“Le pauvre a tort”. Cet adage populaire trouve parfaite application dans ce harassant conflit foncier qui oppose Déyé Yaya Doudou, héritier d’un terrain sis au quartier Rogué résidentiel dans le 2ème arrondissement municipal de la ville de N’Djaména, à Djiddo Hassan Basta, occupant dudit terrain.
20 ans après le verdict du tribunal de première instance (Tpi) de N’Djaména (Répertoire n° 361/03 du 10 juillet 2003), le déclarant propriétaire légitime dudit terrain, Déyé Yaya Doudou peine à obtenir l’exécution de cette décision de justice, qui aurait dû être automatique. En toute vraisemblance, la loi de la force l’emporte sur la force de la loi. En effet, au terme d’un procès en reprise du terrain querellé, engagé par le propriétaire initial et géniteur de Déyé, feu Yaya Doudou contre l’état tchadien en 2003, droit lui a été fait sans hésitation. Attributaire légal, Yaya Doudou qui se serait mis en retrait de la ville pour motifs de santé, retrouve son domaine anarchiquement occupé à son retour de convalescences, et engage immédiatement une procédure de lotissement auprès des services compétents de l’état. Laquelle procédure, débouche sur l’arrêté n°4734/MFE/DG/4731/DEDCF-99, portant cession de gré à gré d’un terrain de 432 m2, section 3, îlot 9, lot 17, sis au quartier Rogué résidentiel à son profit. La réattribution est, en toute logique, assortie d’une sommation ferme de valoriser lesdits terrains dans le délai réglementaire de 3 ans, conformément à la loi n°23 de 1966, portant statut des biens domaniaux, sous peine de perte totale de ses droits sur ledit domaine. Entretemps, l’occupant (Djiddo) investissait à fond sur lesdits terrains. Sur prompte saisine du président du Tpi d’une requête en référé, introduite par Yaya Doudou, une ordonnance n°418/2004 du 15 juillet 2004, prise au pied de cette requête ordonne cumulativement la suspension des travaux et l’expulsion de l’occupant (Djiddo Hassan Basta) des terrains. Cette ordonnance a été dûment signifiée à l’occupant par exploit d’huissier, notamment par Maître Abaye Khauswhé Men-waa, en date du 30 octobre 2003, à 13 h 45 mn très précises. Surprise ! Ce n’est qu’à ce moment que Djiddo brandit un arrêt de la Cour d’appel de N’Djaména, infirmant la décision du Tpi, rendue en instance en faveur de Déyé Yaya Doudou, le déboutant ainsi à son profit sous prétexte de non valorisation dudit terrain et de non-paiement des frais y relatifs.
Alors que, l’ordonnance de référé prise à l’examen de la sentence du Tpi, qui n’avait en son temps souffert d’aucune contestation de la partie défenderesse (l’état), intégrait bien le certificat de non appel et de non opposition (n°367/EMKM/HJCP/03 du 30 octobre 2003), régulièrement dressé par le greffier en chef du Tpi de N’Djaména, et signifié avec diligence à l’intéressé avant d’être versé dans le dossier par la partie demanderesse (Yaya Doudou). Sûr de ses muscles, Djiddo Hassan Basta résiste. Face à cette rébellion tenace de l’occupant, opérée à l’aide d’acrobaties judiciaires de haut niveau, le pauvre Déyé Yaya Doudou persiste et signe. Le 6 février 2004, il obtient du procureur de la république près le Tpi de N’Djaména, une réquisition aux fins d’expulsion (n°147/PR/NDJ/04) contre le même occupant, devenu désormais impassible. Car, la mise à exécution de ladite réquisition entamée à travers une sommation de quitter les lieux, établie aux soins de Maître Néatobei Bidi Valentin, huissier de justice patenté et servie en date du 2 janvier 2004 à dame Khadidja Arabi, sera sans effet. Epuisé, Déyé Yaya Doudou n’aura pas d’autre choix que de changer de fusil d’épaules. En légaliste, il adresse, en son temps, une salve de missives à toutes les trois têtes du pouvoir public, à savoir la Primature, l’Assemblée nationale (An), la Médiature nationale, indépendamment des organisations nationales de défense des droits de l’homme et autres grandes institutions de la République. En vain. Pourtant, chacune de ses correspondances reçoit, soit directement, la réaffirmation de ses droits de propriété sur les terrains, soit la pressante demande d’exécution pure et simple de la décision de justice, rendue en première instance et en sa faveur, au travers de fiches techniques remontées à qui de droit, excepté une récente requête adressée au ministre de la Justice, chargé des droits humains, Mahamat Ahmad Alhabo, lui demandant d’explications relatives aux difficultés d’exécution de la décision en question, dont la réponse conforte, sans surprise, l’occupant Djiddo Hassan Basta dans ses droits de la force. “Faisant suite à votre correspondance en date du 19 mai 2021, par laquelle vous avez sollicité du ministre de Justice, chargé des droits humains, l’exécution du jugement n°361/03 du 10 juillet 2003 au tribunal de Céans, le ministre nous a instruits de vous informer que votre terrain a fait l’objet d’un retour au domaine privé de l’état, aux motifs qu’il n’a pas été mis en valeur et en plus, les frais y afférents n’ont pas été payés”, répond l’inspecteur général des affaires judiciaires et pénitentiaires par intérim, Mahamat Abdéramane à qui ladite correspondance a été transmise pour orientations. Enfin, l’inspecteur intérimaire conseille de porter plainte contre l’état. “Par contre, si vous estimez que vous êtes dans vos droits, il vous appartient de porter plainte contre l’état, si vous vous sentez lésé”, oriente-t-il.
Or, à l’analyse chronologique des faits (un premier constat d’occupation du terrain, démarches administratives ayant débouché sur l’arrêté de réattribution, un deuxième constat d’occupation du terrain ayant provoqué le procès, la décision de justice y relative, couronnée d’actes d’huissier (significations), un troisième constat de la persistance dans l’occupation anarchique ayant conduit à la réquisition aux fins d’expulsion du procureur de la République, occasionnant une seconde série d’actes d’huissier (notifications et sommation de quitter les lieux, etc.), la réponse de la chancellerie pose question. A quel moment précis, peut-on, raisonnablement apprécier le retour dudit terrain dans le domaine privé de l’état ? Et par quel acte l’état attribue-t-il le même terrain à Djiddo Hassan Basta ? Sinon, pourquoi l’état perdrait-il le procès contre Yaya Doudou, alors qu’il était encore censé en être propriétaire au moment des faits ? Toutes ces interrogations prouvent qu’il existe bien au Tchad, des individus plus forts que l’état, et donc au-dessus des lois et textes de la République. En l’espèce, il faut affirmer sans conteste, que le plus fort est bel et bien un individu, Djiddo Hassan Basta qui, jusqu’à preuve du contraire, continue d’occuper un domaine, sans aucun document légal, au détriment du propriétaire légitime. Chose qui conforte la thèse de l’existence, dans notre pays, d’une catégorie de personnes dites intouchables, vis-à-vis de la loi. Si l’occupant a en sa possession, quelque document que ce soit, il est certainement un faux comme en témoignent beaucoup de cas similaires dans nos tribunaux. D’où, la difficulté pour lui, de le produire, et au tribunal, et lors des diligences de tous les actes de procédure à lui dûment servis par des officiers ministériels assermentés (huissiers de justice), qui défilent à ses portes. Il est bien dommage que dans un état de droit, un citoyen (l’occupant) ne s’oblige à affronter la justice en confrontant les éléments de preuve de la partie adverse par ses propres éléments de preuve, s’il en existe un, comme le prétendent d’ailleurs ces magistrats de la Cour d’appel, qui ont infirmé le jugement en première instance et surtout, à l’insu de son contradicteur. En tout état de cause, la victime de la justice des plus forts poursuit sa quête légitime de justice. Tel un épistolier, Déyé Yaya Doudou se saisit à nouveau de sa plume et écrit aux autorités de transition en place, en l’occurrence, le Premier ministre, le 31 octobre 2022. “Un ultime recours”, lâche-t-il, entre deux soupirs.
Thomas Reoukoubou