Il était une fois au “pas laid” de la justice

Jeudi, le 17 septembre 2020, une autre date sombre à inscrire dans les annales de la justice tchadienne; date à laquelle des individus lourdement armés ont fait irruption dans une salle d’audience, passé à tabac des magistrats et prévenus avant d’extirper du box leur proche mis en cause dans une affaire de meurtre, sous l’œil impuissant de tout le monde.

C’est une histoire incroyable, mais vraie. Ça s’est passé en temps réel, en plein jour, dans une salle d’audience du Palais de justice de N’Djaména.

En cette matinée du 17 septembre, le tribunal devrait rendre son jugement dans une affaire rocambolesque qui continue de défrayer la chronique. Il s’agit de l’affaire dite “champ de fils”, dans laquelle un colonel de l’armée nationale, Abdoulaye Ahmat Haroun, est reconnu coupable des infractions de coups et blessures volontaires mortels.

Vidant son délibéré, le tribunal à condamné ce dernier à 5 ans de prison ferme.

Aussitôt le jugement rendu, le condamné a traité les magistrats d’esclaves et bâtards. Ses proches lourdement armés lui ont emboité le pas, mais ceux-ci n’ont pas fait dans la dentelle.  Ils se sont mis à narguer les magistrats dans la salle d’audience et ont bien bastonné les autres prévenus avant d’extirper du box des accusés le colonel. Le tout  dans un concert des youyous et des tirs à balles réelles. Comme pour justifier l’exécution d’un plan bien mûri, d’autres individus armés qui attendaient dehors dans les véhicules ont relayé le bal des kalachnikovs.

Sauve-qui-peut

Ça courait dans tous les sens au sein et dans les alentours du Palais de  justice. “Celui qui manque de sandales en cuir et masques de bonne qualité pouvait bien en profiter s’il était là. Les gens ont abandonné leurs chaussures sans considération de la valeur. Il y avait ni magistrat ni gendarme. Chacun voulait se mettre à l’abri des balles perdues”, raconte un boutiquier qui a vécu la scène, installé à l’entrée du Palais de justice.

Celui-ci d’ajouter que son magasin a même servi de refuge pour les plus rapides qui ont pu entrer avant qu’il ne réussisse à fermer la porte. Telle l’arche de Noé !

Entretemps, le condamné et “ses défenseurs” ont quitté les lieux après leur forfait pour n’être rattrapés que plus tard et remis à nouveau à la justice.

C’est 24 heures après, le 18 septembre, que les magistrats membres du Syndicat de magistrats du Tchad (Smt) sont revenus sur les lieux pour exprimer leur colère lors d’une Assemblée générale qui a débouché sur un mot d’ordre de grève. A compter de ce lundi 21 septembre, et ce jusqu’au 28, soit une semaine, les activités judiciaires sont suspendues dans toutes les juridictions du pays. Djonga Arafi, secrétaire général du Smt et ses collègues ont pu retrouver leur langue pour qualifier ce qui s’est passé.

“Nous déplorons et condamnons ces agissements qui sonnent le glas de la déliquescence de l’Etat. Face à ces discrédits nous avons décidé d’un arrêt de travail sur l’ensemble du territoire, pour protester contre cet état de fait et pour exiger le renforcement de l’équipe sécuritaire et sa dotation en armes et munitions. Nous avons également, lors de cette Ag, déploré la défaillance de l’autorité de tutelle et son manque d’apport pour le redressement de l’appareil judiciaire”, résume Djonga Arafi.

Le renforcement de la sécurité et la poursuite des auteurs de cet acte de rébellion, c’est aussi la revendication du Syndicat autonome des  magistrats du Tchad (Syamat), qui rappelle le caractère inviolable de l’indépendance de la justice consacrée par les textes fondateurs de la République.

 La colère

Au sein de l’Union des syndicats du Tchad (Ust), l’on se demande  comment une telle opération puisse être préparée et exécutée sans que de nombreux agents de renseignement et de sécurité ne soient informés.

Dans cette avalanche de réactions et d’indignations, l’Ordre des avocats du Tchad a mené la danse. Quelques heures seulement après les faits, son bâtonnier, Me Mbaïngangnon Athanase, a dirigé une réunion d’urgence qui a décidé de la suspension de toutes les activités des avocats devant les juridictions du pays, et menace d’envisager d’autres actions si nécessaire.

Du côté de la Convention tchadienne de défense des droits de l’homme (Ctddh), l’on se dit scandalisé par ce spectacle offert au tribunal de grande instance de N’Djaména par la famille du colonel Abdoulaye Ahmat. “Cet acte traduit une absence totale d’autorité de l’Etat et l’enterrement définitif de ce que représente notre justice déjà en lambeau. Une fois de plus, la preuve est faite qu’au Tchad, il existe des citoyens intouchables et une majorité d’autres citoyens de seconde zone”, déplorent les responsables de la Ctdh.

Alladoum Leh-Ngarhoulem G.