Le fils fait pire que le père

Une semaine après sa prise de pouvoir illégale, Mahamat Idriss Déby a violemment réprimé les premières manifestations pacifiques, hostiles au Conseil militaire de transition et à la France.

Plus de 10 morts, environ 100 blessés graves et plus de 700 arrestations, c’est le plus lourd bilan des répressions des manifestations dans  l’histoire du Tchad depuis 30 ans. Mardi 27 avril, N’Djaména se réveille avec des tirs de gaz lacrymogène et un nuage noir émanent des pneus brûlés. Sur les axes principaux et les rues secondaires, la circulation est difficile. Si ce ne sont pas les pneus qui y brûlent, ce sont des briques et autres matériaux posés par les manifestants, qui les barricadent. Partout, du gaz lacrymogène irrite les yeux. Tôt ce matin, des milliers de personnes ont entamé la marche lancée par “Wakit tama”, par un concert de marmites, sifflets et vuvuzela et tout ce qui peut faire du tintamarre pour protester contre la junte  militaire au pouvoir.

A Moursal, sur l’avenue du capitaine Kondol Béaloum, non loin du domicile de l’ancien président de l’Assemblée nationale, Haroun Kabadi, les manifestants ont érigé des briques en barricade. Pas de passage sur cette avenue. Les manifestations ont pris une autre tournure quand les forces de l’ordre  ont  jeté des grenades lacrymogènes dans les concessions. Dès lors, les jeunes ont reçu des  renforts venant des mécontents vis-à-vis de l’attitude anti professionnel de la police. Au quartier Paris-Congo, la détermination des manifestants n’est pas à démontrer non plus. Un seul objectif : la dissolution du Conseil militaire de transition. “Non à la prise du pouvoir par les armes, non à la monarchisation du pouvoir”, scandent-ils. “Nous allons continuer à développer des stratégies de lutte. Puisqu’ils nous répriment violemment au lieu d’encadrer nos manifs, nous allons désormais riposter pareillement. Nous allons nous armer des cailloux et des bâtons pour nous défendre”, martèle un jeune homme, apparemment leader du groupe. “Je lance un appel vibrant à tous les jeunes du 6ème arrondissement d’être engagés en chassant la peur. Il faut se lever pour mourir ou mettre fin à cette façon de gouverner. Il y va de notre avenir que ce système de Déby a sacrifié qu’on veut poursuivre, même après sa mort par son fils interposé. Sortez les jeunes, n’ayez pas peur. Ça ne sert à rien de rester dedans et mourir à petit feu sans rien faire”, appelle-t-il ses congénères de l’arrondissement.

Pour accroître les rangs des manifestants dans le 7ème arrondissement, dans différents quartiers (Atrone, Ambata, Abéna, Boutalbagara etc.), des jeunes ont fait du porte à porte pour appeler à manifester. Vers 6 h du matin, c’est une foule immense des jeunes, parfois torse nu, morceaux de brique et drapeau du Tchad en main, chatant l’hymne nationale mêlé au slogan “trop c’est trop !”, qui a quitté le quartier Boutalbagara. La masse a foncé droit sur l’avenue Jacques Nadingar, en passant devant le lycée de Gassi où quelques élèves l’ont rejointe. Première cible en bordure de l’avenue : la station Total de Gassi. Le temps que le Gmip arrive, c’est une pluie de briquaillons qui  s’est abattue sur la station. “On voulait même la brûler. C’est un message fort lancé à la France. Nous ne voulons pas qu’elle soutienne le fils de Déby au pouvoir”, fulmine un manifestant. Il a fallu l’intervention d’un officier supérieur de l’armée dans son véhicule (V8) à la tête de plus dizaine pick-up bourrés de militaires, pour anéantir la détermination des manifestants.

Dans le 9ème arrondissement, la situation a très vite dégénéré. Les manifestations ont bloqués les deux ponts sur le fleuve Chari à l’aide de pneus brûlés. Sur les voies principales, des barrages sont érigés à chaque dix mètres, avec des pneus qui brûlent, des briques et de la ferraille. Les policiers, militaires, gendarmes et agents municipaux qui ont bravé les barrages ont fait face à une violente résistance. Les manifestants caillassent tout sur le chemin. La station Total de Walia a subi le même sort que celle de Gassi. Plusieurs banderoles ont affiché des messages hostiles à l’endroit de la France. Parmi elles, celles qui ont présenté la caricature d’un Macron avec des cornes. Des drapeaux français ont été brûlés. Des pancartes au contenu qui ouvrent des possibilités d’une nouvelle fenêtre diplomatique avec la Russie au détriment de la France ont été exhibées. Des vidéos, invectives à l’endroit de Macron, circulent sur les réseaux sociaux. “La France doit  choisir entre un clan ou un peuple. Ils ont assez profité de nos richesses  et ils créent des guerres pour tuer nos frères”, vocifère une jeune dame à Walia. Cette dernière a perdu son cousin suite à la lutte contre le terrorisme au Mali.

Comme une traînée de poudre, les manifestations ont atteint les provinces : les deux Logone, le Guéra, le Mandoul, le Moyen-Chari, …

L’une des causes de la grogne est le soutien de la France à la junte militaire au pouvoir. Le discours de réconfort prononcé aux obsèques du Maréchal en faveur des nouveaux hommes forts du pays a été la goutte de d’eau qui a débordé la vase.

 

La répression sauvage

La police qui ne s’attendait pas à une mobilisation de grande envergure pareille n’a pas fait dans la dentelle. Débordée, l’armée qui a intervenu n’a pas hésité à tirer à balles réelles sur les manifestants. Elle a pris en chasse les manifestants. Dans sa folle course, un pickup  plein de militaires s’est renversé sur l’axe menant à Nguéli. Frustré par l’accident et voyant ces compagnons d’armes couchés, un militaire a vidé son chargeur sur un groupe des manifestants cachés dans une concession. Mais le porte-parole de la police dit qu’aucun élément de la police n’a tiré sur la population. La présence des civils aux côtés des militaires qui tirent à balle réelle sur les manifestants a été dénoncée par les manifestants. Même après que le calme est revenu, les militaires ont continué à bastonner, à procéder aux arrestations. Ils ont fait du porte à porte dans les quartiers bouillants pour réprimer certaines personnes, parfois jusqu’à ôter leur vie le lendemain de la marche. Le bilan s’alourdit au quotidien alors que les prochaines manifestations sont déjà prévues.

L’indignation de la société

Suite à cette répression macabre des manifestations, des voix se sont élevées pour condamner le comportement de la junte militaire au pouvoir. Le coup d’envoi est donné par le président en exercice de l’Union africaine, Félix Tshisekedi et Emmanuel Macron. Ils condamnent fermement la répression des manifestants au Tchad et demandent la cessation de toute forme de violence. “Avant toute chose, nous voulons exprimer notre préoccupation sur l’évolution de la situation au Tchad. Nous appelons au respect des engagements qui ont été pris par le Cmt. Je veux être très clair. J’ai apporté mon soutien à l’intégrité  et à la stabilité du Tchad à N’Djaména parce que je suis pour une transition pacifique, démocratique et inclusive. Je ne suis pas pour un plan de succession et la France ne sera jamais aux côtés de celles et ceux qui forment ce projet. Le temps est venue de lancer un dialogue politique national ouvert à tous les tchadiens. C’est ce qui est attendu du Cmt et c’est la condition de notre soutien”, rétropédale le président français au perron de l’Elysée aux côtés de Félix Tshisekedi.

D’autres organisations tels le Fonac, le Fact, le Mct, l’Ambassade des Etat-unis au Tchad, Justice en Action, la coalition militaire, le bureau des Nations-unies pour les droits de l’homme, etc. ont condamné cette répression barbare et demandent une ouverture à un dialogue et un retour à l’ordre constitutionnel.

Fibre communautaire comme réponse

Deux jours après cette manifestation, jeudi 29 avril, une centaine de femmes convoyées par bus vers le siège des Transformateurs revendiquent l’arrestation du leader Succès Masra pour assassinat. “Nous femmes tchadiennes exigeons la traduction en justice du criminel Succès Masra”; “Demandons justice pour Halima Ahmadou”, “Les femmes tchadiennes soutiennent le Conseil militaire de transition” ; “Non à la violence, oui à la paix”. Tels sont des messages inscrits sur les banderoles. Les jeunes du quartier ont voulu répliquer mais la police a intervenu pour disperser les deux camps. Le président des Transformateurs a demandé à ses militants de ne pas répondre à cette provocation. “C’est la toute première marche encadrée sans problème par la police et un détachement de la Dgssie, parce que c’est contre nous. En tant que démocrates nous l’acceptons et demandons à nos militants de ne pas répondre à la provocation. Quand c’est nous qui marchons pacifiquement, on tue les marcheurs. Voilà les deux Tchad qu’ils veulent installer mais jamais nous ne l’accepterons jamais et tous ceux qui veulent continuer avec ce système vont finir par la petite porte”, analyse Masra Succès.

Ces femmes manifestantes devant le siège des Transformateurs ont été coptées à la volée par quelques caciques du régime Mps pour salir Succès Masra, apprend-on de sources bien informées. Ceux-là sont des nostalgique de 1979, qui  veulent exhumer la fibre identitaire et communautariste à des fins égoïstes.

Nadjindo Alex et Lanka Daba Armel