Au Tchad, beaucoup d’enfants n’ont pas accès à l’école alors que la scolarisation est obligatoire. Le taux de scolarisation des enfants dans l’enseignement primaire est 45% pour les garçons et 37% pour les filles. Le taux brut de scolarisation au niveau de l’enseignement secondaire est de 19%, mais seule 17,8% inscrit en seconde arrive en fin de cycle. Le taux d’achèvement du secondaire et la qualité de l’éducation restent préoccupants avec un écart entre les sexes.
Sur le plan sanitaire, la situation est préoccupante au regard de l’évolution des principaux indicateurs de santé et de mortalité. Le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans était de 191 pour mille naissances vivantes en 2009. Le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans demeure élevé: un enfant sur huit meure avant d’atteindre l’âge de 5 ans. A cela s’ajoute la crise économique avec ses incidences sociales, qui ont contribué à l’augmentation du taux de la malnutrition. 40% des enfants accusent un retard de croissance et souffrent de malnutrition chronique. Le paludisme est aussi responsable des décès des enfants.
Les enfants sont toujours victimes de différentes sortes de violences, physiques, verbales et psychologiques, qui affectent leur survie et leur développement. Le mariage précoce et les mutilations génitales féminines sont encore courantset ne sont pas totalement éradiqués. 70% des filles de moins de 18 sont mariés avant l’âge de 18 ans. Le nombre d’enfants de la rue ne cesse de croître. Il suffit de faire un tour dans les rues des grandes villes pour s’en apercevoir. La précarité socioéconomique des familles accentue le travail des enfants. La traite des enfants est pratique et courante. Les enfants sont recrutés dans des villages pour travailler dans des conditions de véritable exploitation. Les filles continuent d’être discriminées en raison de leur sexe.
Les droits de l’enfant ne sont pas encore bien perçus et compris par une population majoritairement analphabète. Les pesanteurs sociales culturelles empêchent que la situation des enfants maltraités soit signalée. La crise économique et sociale qui gangrène notre pays dégrade davantage les conditions de vie, déjà précaires et rendent quasiment impossible la jouissance effective par les enfants de leurs droits. Comment un enfant peut-il s’épanouir et se développer dans une famille en proie à la pauvreté?
Des lois non appliquées, mal ou partiellement appliquées peuvent faire plus de mal que de bien aux enfants. Pour une mise en œuvre effective des lois, il faut des moyens car aucune loi ne peut pas être meilleure que son application et son application ne peut pas être meilleure que ce que les ressources autorisent.
Il est nécessaire et souhaitable que le Tchad prenne son engagement de créer, de faire appliquer et de mettre en œuvre des cadres juridiques rigoureux conformes aux normes juridiques, aux politiques et aux programmes internationaux. Il ne suffit pas seulement d’adopter des cadres juridiques adéquats destinés à la protection mais également les mettre en application et les respecter.
La société évolue et cette évolution doit se composer avec la nouvelle donne, qui impose un changement d’attitude, de mentalité et de regard envers les enfants. Le cadre juridique foisonnant dont regorge le Tchad relatif à la protection de l’enfant, n’est pas synonyme de protection effective. Il y a eu des avancées certes mais les défis sont grands. La politique en matière de la protection de l’enfant n’est pas à la hauteur des enjeux actuels.
Renforcer l’arsenal juridique
Si le Tchad veut traduire davantage sa volonté de s’investir dans la protection de l’enfant, il faudrait que le code des personnes et de la famille et le code de protection de l’enfant soient adoptés. La famille est la cellule de base, le milieu le plus naturel et le plus favorable au développement de l’enfant. L’article 5 de la convention jette les bases de l’interprétation des droits de l’enfant en tant que membre d’une famille. C’est dans la famille que l’enfant peut apprendre les valeurs lui permettant de construire sa vie. C’est pourquoi la famille tchadienne doit être organisée et cette organisation doit être matérialisée par un code. La société évolue et la famille tchadienne actuelle n’est pas celle de 1958. Le code civil français appliqué au peuple tchadien, ne reflète plus la réalité sociale du pays. Le Tchad ne peut pas se targuer d’être un pays protecteur des droits des enfants, alors qu’il ne dispose ni d’un code des personnes et de la famille ni d’un code de protection de l’enfance. Il manque une réelle volonté politique pour l’adoption de ces textes. Si le gouvernement tchadien veut offrir un cadre de vie normal aux enfants tchadiens, ce sera en adoptant le code de protection de l’enfant et en garantissant son application.
La Cide est un instrument contraignant qui doit guider le droit national. Elle n’est pas une simple liste déclarative des droits reconnus aux enfants.
Comme le souligne un auteur (Dekeuwer-Defossez), “l’effectivité des droits de l’enfant garantie par la Cide n’est pas seulement une question de traduction normative. L’enjeu est surtout de savoir si dans la pratique quotidienne, cette nouvelle logique sera ou non mise en œuvre”. C’est dire que le respect des droits de l’enfant ne doit pas être perçu comme une question de faveur ou une expression de charité. Les droits de l’enfant génèrent des obligations et des responsabilités qui doivent être honorées. La jouissance d’un droit a des implications pratiques: création des conditions dans lesquelles les enfants peuvent jouir effectivement de leurs droits. La reconnaissance d’un droit implique aussi que soit reconnue la capacité croissante des enfants dans l’exercice de leurs droits et la possibilité pour eux de formuler les revendications valables pour leur observation et leur respect.
Pour une protection efficace et effective des droits de l’enfant au Tchad, les actions doivent être menées ou orientées vers la prévention, en mettant en place une stratégie de signalement et de repérage des enfants en danger. Bien que les parents soient les premiers responsables de la protection de leur enfant, ils doivent être soutenus dans cette responsabilité par l’État. Le Ministère en charge de l’action sociale doit apporter un soutien aux familles particulièrement vulnérables. La protection de l’enfant doit être pluridisciplinaire et multisectorielle car une protection efficace implique la collaboration d’un grand nombre d’organes formels et informels, gouvernement, bailleurs de fonds, société civile, etc. Son succès dépend également d’un partenariat étroit avec les enfants. Le gouvernement tchadien devrait se doter d’un document d’orientation: la politique nationale de protection de l’enfant en vue de renforcer, de structurer le cadre politique et stratégique dans ce domaine. Le dispositif législatif et institutionnel devrait être renforcé pour être conforme à la Cide. Si on considère que l’enfant est l’avenir, l’État, la famille, la société civile, comme acteurs de protection de l’enfance, doivent tous conjuguer leurs efforts et tout mettre en œuvre pour qu’il soit un citoyen responsable dans le futur.
Mme Nobo née Goulé Koudji,
Docteur en Droit, Enseignante à l’Université de Sarh