La difficile lutte contre les fistules au Tchad

En dépit de l’existence d’un programme national et d’un centre de traitement contre les fistules, la lutte contre le mal n’est pas aisée faute de moyens tant financier, matériel et humain conséquents. Ce qui rend plus difficile la vie des femmes vivants avec la fistule, en majorité très jeunes.

Un matin de juillet 2023. Voile jaune sur son visage, triste, Sadié Abdoulaye, âgée environ de 17 ans est assise parmi ses camarades sous l’ombre des neems au Centre national de traitement de fistules. Tout comme les autres, Sadié Abdoulaye piaffe d’impatience de connaître la date de son opération qui, pour elle, est synonyme de libération. De toutes les stigmatisations, injures, calomnies et rejets au quotidien de certains proches du fait de sa maladie. “Je ne suis pas née pas avec l’incontinence urinaire. C’est une maladie qui est arrivée après la douloureuse épreuve d’accouchement que j’ai traversée. Mais tout le monde ne cesse de me répéter que je sens, je sens… Ce n’est pas de ma volonté”, se plaint-elle. “Certaines personnes crachent au sol à notre passage”, complète sa camarade Banata, 16 ans, qui a été abandonnée par son mari après avoir été victime de cette “insupportable” maladie. “Mes frères refusent de manger le repas que je prépare à la maison. J’ai même honte d’aller dans les cérémonies à cause de la réaction des gens”, assène Mandé. R. qui se pose des questions sur le comportement de ses frères. “Est-ce un crime de vivre avec cette maladie, pourquoi cela m’arrive-t-il ? Ils ne veulent pas de moi depuis que l’urine vient sans ma volonté. C’est seule ma mère qui me supporte avec de quoi me prendre en charge. Je suis arrivée ici au centre grâce à ma mère”, se remémore-t-elle tout en révélant qu’il lui est arrivé de penser par moment au suicide car “la fistule gynéco obstétricale est la pire des choses à imaginer dans la vie d’une femme”.

Ces quelques témoignages glaçants traduisent l’expression d’un drame vécu par ces jeunes femmes et de nombreuses autres dans le silence parce qu’elles ont donné naissance qui, normalement ne devrait pas conduire à ce mal qui peut pourtant être guéri. “Ces jeunes femmes dont la majorité est juvénile, méritent d’être assistées et suivies lorsque ce mal se produit pendant l’accouchement sinon le pire pouvait se produire face aux rejets et autre regard de la société auxquels elles sont exposées. Il n’est pas normal qu’elles soient laissées seules, certaines sont devenues la risée de la société”, déplore Ngariti Josias, conseiller national en appui psychosocial. “En principe, dans les stratégies de lutte contre les fistules, des programmes et projets communautaires doivent être développés en amont pour prévenir le mal et en aval pour un accompagnement conséquent des victimes qui sont pour une frange très importante de jeunes filles”, propose la sociologue Dénéram Odile.

Si Sadié et ses camarades sont en instance d’opération, qui est synonyme de libération de ces clichés négatifs, railleries, rejets et stigmatisations, de nombreuses autres jeunes femmes qui ignorent l’existence d’une structure de prise en charge, continuent de vivre le mal dans le silence et dans l’indifférence la plus totale. De nombreuses personnes, dont le personnel de santé et de l’action sociale estime que si le mal perdure, c’est la faute à un manque de sensibilisation des communautés, mais aussi à la non application de la Loi 006 qui proscrit le mariage des mineurs. “On ne peut pas continuer à marier des jeunes filles immatures sans conséquences. Les gens doivent prendre conscience sinon le mal ne reculera pas”, s’emporte un infirmier du Centre national de traitement de fistules. Certaines mauvaises langues disent que la non adoption du Code des personnes et de la famille par le législateur contribue à pérenniser le mal. Des discussions doivent être menées et un plaidoyer de haut niveau doit être fait pour que les parties prenantes mettent l’eau dans leur vin en vue de l’adoption de ce code qui aiderait à régler beaucoup de problèmes de société dont les fistules gynéco obstétricales.

 

Beaucoup ignore ce qu’est la fistule

Même si la fistule n’est pas une pathologie récente, beaucoup de personnes l’ignorent. Selon Dr Aché Haroun Seid, directrice du Centre national de traitement des fistules gynéco obstétriques, “la fistule est une communication anormale qui est situé au niveau de l’appareil génital féminin qui survient après un accouchement dystocique, difficile et si cette communication se situe entre l’appareil génital et l’appareil urinaire, ce sont les urines qui ne peuvent pas être contrôlés par la femme. Par contre, si cette communication est située entre l’appareil digestif et l’appareil génital, ce sont les matières fécales qui ne peuvent pas être contenues. Ces deux formes de communication que la femme ne peut pas contrôler provoquent la stigmatisation de par la mauvaise odeur qui s’y dégage”. Au Tchad comme ailleurs dans le monde, “ce sont les femmes jeunes entre 14 et 35 ans, qui sont en activité sexuelle, celles qui contractent une grossesse et qui accouchent. Mais les plus touchées sont celles qui ont entre 18 et 25 ans”, informe Dr Aché.

Autant, une frange importante de la population ignore ce qu’est la fistule, autant elle ignore un service de prise en charge des cas de fistules. “Il a fallu faire beaucoup de sensibilisations, de témoignages et l’appui des médias pour que les gens fréquentent le Centre national de traitement des fistules. Mais il reste encore beaucoup à faire pour que la population s’habitue à venir régulièrement au centre, pour atteindre les populations éloignées et d’accès difficile’’, confie Dr Aché. D’après la cartographie de la pathologie de la fistule, c’est dans les provinces de l’Est du pays, du Kanem, de N’Djaména, du Chari Baguirmi, du Batha et du Salamat qu’on rencontre le plus de cas de fistules. Le Kanem et l’Est sont de loin les endroits où il y a plus de cas de fistules en raison du poids de la tradition et des considérations de genre.

 

“Les partenaires doivent appuyer le programme de lutte contre la fistule”

Pour lutter contre la fistule, le gouvernement de la République du Tchad a souscrit aux engagements internationaux pour l’élimination des fistules et a érigé en programme, l’antenne chirurgical de l’hôpital de l’amitié Tchad-Chine pour la prise en charge des victimes de fistules gynéco obstétriques qui existait depuis 2001. “C’est à partir de 2012 que l’antenne a été érigée en programme national centré sur trois axes principaux : identification/prévention, réparation chirurgicale et réinsertion sociale des victimes”, informe Dr Adam Mahamat Seid, coordonnateur du Programme de lutte contre les fistules gynéco obstétriques. Pour traduire la volonté politique dans les faits, cinq antennes ont été créées sur le territoire national. Il s’agit d’Abéché, de Mongo, Moundou, Sarh et Mao. Bien plus, devenu un problème de santé publique avec une prévalence qui s’élève à 2%, la fistule est classée parmi les maladies sous surveillance au Tchad. Et depuis l’existence du programme, plus de 1000 femmes ont été réparées avec un taux de réussite de 86%. Malheureusement, le manque de moyens financier, matériel et humain rend difficile la lutte contre la fistule. “Le manque de bureaux fait que le personnel s’entasse à deux, trois ou quatre dans un bureau de 4 m². Le minimum de travail manque. Nous partons prendre le café chez nous à la maison avant de revenir travailler au bureau. Pour tout le programme national, il n’y a que 15 personnes ; ce qui est insuffisant. Ce sont des gynécologues qui opèrent les victimes, mais il n’y a que deux experts en matière de fistule”, déplore Dr Adam Mahamat Seid qui poursuit : “Nous n’arrivons pas à faire la réinsertion sociale des victimes guéries faute de moyen financier. C’est très difficile, c’est pourquoi les partenaires doivent appuyer le programme, le gouvernement doit mettre des subventions à disposition du programme pour accomplir sa mission”. Pour l’heure, il n’y a que l’Unfpa seul qui appuie le programme et le Centre national de traitement des fistules.

Même le centre national de traitement des fistules, créé il y a quelques années rencontre aussi des difficultés. Notamment matériel et humain voire financier. A ce jour, il ne possède qu’un plateau technique de 36 lits dont la moitié est utilisée pour les accouchements, un personnel en sous-effectif et sous équipé. Pour tout le centre, il n’y a que 3 gynécologues qui peuvent opérer les victimes de fistules. “Le centre national, comme beaucoup de structures est le parent pauvre du ministère de la Santé et de la prévention”, ironise Dr Aché qui lance un appel aux autorités et partenaires techniques d’inscrire la question des fistules gynéco obstétricales au centre de leurs préoccupations.

Togmal David