La Reine du Guéra

C’est le titre du film d’une durée de 30 mn, réalisé par Salma Khalil Alio, et retenu en sélection officielle au Fespaco 2023 dans la catégorie film d’animation. Première réalisatrice tchadienne à voir son œuvre sélectionnée au Fespaco, notre ambassadrice livre son émotion depuis Niamey où elle réside.

  Quelle a été ta réaction à l’annonce de ta sélection officielle en compétition ?

J’ai accueilli la nouvelle avec beaucoup de fierté. Je ressens l’accomplissement d’un travail, surtout que c’est un projet sur lequel je travaille depuis des années. Et il faut reconnaître que si des professionnels retiennent un film parmi plus de 1000 qu’ils ont visualisés, ça veut dire que le travail porte une certaine originalité propre. Pour moi, c’est déjà quelque chose de très important, parce que cela reflète la qualité de mon travail. Et cela signifie aussi l’aboutissement d’un combat de plusieurs années. Ce travail m’a pris 5 ans, et c’est un grand pas qu’il soit validé par des professionnels.  Fespaco, c’est la rencontre de la crème des réalisateurs africains et être retenue en sélection officielle est une grande fierté, parce qu’on ne parle pas de Salma mais du Tchad.

  Comment t’est venue l’idée du film ?

En réalité, je peux dire que c’est depuis 32 ans que l’idée est venue, parce que c’est dès l’âge de 8 ans que je me suis toujours posée la question de savoir comment on tourne un film de dessin animé. Je crois que c’est une manière de chercher progressivement les réponses à mes interrogations, au fur et à mesure que je grandissais.

Je suis infographiste, dessinatrice et à un moment, j’ai voulu renforcer mes capacités en choisissant de me convertir dans le dessin animé pour ajouter de la valeur à mon travail. Finalement, j’ai choisi un conte que nous racontait ma mère dans notre enfance. Je l’ai réadapté et repensé en lui donnant le titre de “La Reine du Guéra” pour rendre hommage à cette icône qui représente notre région. Il comporte deux parties, la première “Orate Ourmaye” ou la route de l’eau et la seconde “Orate Râ Tchenk (Abtouyour)”, la route de Orate Râ Tchenk. C’est un conte ancestral et séculaire puisqu’elle dit l’avoir reçu de sa mère qui, elle aussi l’a reçu de sa mère. C’est donc de la transmission. Aujourd’hui, nous sommes dans une dynamique où tout le monde a un Smartphone, donc plus besoin de se retrouver sous un arbre au coin du feu, pour écouter des contes et récits. Il est question de trouver un autre mode de transmission à travers les Tic, pour perpétrer la tradition orale ancestrale. Il faut créer, monter et diffuser cela afin que chacun l’écoute et le suit sur son Smartphone. Parce que les contes en général portent la morale et des sagesses, pour éduquer les enfants, la société et transmettre les valeurs identitaires. Et surtout, les numériser pour ne pas les perdre. Nous avançons vite avec une pléthore de médias en ligne mais très peu consacrent leur contenu aux contes africains. Le Tchad est un pays qui regorge des récits ancestraux et je me suis dit qu’il faut trouver un moyen de les diffuser. Ce travail est né d’une volonté de renforcer mes capacités et en même temps de promouvoir nos récits ancestraux. Nos réalités sont africaines, et à travers ces récits qui reflètent notre identité, il est normal qu’on cherche à faire la promotion de nos cultures.

  Qu’est-ce qui fera sa particularité ?

Ce qui fait la particularité de ce film, c’est son esprit, parce qu’il est basé sur les mythologies et les légendes de l’esprit Margaï, qui sont le socle des valeurs culturelles ancestrales du Guéra.

Le 2ème aspect, c’est une visite touristique repensée du Tchad que je propose au cœur du film. Vous allez découvrir les gravures rupestres de l’Ennedi, les chutes Gauthiot de Léré, les tombeaux ancestraux du Guéra, la maroquinerie d’Abéché, les statuettes en bois du sud du Tchad, les cases obus chez les Mousgoums dans le Mayo-Kebbi, les couteaux de jet qui se retrouvent un peu partout en Afrique également. Le personnage principal porte une tenue ancestrale du Guéra, la communauté des sorciers qui portent des parures et perles rouges, le Djoho ou couteau de jet qui fait partie des éléments sacrés de la gamargua, c’est-à-dire la femme qui porte en elle le Margaï, le Ratcheing ou la montagne Abtouyour qui est le lieu sacré du Margaï dans le Guéra, bref une multitude de représentations patrimoniales du Tchad dans son intégralité d’une rare beauté et diversité. Ce qui apporte la particularité, ce sont des éléments qu’on ne trouve nulle part ailleurs.

Le 3ème aspect, c’est l’engagement sur les questions anthropologiques dans le film, grâce à l’appui de mon père qui est linguiste et professeur d’université. Un monsieur qui a toujours valorisé les cultures ancestrales et avec notre maman, nous ont transmis ces valeurs patrimoniales. Il y a également les chansons à l’exemple de celle de Déborah Tordibaye qui est une As des chansons traditionnelles, de mon frère Abdelnasser artiste et anthropologue, ma petite sœur Bouchra artiste musicienne, Djimradé le guitariste chanteur, Dj Sylviano. Toutes des chansons originales qui portent les mots de nos réalités, les couleurs de la vie, de l’amour, du combat, de la lutte, etc., ainsi que l’implication du studio Flo à Niamey.

Le dernier élément, c’est un film 100% tchadien. J’ai voulu faire un film pour moi-même, donc il n’y a pas eu un apport extérieur. C’est tout cela qui donne la particularité et l’originalité à ce film. Lorsque vous allez suivre “La Reine du Guéra”, vous verrez que c’est un film d’animation unique en son genre. C’est une production et réalisation tchadienne.

  Qu’est-ce qui a été le plus difficile dans la réalisation de ce film ?

J’ai eu beaucoup de difficultés à réaliser ce film, parce qu’un film d’animation demande beaucoup de moyens et du temps. Cela m’a pris cinq ans, parce que dans un dessin animé on a besoin de 24 images pour réaliser une seconde d’animation. Même si, avec les Tic, on arrive à raccourcir ce temps. Je mets beaucoup l’accent sur les détails, les couleurs et cela prend assez de temps parce qu’il est question de la culture tchadienne. C’est le Tchad qui est représenté à travers mon travail, même si je suis novice amatrice dans le domaine. Je ne suis pas passée par une école de dessin d’animation, donc il fallait que j’aille au-delà de mes limites possibles et faire les choses convenablement.

J’ai moi-même joué 2 rôles dans le film, reçu l’appui de mon époux, surtout pour le côté technique. J’ai commencé ce travail, lorsque nous nous sommes installés à Niamey. L’avantage est qu’on dispose en permanence de l’électricité et de connexion Internet. Lorsque j’avais commencé par renforcer mes capacités, il fallait tout le temps aller sur You tube télécharger les cours et exercices en vidéo. Sans électricité et connexion Internet, on ne peut pas faire des cours dans ce domaine. Mais nous avons transformé les difficultés en opportunités et avons réussi à réaliser le film.

  Evidemment tout film a un coût, …

Bien sûr, 1 minute de film d’animation coûte entre 400 000 et 600 000 francs. Si tu réalises 1 heure de film, fais un petit calcul. Ça, c’est pour le prix moyen sinon c’est beaucoup plus cher que cela. Au-delà des acteurs que tu prends pour poser leurs voix, tout un travail à faire reste encore, parce que normalement pour le faire, il faut recruter près d’une centaine de dessinateurs pour le réaliser. Mais là, je suis seule. C’est une discipline onéreuse. Je suis contente d’avoir réalisé ce film malgré son coût, et j’ose espérer m’améliorer avec le temps.

Interview réalisée par Roy Moussa