Le principe de l’ennemi commun n’est jamais un gage idéal pour sceller une alliance dans quel que combat, car, pour tout esprit noble, il est davantage de vertu à lutter au nom de ce que l’on aime plutôt que de ce que l’on hait. Voilà pourquoi si souvent celles et ceux qui, dans une lutte ne tiennent pour liant que le commun ennemi, se vouent à leur tour une animosité farouche et sans merci dès la disparition de leur objet de détestation. C’est que somme toute, le sentiment haineux reste une lèpre ayant ceci de cynique et d’ignoble qu’il dévore autant son objet que son propre sujet ; c’est-à-dire aussi bien le haï que le haineux.
Les récentes manifestations contre l’ingérence politique française au Tchad, et dont les ardentes braises couvent encore dans tant de cœurs, comportent quelque chose de stupéfiant. Autant l’indignation face aux agissements des dirigeants français dans notre pays paraît à bien des égards légitimes, autant la voie de contestation choisie constitue un point d’interrogation. Car, il est toujours désinvolte maladroit et dangereux d’agréger la vindicte des masses hétérogènes aussi complexes et délicates. Dans un contexte socio-politique si confus où s’agrègent indistinctement des revendications tous azimuts nées de vieilles frustrations sédimentées en volcans émotionnels, il ne saurait être compréhensible d’aborder une telle question avec une pareille légèreté. La toxicité du paternalisme français, nauséabonde relique du viol colonialiste est un fait indéniable que nous avons malheureusement en partage avec d’autres peuples de notre continent. Cependant, il s’agit d’une problématique dont le sérieux exige que l’on en appréhende les implications par la raison, non par l’émotion. L’on en dira ce que l’on voudra, quelle que soit la crédibilité dont l’on voudra savoir gré aux organisateurs de ces manifestations, cela est une faute que d’avoir choisi en première option la rue comme théâtre d’expression d’un ras-le-bol pourtant combien légitime. À moins d’assumer d’avoir cherché à user de l’arme du populisme le plus trivial, le choix de la rue aura été une entreprise malheureuse. Avec une masse inculte comme la nôtre, livrée à souhait à la désinformation pour certains, à la mésinformation pour d’autres, nul ne peut prétendre en conscience ignorer les risques d’amalgames, d’extrapolations, de raccourcis voire de récupérations, fût-ce délibérément ou par sincère déficit d’analyse et de compréhension. L’on aura beau alléguer que lesdites manifestations visaient la politique de l’ancienne puissance coloniale chez nous mais pas la France, et encore moins le peuple français. Seulement, comment parviendrait-on à expliquer avec objectivité et succès une si sublime nuance, un distinguo si tenu à des masses rongées par l’analphabétisme, la rage et la frustration ? Tout porte à croire que les parangons de l’antipolitique française ont au meilleur des cas sous-évalué la portée de leur légitime protestation au pire, pris l’option de jouer sur la fibre du populisme opportuniste. Dans les deux cas de figure, le pari est aventureux … Au-delà du vertigineux quiproquo entre les foules des manifestants d’une part et les initiateurs de la manifestation de l’autre, il siérait de fignoler par ailleurs le camp des arabophones sortis battre le pavé. Sans intention de chercher la petite bête à quiconque l’on peut aisément deviner que pour ce camp c’est vraisemblablement le sempiternel procès de l’hégémonie fait à la langue française vis-à-vis de l’Arabe, seconde langue officielle dans notre pays qui se trouve opportunément remis au goût du jour. Et pourtant, nos sens étant étriqués au gré de notre hargne contestataire, nous compilons toutes ces acrimonies dans la même besace de l’opportunisme trivial. Pour quel futur ? L’histoire nous le dira. La conscience dorénavant active quant aux implications toxiques de la politique française au Tchad demeure un salutaire sursaut libertaire. Hélas, ce qui devrait dans son sillage répondre d’un lumineux affranchissement patriotique n’aura pas trop su résister aux sirènes du simplisme des amalgames et des plus vulgaires théories complotistes.
Non pour sûr, la vieille puissance colonisatrice ne s’incruste pas dans notre pays pour nos beaux yeux si tant est que nous en ayons. Cependant, elle n’est pas non plus l’ogre anthropophagie irascible que d’aucuns aspirent à faire croire. Que de griefs nous aurons objectivement à faire à cette France ; mais tout aussi objectivement de frugales et sibyllines belles choses existent qui scintillent le long de ce cahoteux chemin d’une amitié intéressée, d’une coopération au bas mot déséquilibrée …
Pour tout dire, il n’est aucun esprit sain, lucide et rigoureux qui ne trouve matière à reproche quant à la présence française sur notre territoire et son ingérence dans le cours de notre destin. Cependant, face à cet écueil aussi vieux que complexe, que peut être l’expression d’une vraie intelligence politique sinon, l’art et le réalisme de sortir la bonne arme au bon moment ? Car, une chose est d’identifier son ennemi dans une bataille, une autre plus décisive est d’avoir un inventaire réaliste et méticuleux de ses capacités de nuisance ou de résistance. En agglutinant le flux des masses autour d’une problématique aussi complexe et délicat, les pourfendeurs pourtant nobles de la félonie colonialiste française n’ont trop fait que preuve d’une étriquée. En cela, ils se montrent malheureusement héritiers de la plaie de race de nos propres gouvernants. En d’autre termes, ces derniers ne gouvernent mal parce qu’ignorant tout de nous ; les pourfendeurs de la lèpre politique française ont pour tort de tout ignorer de leurs militants, ou plus exactement de leurs suiveurs …
Béral Mbaïkoubou, Député.