Des dignes adieux aux martyrs

Trois des 10 personnes ayant perdu la vie suite aux manifestations du 27 avril dernier sont inhumées le 1er mai 2021. Plusieurs jeunes sont sorties pour accompagner leurs héros dans leur dernière demeure.

Synna Garandi, Djikoloum Yannick et Kaguira Bruno, trois jeunes âgés d’une vingtaine d’années sont accompagnés à leur dernière demeure. Ils ont été fauchés par des balles réelles, tirées par des militaires, le 27 avril dernier, lors de la marche publique (Wakit tama) contre la mise en place du Conseil militaire de transition (Cmt) et surtout contre la transmission dynastique du pouvoir.

“Vous êtes morts pour une cause juste”. C’est ce message qu’on lit sur quelques T-shirts que porte le public, venu nombreux dire ses adieux aux martyrs à la morgue de l’Hôpital général de référence nationale (Hgrn).

Dans la matinée, vers 9 h, plusieurs jeunes, des bouts de tissu noir et rouge attaché sur le front et à l’avant-bras prennent d’assaut la morgue du Hrgn. C’est le corps inanimé de Synna Garandi qui sort. Les jeunes l’escortent en prenant le devant, drapeau du Tchad en main, sans klaxon, sans chant ni sifflet comme l’a exigé sa famille craignant le débordement. Arrivés près du domicile à Walia, ils posent leurs mains sur la tête tout en formant deux rangées entre lesquelles passe le corps de Synna Garandi. Des cris de douleur, des pleurs retentissent. Les leaders des jeunes repartent à la morgue pour les deux autres martyrs que le hasard du programme a fait que la levée des deux corps tombe à la même heure.

Il est 11 h. Les corps de Djikoloum Yannick et Kaguira Bruno sortent de la morgue. La foule est plus nombreuse. Quelques leaders, organisateurs de la marche sont en place. Les familles tentent vainement d’éviter la foule qui a même imposé son rythme. Les jeunes se massent devant les deux corps, descendent des motos pour escorter les deux corps à pied en chantant l’hymne national ou “mala mahi dorouna wa?” (pourquoi nous détestent-ils?). C’est en alternant ces chants, les deux mains posées sur la tête ou les coudes serrés que les deux corps sont accompagnés. Au passage du cortège, pas de circulation. “Quand Déby passe, les routes sont bloquées. C’est la même chose aujourd’hui. C’est le peuple qui passent”,  explique une voix sortie de la foule. Des gens assis au bord de la grande voie font honneur aux corps en posant, eux aussi, les mains sur la tête. D’autres qui n’ont pas pu contrôler leur émotion laissent tomber des larmes. Des âmes de bonne volonté servent de l’eau au cortège en ce jour de canicule.

Le cortège impressionnant poursuit son chemin. “Si les gens s’engageaient depuis ainsi, comme c’est le cas aujourd’hui, nous auront déjà arraché notre liberté. Je suis venu de Goudji pour accompagner les martyrs à leur dernière demeure”, témoigne un adulte. Arrivé devant le commissariat du 7ème arrondissement, les jeunes n’ont pas pu contenir leur colère.  Aux agents de sécurité postés devant le commissariat, ils ont lancé : “Assassins ! Assassins ! Assassins !”. Ils sont vite suppliés par leur leader de continuer le chemin. Au rond-point à double-voie, c’est tout un dispositif militaire qui est installé avec plusieurs agents postés en bordure de l’avenue Jacques Nadingar et dans la cour de la station Total. Là encore, les jeunes leur jettent à la figure de façon sporadique, quelques bouteilles d’eau mais sans accrochage.

Derrière le cortège, plus de 17 véhicules bourrés de militaires, gendarmes et policiers  accompagnent les corps jusqu’au cimetière de Toukra. Ils s’arrêtent juste au bord du grand axe menant vers le sud. Juste quelques mètres à la descente de la grande voie, les jeunes vont descendre les corps des véhicules. Ils les portent sur leurs épaules en chantant l’hymne national jusqu’à l’arrivée au cimetière vers 14. “Ils  méritent ces hommages. Ils sont morts pour la patrie. C’est à la France de voir ce que son soutien au Cmt a apporté au Tchad. Ils sont morts à fleur d’âge. Tout ça parce qu’il y a une famille qui veut s’accaparer du pouvoir au Tchad”, s’indigne Galama Jean, venu dire ses adieux à ses amis. “C’est à nous qui sommes vivants de faire en sorte que la mort de nos compatriotes ne soit pas inutile. Faisons en sorte qu’ils soient fiers de nous. Vive la victoire du peuple !”, s’exclame Dénémadji Nora. Adieu !

Lanka Daba Armel