La pauvreté, les conflits intrafamiliaux, les maltraitances, les violences de toutes sortes, les guerres font le lit des “enfants de la rue”. Un roman planche sur le phénomène.
Aboubakar Béatrice, veuve, fonctionnaire internationale, décide de démissionner de l’institution pour laquelle elle travaille depuis plus de dix ans pour fonder une association devenue une Ong d’intérêt public. L’association Arc-en-ciel a en son sein un centre de récupération des enfants. C’est trop oser dans un pays qui vit une crise généralisée “provoquée par la mal gouvernance, les détournements à outrance pratiqués par certains dirigeants véreux”. Dans cette république bananière située sous les tropiques, où pendant l’hivernage le choléra tue les populations plus que la guerre, si celle-ci observe encore une accalmie, en attendant que les humanitaires leur partagent de la semoule, toutes les bonnes actions sont gangrenées par la haine et la jalousie.
C’est ainsi que Béatrice, avec l’aide de quelques volontaires, va recueillir notamment les enfants de la rue dans ce centre pour leur réinsertion sociale. A ses débuts, l’ambition semble être une gageure. Mais avec une farouche détermination, elle est arrivée au bout de son rêve: une bonne dizaine d’enfants a regagné le centre et s’insert déjà. Cependant, à peine le centre prend de l’envol et reçoit des subventions, elle meurt dans un accident de voie publique. Or, étant agnostique, elle a laissé un testament retrouvé curieusement à son décès: “Que mon corps soit incinéré, et mes cendres jetées dans la nature!” Ce qui sera source de conflit dans sa communauté aux valeurs traditionnelles et religieuses puristes, intrinsèquement conservées dans la contrée. Qui va poursuivre le noble et ambitieux projet? Voilà brièvement déroulé le fil conducteur du roman “Une couleur de plus dans un arc-en-ciel” de Yaya Achair.
Ce roman, comme le lecteur peut s’en rendre compte, a pour focalisation centrale les enfants de la rue, cette frange de la population délaissée. C’est le témoignage d’une société minée par le mal qu’il faut corriger. La rue enfante-t-elle (des enfants)? La réponse est non! Et pourtant le phénomène persiste, si ce n’est pas un épiphénomène, qui prend des proportions inquiétantes dans de nombreux centres urbains principalement les capitales des pays africains. Le jeune romancier, qui a fait de l’autoédition, construit l’intrigue de part sa propre expérience (il nous a fait la confidence qu’attablé un jour dans un restaurant, il était interloqué par un enfant dit de la rue qui lui a tout raconté de sa mésaventure). Ces jeunes dont le salut ne dépend que de la rue (qui les nourrit et les héberge au grand dam de leurs semblables) sont le produit de la société, ce qu’elle a voulu qu’ils soient. Les enfants de la rue, c’est la démonstration d’une société non solidaire et irresponsable à tous égards. Mais ceux-ci constituent une ‟société” à part entière, qui a pris les quartiers sous le regard désabusé du monde longtemps resté impavide. Plusieurs raisons amènent les enfants à regagner la rue, qui devient le réceptacle de tous les vices, qui engendrent à son tour de nombreux maux. L’auteur, qui n’est qu’à ses débuts en écriture romanesque, met en relief l’expérience pour le moins cocasse de ces enfants (transformés en personnages), mus par leur seul et tenace désir de vivre dans la société et dont le témoignage est consigné dans le document qui fait ni plus ni moins un vaste plaidoyer en leur faveur. Comment la société moderne actuelle en est arrivée à se débarrasser des valeurs qui fondent l’homme et le vivre-ensemble? Difficile de répondre.
L’auteur ne perd pas de vue les enfants talibés qui subissent presque le même sort et qui sont, eux aussi, victimes des maîtres coraniques (oustasses) ou marabouts véreux et méchants. Ces enfants sont, point n’est besoin de le dire encore, des victimes expiatoires d’une société qualifiée de lâche par le romancier Achair. L’héroïne, comme une goutte d’eau dans la mer, a joué sa part de colibri en mettant en exergue son brin d’humanité, sa solidarité agissante en faveur de cette couche désœuvrée qui pavane sous les yeux du monde. Et l’auteur, sur le sillage de l’héroïne, invite le lecteur à faire de même. En apportant ‟une couleur de plus” à la mosaïque des couleurs déjà existantes de l’arc-en-ciel, ce dernier paraîtra plus bronzé, plus vif, plus rayonnant. Et peut-être le monde vivra mieux.
Natif d’Abéché dans le Ouaddaï, Achair Yaya a fait des études en économie à l’université Adam Barka de cette même ville. Il fait de l’écriture une passion.
Sosthène Mbernodji