Des citoyens se prononcent sur le Cmt

Suite au décès subit du président de la République Idriss Déby Itno, un Conseil militaire de transition (Cmt) de 15 membres est mis en place. Des voix s’élèvent pour dénoncer l’anti constitutionnalité de ce conseil. Ndjh vous propose quelques réactions.

Djékourninga Kaoutar Lazare (vice-président de l’Atpdh)

Tenir compte des partis politiques, de la société civile et des politico-militaires

“Des voix s’élèvent contre la mise en place du Conseil militaire de la transition. Mais en tant que citoyen tchadien et militant des droits de l’homme, je pense que la transition doit être une transition de consensus. On doit voir toutes les sensibilités du pays et mettre en place un système de gestion, qui doit être géré par un civil. La sécurité des frontières doit être confié aux militaires. Il est vrai que si nous faisons un faux pas en tant que tchadien et tchadienne, nous risquons de vivre un désordre total. Parce que les terroristes qu’on appelle Boko haram, djihadistes et autres sont au Nigeria, Niger, Libye, Soudan, Soudan du sud, Cameroun et en Centrafrique. En plus, l’instabilité politique crée aussi une insécurité. A cela, nous devons faire très attention. Il ne faudrait pas que cette occasion que le Tchad vit en ce moment, avec la mort brutale du président de la République, soit une occasion pour que les uns et les autres se positionnent, pour se partager le gâteau qui est le Tchad. On doit voir d’abord l’intérêt du Tchad. Mais mettre en place un comité qui est composé de 15 généraux, est-ce que ce comité représente toutes les sensibilités ? Il ne faut pas qu’on écarte les gens, parce que depuis plus de 15 ans, des rebellions existent dans les frontières du Tchad. Des Tchadiens sont entrés en rébellion parce qu’ils ont contesté le régime de Déby. Tout doit se faire en tenant compte des partis politiques, de la société civile et des politico-militaires. Je ne suis pas d’accord pour que le Tchad soit encore gouverné par des militaires. Et comme les voix qui se sont élevées, nous ne sommes pas dans une dynastie où si le père crève, ça doit être le fils qui le remplace. Il y a des Tchadiens capables de diriger ce pays, mais tout doit partir d’un consensus, afin que les uns et les autres ne soient pas écartés, et qu’on ne retombe pas dans des bêtises d’il y a 30 ou 40 ans”.

Me Nomaye Clarisse (avocate et écrivaine)

“Que la raison prime sur toutes autres considérations”

“En tant que juriste, je dis que les lois dans un pays sont faites pour être respectées. Dès qu’elle est promulguée, et même si cette loi a fait l’objet de débats, elle doit être appliquée en toute circonstance. La constitution, même si elle est contestée est applicable au Tchad. La constitution de notre pays a mis des dispositions en cas de vacances de pouvoir. Lorsque la situation s’est imposée, on doit appliquer la constitution qui prévoit le remplacement temporaire au poste du président de la République par le président de l’Assemblée nationale. En principe, nous devons respecter cela et donner la possibilité à M. Kabadi d’assurer cette fonction, durant la transition. Donc, c’est tout à fait normal qu’il y ait contestation, parce que les lois sont faites pour être observées. Si on commence par bafouer la loi, vers où ira-t-on ? La place des militaires est dans les garnisons, pour assurer la sécurité du pays. Ceux qui doivent assurer la transition doivent plutôt aller vers les militaires, pour demander assistance sécuritaire si la situation l’exige. Donc l’armée doit venir en appui à la structure prévue par la constitution, pour assurer la transition. En tant que femme de culture, j’appelle toute la population à la sérénité et que la raison prime sur toutes autres considérations. Que tout ce qui est négatif qui traverse notre esprit soit écarté de nos pensées. Quelle que soit la situation, soyons sereins et faisons preuve de beaucoup de sagesse”.

Djimtola Nelly, (historien et enseignant)

“Le changement ne peut pas se faire dans ces conditions là”

“Nous sommes en face d’un coup d’Etat. Parce que nous avons une constitution qui existe, qu’on n’en fait pas cas, et brutalement un coup d’Etat s’est installé, lorsque la situation s’est présentée. De telle circonstance ne peut rien présager de bon. Parce que vous avez en face les rebelles, l’opposition politique interne et la société civile, qui n’ont pas été consultés. Et avec cela des gens s’improvisent dirigeants transitoires du pays, avec certains profils qui choquent la conscience des millions de tchadiens. Que veulent réellement ces militaires ? Maintenir un système rejeté qui a perduré pendant une trentaine d’années ? Le changement ne peut pas se faire dans ces conditions là, sans la consultation des forces vives et de la société civile. Et puis les Tchadiens connaissent très bien les profils de ceux-là qui veulent diriger la transition. On ne peut rien présager de bon parce qu’on ne connaît pas encore le dernier mot des rebelles, et les Tchadiens ne se sont pas encore prononcés sur cette situation”.

Me Nodjitoloum Salomon, président de l’Action chrétienne contre l’abolition de la torture au Tchad (Acat-Tchad)

“Obligation d’exiger le retour à l’ordre constitutionnel”

“Le 23 avril 2021, le président français Emmanuel Macron qui a assisté aux obsèques d’Idriss Déby Itno a soutenu officiellement le Conseil militaire de transition, en déclarant que “la France ne laissera personne menacer la stabilité et l’intégrité du Tchad”. Par cette déclaration, la France approuve la prise du pouvoir par des militaires au Tchad et laisse penser que les enjeux politiques et militaires dans le Sahel pourraient sacrifier la prééminence du respect de la Constitution du Tchad. L’évocation d’une situation exceptionnelle pour tolérer la prise du pouvoir par des militaires, n’est pas prévue par la Constitution. Aussi, dans la situation actuelle, il n’y a pas de vide juridique justifiant la suspension de la Constitution et des institutions démocratiques.  Acat-Tchad interpelle la France et la communauté internationale sur leur obligation d’exiger le retour à l’ordre constitutionnel afin de maintenir le pays dans le calme et la stabilité”.

Ali Abderrahmane Haggar, économiste, homme politique et écrivain

“Dans nos débats nous perdons de vue l’essentiel, c’est-à-dire la population”

“Nous avons tous été frappés par la mort du président Idriss Déby. Personne ne s’y attendait. Un vide s’est créé mais c’est la volonté de Dieu. Un Conseil militaire transitoire (Cmt) s’est mis en place. Mais au-delà de cela, il va falloir trouver une solution définitive à nos contradictions. Je pense que la mise en place du Cmt au moment où le président était mort, était la première mesure à prendre, même si c’est une mesure qui s’applique plus dans la réalité que dans les principes. Le meilleur serait qu’on applique les textes. Mais vous savez, le Tchad est un pays quelquefois exceptionnel, et c’est cette exception qui dérange un peu les bonnes consciences. Maintenant, la charte, telle qu’elle est rédigée, ne me plaît pas. Certaines personnes appelées pour la rédiger ont réagi comme si le président était vivant. On pouvait l’élargir à un certain nombre de choses, mais rien n’est encore joué du point de vue juridique. Je sais que le Cmt continue de réfléchir, les chefs d’Etat arrivés pour les obsèques ont rencontré un certain nombre d’acteurs et échangé avec le Cmt. Je suis sûr qu’on reviendra sur cette charte et la sagesse ne fera pas défaut. Je suis convaincu que les Tchadiens vont surprendre le monde par leur capacité résiliente à écouter, comme on l’a fait en 1993 à la Conférence nationale souveraine (Cns). Je pense aussi qu’un forum, conférence ou rencontre est indispensable pour remettre le ballon à terre, entre toutes les forces politiques et politico militaires qu’il faut avoir le courage d’appeler, la société civile qui est un peu dans une opposition contre celle qui est avec le pouvoir. Il faut que tout le monde, sans exception, ait le Tchad en vue. Parce que souvent, dans nos débats nous perdons de vue l’essentiel, c’est-à-dire la population et notre pays. Mais le président Idriss a laissé une très grande perte. Pour respecter sa mémoire, la meilleure façon aura voulu que ceux qui vont gérer sa mémoire doivent la paix, la crédibilité, la confiance, la tempérance, l’apaisement et la sérénité. Il ne sert à rien de faire comme s’il était vivant. C’est là où je demanderais à certaines personnes, qui ont plus tendance à vouloir créer des problèmes que de trouver des solutions, de se calmer un peu. Dieu a décidé de nous donner une nouvelle occasion de nous entendre définitivement, afin que 30 ans après, on ne revienne pas en arrière et poser des questions”.

Propos recueillis par Roy Moussa