La force du film est dans l’originalité du sujet

L’un de nos ambassadeurs au Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou (Fespaco) 2023, Allamine Kader Kora, se dévoile dans cet entretien avant de prendre le départ pour le pays des hommes intègres. L’avant-première du film sera projetée le mercredi 15 février 2023 à l’Ift.

  Quelle a été ta réaction à l’annonce de ta sélection officielle en compétition ?

Ma première réaction a été celle de joie. Etant réalisateur et cinéaste tchadien, participer à ce grand rendez-vous du cinéma africain, voire mondial est une fierté nationale, et au-delà, pour tous les réalisateurs tchadiens. Sur 1200 films proposés et visionnés, 170 ont été sélectionnés pour la compétition, dont 14 long métrage documentaires pour l’Etalon d’or de Yenenga, dont mon film “Amchilini” qui veut dire “Choisis-moi”. Sa durée est de 71 mn.

  Comment t’est-elle venue l’idée du film ?

L’idée du film est partie d’un petit village appelé Boutalfil, situé à 75 km de N’Djaména et dont le chef Elhadj Ahmat Damane est un ami d’enfance. Je m’y rendais régulièrement le voir, échanger avec lui et souvent, il me contait les histoires du village. Amchilini est l’histoire d’un mariage traditionnel qui se pratiquait jadis dans ce village. C’est la femme ou la fille qui doit obligatoirement choisir son mari, dans des circonstances et contextes particuliers. A l’époque, quand le village éprouvait des difficultés (épidémies humaine ou animale, famine, sècheresse, mauvaise récolte, absence de pluviométrie, etc.), les notables et chefs traditionnels, accusaient les femmes libres ou divorcées et les jeunes filles majeures d’être à l’origine de ce malheur. Pour conjurer le mauvais sort, on les obligeait à choisir un mari, au cours d’une cérémonie organisée à cet effet. Aucune fille en âge de se marier ne doit rester sans mari dans ce village. Celle qui refuse de choisir un mari est amendée continuellement ou alors elle doit quitter le village. Finalement, la femme ou la fille est contrainte de choisir un homme qu’elle le veuille ou non, contre son gré.

Je me suis demandé est-ce que c’est un libre choix qu’elles opèrent ou c’est une liberté relative ? Aujourd’hui, à l’ère du modernisme où l’on parle de l’égalité entre l’homme et la femme, et avec le recul, quel est le regard que l’on peut porter sur une telle pratique dont certains veulent absolument perpétrer ? Faut-il parler d’une liberté totale ou relative ? Puisqu’à l’époque elles acceptaient toutes soumises sans rechigner, celles d’aujourd’hui considèrent cela comme une obligation. Aujourd’hui dans ce village, avec l’ouverture sur le monde grâce aux nouvelles technologies, les jeunes filles ont décidé de s’opposer à cette pratique traditionnelle, pour revendiquer leurs droits. Mais cela est-il possible ? Je me suis demandé si j’habitais ce village, ma fille ou ma sœur allait-elle subir le même sort ?

  Quel est le problème que veut soulever le film ?

C’est cette tension qui transparait dans le film du début jusqu’à la fin, puisque c’est devenu un bras de fer et un conflit générationnel permanent dans le village. Le film soulève plusieurs problématiques : conflit générationnel, les problèmes autour du mariage, de la liberté de la femme, de l’égalité entre l’homme et la femme, de la dot autour d’Amchilini qui est plutôt symbolique et non une dot formelle. Cette pratique est aussi une opportunité pour les garçons qui n’ont pas les moyens de se marier, de s’entendre avec leur copine et amie pour convoler en justes noces. C’est la dualité ou le paradoxe que vit cette société que je retrace dans le film. La révolte des femmes ou le combat pour leurs droits, n’est pas seulement en Occident ou dans les pays développés. Mais également dans nos villages. Or d’habitude, elles sont complètement soumises. Et c’est là où le sujet devient intéressant parce que c’est un thème universel.

  Qu’est-ce qui fera la particularité de ce film ?

La force du film est dans l’originalité du sujet. Le thème parle à tout être humain. Aujourd’hui, dans le monde entier, quand on parle mariage, c’est l’homme qui demande la main de la femme ou de la fille en âge de se marier, en mariage. L’homme choisit sa femme et l’épouse. Dans le film ce n’est pas le cas. Donc cette contradiction ou paradoxe parle à toute l’humanité. Puisque la liberté de la femme, à travers sa prise de parole et de son opinion est remise en cause ici. Dans le film Amchilini la parole de la femme est libérée dans un village, ou d’habitude à l’assemblée des hommes, elle n’a aucunement droit à la parole. La femme s’est levée en public pour dire, le monde a changé et les mentalités aussi doivent changer

  Qu’est-ce qui a été le plus difficile dans la réalisation de ce film, et combien de temps tu as mis pour le réaliser ?

Nous sommes restés en immersion dans ce village pendant 45 jours, pour suivre les préparatifs de la cérémonie d’Amchilini, jusqu’à la révolte des femmes lors de la cérémonie. Le plus difficile, c’est amener une caméra au village. Quand je filme, je ne veux pas qu’on regarde la caméra. C’est une exigence du cinéma, or les gens ont tendance à regarder vers l’objectif de la caméra. Mais au bout de 45 jours, les villageois ont fini par oublier la caméra, ce qui était génial. Donc les scènes ont été jouées naturellement, puisqu’elles sont très touchées par cette pratique. Les hommes avaient décidé d’organiser la cérémonie afin que celles qui sont libres choisissent leurs maris. Elles ont dit non ! Que cela n’existe ni dans le Coran ni dans la Bible et on ne peut pas au 21ème siècle les obliger à choisir leur mari. Certains hommes ont tenté de les convaincre en disant “si tu es vraiment ma fille ou ma sœur, tu dois choisir. Un père de famille ou un chef de village ne doit pas déshonorer le village”. Le film est une tension permanente.

Le tournage a pris 45 jours, mais les préparatifs ont duré quatre ans depuis les repérages. Je ne sais plus combien de fois nous avons fait des va-et-vient au village.

  Bien évidemment, tout film a un coût …

Le film a coûté 100 millions de francs CFA, mais ce qu’il faut déplorer c’est l’absence de la contribution ou de l’appui de l’état tchadien. 95% du financement est extérieur et l’Office national des médias audiovisuels (Onama) a un peu contribué financièrement. Notre plaidoyer a toujours été de solliciter auprès de l’état la mise en place d’un fonds d’aide au cinéma. Aujourd’hui, dans beaucoup de pays africains, le cinéma est une véritable industrie qui fonctionne, contribue à l’économie et au développement du pays. A l’exemple du Nigeria, où le cinéma vient en 2ème position après le pétrole dans l’économie. Quand on parcourt les festivals de cinéma à travers les pays et qu’on se présente comme tchadien, c’est l’image de la guerre, du militaire ou soldat coiffé de turbans qu’on nous renvoie. On peut soigner ces images négatives par le cinéma et proposer une autre vision d’un pays normal. Pourvu qu’on fasse confiance à nos jeunes réalisateurs et qu’on les accompagne avec des moyens conséquents, on peut être concurrentiel en Afrique, et à travers le monde.

Propos recueillis par Roy Moussa