Des mineurs poussés à la mendicité

Nombreux sont les enfants de moins de 12 ou 14 ans à sillonner les lieux les plus fréquentés de N’Djaména pour quémander de l’argent. Et cela, malgré les lois qui les protègent.

Mairamou est le nom d’emprunt d’une fille mendiante. Agée d’environ 6 ans, la fillette parcourt les couloirs du grand marché de N’Djaména à la recherche des dons. Les personnes à qui elle fait pitié lui tendent des pièces de 50, 100 francs CFA. Mais Mairamou ne prend pas que de l’argent. Elle accepte également de l’eau, de la nourriture. Rencontrée à l’entrée nord du marché central, elle explique sa provenance. “Je viens du Niger. C’est ma mère qui me dit de venir demander de l’argent avec les gens. L’argent qu’on me donne nous permet de trouver à manger et de nous habiller. Ma mère vendait le piment au marché à mil, maintenant elle ne le fait plus parce qu’elle n’y gagne rien”.

Dans son train-train quotidien, Mairamou s’est faite trois amies, elles aussi venues du Niger. L’une d’elle indique que sa mère vend actuellement du piment au marché. L’autre confie qu’elle est orpheline de père et de mère. Sollicitées à nous conduire auprès leur mère, elles opposent un refus catégorique sous prétexte de subir des représailles de la part de leur génitrice. Un agent municipal confirme que ces filles ont des parents avec elles à N’Djaména. “Avant, elles venaient avec leurs mères au marché, mais ces derniers temps, elles arrivent toutes seules. Ce sont des filles très prudentes. Elles refusent toujours quand quelqu’un leur demande de rentrer avec lui. Et si la personne essaie de forcer, elles crient”, témoigne l’agent municipal.

Ces filles usent de différents subterfuges pour se faire assister. Dans le meilleur des cas, elles tendent la sébile à leur cible. Au cas contraire, elles forcent leur victime en la cramponnant au bras d’un air attristé pour l’obliger à mettre la main à la poche. “Quand je vois ces filles, je suis triste et je me sens obligé de leur donner les pièces d’argent que j’ai dans la poche”, dit un monsieur affecté par la situation peu enviable que vivent ces mineurs.

Mais le marché central de N’Djaména n’est pas le seul point d’opération de ces mineurs mendiants. Loin s’en faut. Ils opèrent partout ailleurs, notamment dans les marchés de Dembé, de Farcha, de Diguel et dans d’autres autres endroits comme les points de grillade de viande ou devant les restaurants qui bondent de monde.

Sur l’avenue Charles de Gaulle (quartier Bololo dans le 2ème arrondissement), un garçon d’environ 10 ans, choisit la devanture d’une grande banque comme son poste d’opération. Il y vient régulièrement glaner quelques jetons. Et des âmes généreuses qui passent par là pour demander services auprès des banques ou des compagnies de la téléphonie mobile, lui laissent souvent des jetons dans sa sébile. Comme les fillettes, le garçonnet ne parle pas un traitre mot français. A son âge, il n’a pas mis pied à l’école. Pour l’interroger, le recours à un traducteur en arabe local tchadien a été nécessaire. “Il y a deux ans, mon grand-frère est venu me laisser ici. Je dors là et en journée, je demande la nourriture et à manger aux gens pour calmer la faim” lâche-t-il rapidement avant de prendre congé de nos ennuyantes questions qui ne peuvent calmer son estomac.

Si certains mineurs sont poussés par leurs parents  à mendier, d’autres le font de leur propre initiative. C’est le cas d’un bout d’homme d’environ 8 ans qui a quitté le quartier Guinebor, pour faire son “business” à Bololo. Il confie qu’il vit chez un tuteur. Que celui-ci lui donne à manger, le loge et parfois lui achète des habits. Mais il n’est pas scolarisé. Et pour venir mendier ici, “je me cache pour sortir. Les personnes chez qui je vie m’ont interdit de mendier. L’argent que je collecte me permet d’acheter les habits et les chaussures. Je sors quatre fois par jour”, atteste-t-il.

D’autres enfants de son âge, ou légèrement plus âgés, mais tous des mineurs passent le clair de leur temps à sillonner les restaurants, les bars et autres dibiteries en quête de pitance. Là, ils s’ingénient à utiles. Par des morceaux de carton, ils protègent de la chaleur (et même s’il ne fait pas chaud), les selles des engins à deux roues et les pare-brises des véhicules de ceux qui fréquentent ces lieux. Cette manière subtile de quémander leur porte souvent fruit. Ils perçoivent auprès des propriétaires des engins des pièces de 50 ou 100 francs. Les plus gentils en donnent plus selon leur largesse. “Quand vous leur donnez du biscuit ou à manger, ils refusent. Ils veulent de l’argent ou rien”, avertit un automobiliste qui dit avoir à maintes fois croisé ces enfants dans ces endroits précités.

Lanka Daba Armel, stagiaire

Quid du droit de l’enfant ?

Si certains jeunes mendiants (enfants mouahadjirine) sont envoyés par leurs marabouts pour accomplir leur devoir, d’autres sont poussés par leurs parents. Bien que ce travail, peu honorable permette à ces parents et à leurs enfants  de vivoter, il faut rappeler que c’est une atteinte aux droits fondamentaux de ces derniers. L’article 314, alinéa 4 du code de protection de l’enfant interdit, “les travaux qui, par leur nature ou les conditions dans lesquelles s’exercent, sont susceptibles de nuire à la santé, à la sécurité de l’enfant”. En plus, ces enfants, bien qu’en âge scolaire ne sont pas inscrits à l’école. Or, l’instruction ou l’éducation sont fondamentales pour l’avenir des enfants. Du moins, c’est ce que dit l’article 28 de la Convention relative aux droits de l’enfant: “Chaque enfant à droit à une éducation. L’école primaire doit être gratuite. Chaque enfant doit avoir accès à l’éducation secondaire et à l’éducation supérieure. Les enfants doivent être encouragés à atteindre le niveau le plus élevé possible (…)”. L’article 29 de cette même convention stipule que “l’éducation des enfants doit les aider à développer pleinement leur personnalité, leurs talents et leurs capacités. Elle doit leur enseigner à comprendre leurs droits et à respecter les droits et la culture des autres, ainsi que leurs différences. Elle doit les aider à vivre en paix et à protéger l’environnement”. Et la loi n° 001/PR/2017 portant code pénal stipule, en son article 369, qu’“est puni d’une amende de 50 000 à 500 000 francs, le parent qui refuse de faire inscrire son enfant à l’école”.

A la lecture de ces articles, l’on imagine aisément l’ampleur et le dommage causés à ces enfants qui errent dans la rue. Leur avenir est compromis, parce qu’ils ont moins de chance de réussir comme les camarades de leur âge qui sont scolarisés. Le Tchad y perd grandement, alors qu’il a voté et ratifié des lois et conventions sur le droit de l’enfant. Récemment, le 30 novembre dernier, le Tchad à l’instar des autres pays du monde a célébré les 30 ans de la Convention relative aux droits de l’enfant.   LDA.