Peut-on parler de la renaissance des Sao football?

Un pas qu’aucun observateur averti du football tchadien ne peut se hasarder de franchir. Pourtant, le sujet était inscrit au sommaire d’une émission sportive de télévision française (Canal Plus Sport) intitulé “Talents d’Afrique”. Celle-ci fut diffusée le lundi 21 octobre 2019, avec comme premier invité Emmanuel Trégoat, entraîneur “expressément rappelé” de l’équipe nationale de football les Sao.

Talents d’Afrique est un magazine qui fait le point des résultats des matchs, des analyses et commentaires relatifs aux compétitions de la CAF et FIFA, mais aussi la promotion des footballeurs africains évoluant un peu partout dans le monde et en France. Ce qui justifia sans doute, ce coup de projecteur sur le Tchad et sur les Sao qui semblent renaître, certainement grâce au “génie” d’Emmanuel Trégoat qui affirme avec une certaine fierté, qu’il est sollicité par le ministre des Sports, sur instruction du président de la République. Une affirmation osée qui doit être bien appréciée par le secrétariat de la présidence et sa direction de la communication. Même si c’est bien le cas, il est surprenant que le président de la République qui dispose d’un conseil avisé dans son entourage, notamment, le conseiller chargé des sports, et d’autres atouts via les représentations diplomatiques au Tchad, des grandes nations de football comme la France, l’Allemagne, la Russie, etc., eut recours à une solution de circonstance. A moins que ce soit déjà le début de l’annonce faite publiquement, lors de la pose de la première pierre du prochain stade omnisport, “de prendre le taureau par les cornes”.

Toutefois, au-delà de la manière peu orthodoxe utilisée, il est bien frustrant pour la Fédération tchadienne de football association (FTFA), d’apprendre sur une chaîne étrangère, que M. Emmanuel Trégoat a été sollicité directement par les plus hautes autorités du pays, pour prendre en main l’encadrement technique des Sao en vue des préliminaires et des qualifications pour la phase des éliminatoires du mondial 2020 au Qatar, et de la CAN 2021 au Cameroun.

Avec 50% de réussite, on peut dire que l’objectif est partiellement atteint. Les Sao ont franchi l’étape des préliminaires de la CAN 2021 en éliminant le Liberia et en se qualifiant pour la phase des éliminatoires. Ils intègrent ainsi le groupe A, composé de la Guinée, du Mali et de la Namibie. Une qualification qui a mis de la joie dans le cœur de tous les tchadiens et susciter à juste titre l’espoir de décrocher, peut-être, un ticket pour la phase finale au Cameroun.

Ce retour en groupe qui fait oublier l’élimination malheureuse des préliminaires de la coupe du monde 2020 par le Soudan, n’est pas une première. En effet, pour ceux qui se souviennent encore, les Sao avaient déjà bien commencé la phase des éliminatoires de la CAN 2017 dans le groupe G, en compagnie de l’Egypte, du Nigeria et de la Tanzanie. C’est en déclarant forfait au match retour contre la Tanzanie qu’ils furent éliminés et suspendus des compétitions par la CAF en 2016.

Cette qualification pour la phase de groupe marque-t-elle pour autant la renaissance des Sao, comme l’écrivent M. Emmanuel Trégoat et ses amis de Canal + ? Rien ne l’indique. Mais ce qui est vrai, c’est que l’histoire du football tchadien retiendra que, c’est cet entraîneur français qui fut l’artisan du 1er trophée régional de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cémac), obtenu en 2014 sous la présidence du président Déby. Ce qui marqua l’entrée du Tchad dans le palmarès de la coupe tant convoitée.

 

Des difficultés handicapantes

Mais, vu déjà l’entame difficile dans la phase des préliminaires, il serait prétentieux de se prévaloir de la renaissance des Sao.  Il aurait mieux valu parler d’un exploit, quand on sait que l’équipe sort d’une suspension de trois ans, marquée par la peine de la FTFA à organiser un championnat national, véritable baromètre d’évaluation du niveau de jeu et un terrain approprié pour la détection de talents. Et même si renaissance il y a, elle ne peut être observée que sur l’ensemble du football tchadien et non uniquement sur les résultats des 4 matchs de ces préliminaires.

Mais le constat est là: pas de championnat national de référence comme il en existe ailleurs, tant aux niveaux des seniors, des jeunes que des féminines; pas d’équipes de jeunes (17, 20, 23 ans) engagées dans les compétitions internationales; pas de clubs qualifiés dans les phases éliminatoires des coupes de la CAF, le dernier représentant (Elec Sport) fut sévèrement éliminé par le club malien (Djoliba).

Toutes ces difficultés constituent un handicap majeur pour une progression vers le haut niveau. Et cette renaissance annoncée des Sao n’est, en réalité, qu’un soutien médiatique apporté à M. Emmanuel Trégoat qui en a le plus besoin, surtout que cette qualification lui offre un sursis qui prolonge son contrat jusqu’à la fin, tout au moins, de cette phase des éliminatoires.

Maintenant qu’il est acquis que l’aventure pourrait se poursuivre jusqu’en novembre 2020 et au-delà, il revient au ministre des Sports, signataire et garant du contrat établi avec le coach français, de tirer les leçons de ces deux matchs qui hypothèquent désormais dangereusement la suite du parcours des Sao. Car, si l’on veut faire bonne figure pour la suite de la compétition qui commencera au mois d’août 2020 par un déplacement périlleux en Guinée, il faut non seulement se contenter du suivi via internet, des joueurs évoluant à l’étranger, mais porter aussi une attention particulière sur ceux restés au pays et à leur préparation spécifique.

La FTFA et l’entraineur français doivent arrêter de se voir en chien de faïence et dépasser leurs différents, objet du livre “victoires et turbulences”, pour œuvrer ensemble: à l’organisation d’un véritable championnat national; au renforcement des capacités des entraineurs locaux; à l’amélioration du fonctionnement de l’académie de Milézi; à  la restructuration du cadre d’accueil des équipes des jeunes, etc.

Dans cette perspective, il serait urgent que la Direction technique nationale (DTN) et M. Emmanuel Trégoat, puissent réfléchir à la stratégie et au style de jeu qui constituera la marque des Sao. Car si le fait de s’appuyer sur la majorité des joueurs évoluant à l’étranger s’est avéré payant jusque-là, il n’en demeure pas moins que cela comporte des risques pour la cohésion de l’équipe dont le niveau disparate des joueurs rend difficile toute harmonie. De plus, en dehors de quelques-uns évoluant à un haut niveau, comme Ninga (Anger, 1ère division française), d’autres ne sont guère mieux que ceux qui jouent au pays, à l’exemple de Bakhit du club Foulah Edifice de N’Djaména.

Emmanuel Trégoat et son staff technique doivent se pencher sérieusement sur ce qui leur reste à faire durant les mois à venir. La détection d’autres talents locaux qui rentreraient dans le système de jeu retenu ne peut se faire que sur place. Ce qui nécessite une franche et étroite collaboration avec la DTN, qui a un regard sur toutes les compétitions qui se déroulent un peu partout dans le pays.

 

Des incantations insuffisantes

Par ailleurs, en recevant les Sao à la veille du match contre le Mali,  le président Déby les a félicités pour leur performance d’avoir franchi l’étape des préliminaires de la CAN 2021 en éliminant le Liberia. Il a exprimé sa satisfaction en indiquant que “un espoir est né”,  tout en se réjouissant que “aujourd’hui est un grand jour, c’est la première fois que nous nous approchons du but”. Et, pour réveiller leurs fibres patriotiques, il leur dit vertement que: “vous n’avez pas droit à l’erreur, vous n’allez pas décevoir le peuple, vous n’allez pas décevoir la jeunesse tchadienne. Victoire!”.

Malheureusement, toutes ces incantations n’ont pas suffi à galvaniser, ni à motiver davantage les joueurs pour produire le miracle attendu. Celui de battre le Mali, un adversaire dont on s’est gardé de porter à la connaissance du  président, le rang au classement FIFA et la place dans le gotha du football africain. Elles n’ont pas  confirmé non plus les prétentions du président: “le tchadien est fait naturellement pour gagner”. Il faut maintenant se rendre à l’évidence, qu’il ne s’agit pas que d’une question de soutien, ni d’encouragement et moins encore de moyens et primes de dernières minutes. Le problème est plus profond qu’il n’y parait. Il va falloir se pencher dessus sérieusement afin de le traiter. On ne le dira jamais assez, le football, comme tout le sport tchadien, est malade et ce n’est pas le “pompier” Emmanuel Trégoat qui, seul, lui  donnera ses lettres de noblesse d’antan. Il ne s’agit pas non plus de personne ou de considération quelconque (même si cela peut être parfois le cas), ni de rechercher un emploi ou un poste (si tenté que certains peuvent le penser). Il est plus question du Tchad qu’on aime tous et qu’on a tendance parfois à oublier. De son sport et particulièrement de son football dont la situation se dégrade de jour en jour. A tort ou à raison, les acteurs, à travers l’association “sauvons le football tchadien”, ont souvent tiré la sonnette d’alarme, restée jusque-là sans réaction.

Face donc à une situation de déliquescence qu’aucune autre autorité en charge du sport n’a été en capacité d’arrêter, il ne reste qu’une seule solution. C’est celle d’envoyer directement la balle dans les pieds du président Déby, régulièrement cité comme le 1er sportif tchadien. Car, espérer voir flotter le drapeau tricolore et entendre retentir la Tchadienne sur les stades d’Afrique et du monde, comme il le souhaite, ne peut se faire à coup d’annonces, de promesses ou de discours. La jeunesse, objet de toute l’attention, attend du concret. Et le concret en sport, ce sont les résultats obtenus dans les compétitions de référence: jeux africains, jeux de la francophonie, jeux olympiques, coupes d’Afrique, coupe du monde. Ceux-ci se traduisent par: des performances, des trophées, des médailles, des records, etc. De tout cela, le sport tchadien est, de nos jours, de plus en plus éloigné.

BANGALI DAOUDA Boukar

Bureau d’Etude et Conseils en Sport

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