Cameroun 2025 : un scrutin aux répercussions régionales

Le Cameroun vote, mais c’est toute l’Afrique centrale qui retient son souffle. Entre transitions verrouillées et héritages de pouvoir, la présidentielle du 12 octobre 2025 pourrait marquer un tournant. Pour le Tchad, cette élection est plus qu’un voisinage politique : un miroir et un avertissement.

Peu de nations africaines portent autant de poids stratégique que le Cameroun. Carrefour de six frontières avec le Nigeria, le Tchad, la République centrafricaine, le Congo, le Gabon et la Guinée équatoriale, il est la charnière physique et économique de l’Afrique centrale. Sa façade maritime sur le golfe de Guinée, son port de Douala et son rôle dans le transit du pétrole tchadien en font un poumon vital de la région. Mais le Cameroun, c’est aussi l’immobilisme politique érigé en système. Depuis 1982, un seul homme incarne l’État : Paul Biya, aujourd’hui âgé de 92 ans. Plus de quatre décennies de pouvoir, un record presque inégalé, au point que son nom est devenu synonyme d’un modèle politique africain : celui de la longévité institutionnalisée, nourrie par la peur du changement et l’habitude de la stabilité. L’élection de 2025 pourrait donc être un moment d’incertitude, non seulement pour le Cameroun, mais pour tout l’équilibre régional. Car la question n’est plus seulement “Qui gouvernera Yaoundé ?”, mais “Quel Cameroun pour demain, et quel signal pour ses voisins ?”

 

Un pays au bord du tournant

À Yaoundé comme à Douala, le climat politique est lourd, presque suspendu. Les formations d’opposition, le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) de Maurice Kamto, le Parti camerounais pour la réconciliation nationale (PCRN) de Cabral Libii, et les nouveaux mouvements citoyens issus de la diaspora, oscillent entre défiance et résignation. L’appareil d’État, lui, veille au grain : l’armée, la présidence, l’administration territoriale et la diplomatie restent verrouillées par les fidèles du régime. Le spectre d’une succession dynastique plane, évoquant l’ombre d’un scénario tchadien. Des rumeurs persistantes évoquent une possible irruption du fils du président, Franck Biya, déjà discret acteur des coulisses du pouvoir. Si tel devait être le cas, le Cameroun suivrait la pente d’une transmission héréditaire du pouvoir, comme on l’a vue au Tchad, au Gabon avant le putsch de 2023, et dans d’autres républiques de l’espace francophone. Autant dire que ce scrutin dépasse de loin les frontières nationales : il symbolise la question du renouvellement des élites dans toute une région.

 

Le miroir du Tchad : un voisin attentif

Pour le Tchad, l’élection camerounaise n’est pas un événement extérieur. Les deux pays partagent plus qu’une frontière : ils partagent une histoire imbriquée, des échanges vitaux, et une fragilité commune. Le Tchad dépend du port de Kribi et du pipeline Tchad-Cameroun, construit en 2003 avec la Banque mondiale, pour exporter son pétrole. Une déstabilisation politique du Cameroun pourrait donc affecter directement l’économie tchadienne, déjà mise à rude épreuve par la transition politique et l’instabilité au Soudan voisin. Mais au-delà de l’économie, c’est le rapport au pouvoir qui relie les deux pays. Mahamat Idriss Déby Itno, fils de l’ancien président Idriss Déby, observe attentivement Yaoundé. Son régime, né d’une transition militaire en 2021, repose sur un équilibre fragile entre légitimité sécuritaire et promesse de normalisation démocratique. Un changement au Cameroun, pacifique, institutionnel et crédible, aurait pour N’Djaména la valeur d’un signal régional fort, voire d’un défi silencieux. Il rappellerait qu’une alternance pacifique est possible même dans un espace francophone longtemps marqué par les successions familiales et les transitions verrouillées.

 

L’Afrique centrale à la croisée des chemins

Autour du Cameroun, les plaques tectoniques politiques bougent. Au Gabon, le coup d’État d’août 2023 a mis fin à 56 ans de dynastie Bongo, provoquant un électrochoc dans toute la région.
Au Congo-Brazzaville, Denis Sassou Nguesso règne depuis 1979, interrompu seulement par une brève parenthèse. En Guinée équatoriale, Teodoro Obiang, au pouvoir depuis 1979 également, a déjà placé son fils Teodorín dans la ligne de succession. En Centrafrique, le pouvoir du président Touadéra s’appuie sur le soutien du groupe Wagner et une militarisation croissante de la vie politique. L’Afrique centrale est ainsi devenue une zone grise entre autoritarisme et stabilité. Un espace où les changements se font rarement dans les urnes. Le Cameroun, en ce sens, n’est pas une exception : il est le cœur de ce système, et le Tchad son miroir oriental. L’un comme l’autre sont les baromètres d’une région qui n’a pas encore trouvé le modèle d’une transition démocratique apaisée.

 

Entre deux France

Le rôle de la France dans cette équation n’est pas neutre. Paris, historiquement liée à Yaoundé comme à N’Djamena, se trouve face à un dilemme : préserver des régimes stables, piliers de sa présence militaire dans le Sahel, ou soutenir la dynamique de changement que réclame une jeunesse de plus en plus impatiente. L’armée française a longtemps utilisé le Tchad comme base arrière de ses opérations au Sahel (Limousin, Tacaud, Manta, Épervier, puis Barkhane). Le Cameroun, lui, reste un partenaire discret mais essentiel dans la lutte contre Boko Haram et les groupes armés du bassin du lac Tchad.  Une alternance démocratique crédible à Yaoundé pourrait redéfinir l’équilibre diplomatique francophone et pousser Paris à repenser sa stratégie régionale, déjà fragilisée par les ruptures au Mali, au Niger et au Burkina Faso, puis dernièrement au Tchad.

 

La jeunesse et la soif d’avenir

De Douala à N’Djaména, une même génération regarde ces échéances avec un mélange d’attente et de scepticisme. Au Cameroun, près de 70 % de la population a moins de 35 ans. Au Tchad, c’est plus de 75 %. Deux jeunesses nées après les indépendances, qui n’ont connu ni alternance, ni confiance dans les institutions, ni horizon politique clair. Les réseaux sociaux bruissent de cette frustration : “on nous parle de stabilité, mais on nous vole notre avenir”, confiait récemment un étudiant de Yaoundé sur X (ex-Twitter). Le discours est le même à N’Djaména, Bangui et Libreville. Cette génération connectée, globalisée, compare, s’indigne, rêve d’une Afrique centrale qui respire à son propre rythme. Pour elle, les élections camerounaises de 2025 ne sont pas seulement l’affaire des Camerounais, mais un test pour la possibilité même du changement dans l’espace francophone.

 

Le risque du statu quo

Mais l’histoire récente du continent invite à la prudence. Les transitions annoncées se sont souvent transformées en transmissions déguisées. Les Constitutions révisées en instruments de conservation du pouvoir. Et les urnes, en théâtre de légitimation. Si le Cameroun reproduit ce cycle : succession familiale ou victoire programmée du parti Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) au pouvoir, le signal envoyé à la région sera clair : la normalisation de l’immobilisme comme horizon politique. Un message dangereux, à l’heure où les peuples du Sahel et du bassin du lac Tchad sont déjà en perte de confiance envers les institutions civiles et internationales.

 

Ce que le Tchad peut espérer

Pour le Tchad, un Cameroun apaisé, ouvert et démocratique représenterait plus qu’un voisin stable : un souffle d’inspiration. Le dialogue entre les deux pays dépasse les enjeux économiques.
Il touche à la vision même du pouvoir en Afrique centrale : autorité militaire contre légitimité populaire, contrôle sécuritaire contre ouverture politique. Une alternance réussie à Yaoundé aurait un effet d’exemplarité sur N’Djaména, en montrant qu’un changement de leadership peut se faire sans effondrement. Elle encouragerait aussi les voix tchadiennes qui réclament un véritable retour au civil après la transition, une refondation du contrat national, et un rapport plus sain entre l’armée et la politique. Mais si Yaoundé choisit la continuité, alors le message implicite sera celui d’un continent résigné, où la jeunesse regarde ailleurs pendant que le pouvoir s’hérite comme un patrimoine.

 

Entre peur et espoir

En Afrique centrale, le pouvoir n’est jamais un simple exercice d’administration : c’est une dramaturgie. Chaque élection est un épisode de la lutte entre la peur et l’espoir. La peur de l’instabilité, de la guerre, du chaos. Et l’espoir, ténu, persistant d’un autre commencement.

À la veille du scrutin camerounais, les chancelleries étrangères s’inquiètent, les ONG observent, les peuples se taisent. Mais sous le silence, quelque chose bouge : la conscience que la stabilité sans justice n’est qu’un sursis, et que le changement sans confiance n’est qu’une illusion.

 

Le souffle et la poussière

Entre Yaoundé et N’Djaména, la distance n’est que de 1 200 kilomètres. Mais c’est un même vent chaud du Sahel qui balaie les deux capitales. Un vent qui charrie les promesses trahies, les colères retenues et les rêves d’une Afrique centrale qui voudrait enfin respirer. Le Cameroun s’apprête à voter. Le Tchad observe. Et dans ce regard silencieux, c’est tout un continent qui cherche son reflet, entre le souffle du renouveau et la poussière des habitudes.

Na Deli Tchifalda