. Un autre militant des “Transformateurs” de confession musulmane, Mahamoud Chaibo, a aussi été victime de cette stigmatisation. Après avoir perdu son téléphone lors de la marche, la police l’a pris, et l’a rappelé de venir le chercher au terrain de Koullamalah. Il a été arrêté par la suite parce qu’il est musulman et Transformateur.
Nadjindo Alex et Lanka Daba Armel